Carrie N Résistance Rien n'est grave

Rien n'est grave

Son regard est machiavélique. Il me semble voir un petit rictus au coin de sa lèvre supérieure. J’écarquille les yeux, qui vont du big boss à lui. Je n’ose même pas regarder Cassy tellement je me sens misérable. Il va me faire virer !

— Non ! Je ne suis pas d’accord !

— Pardon ?

Cassy s’interpose entre Foster et moi et fait face au big boss. Foster est perplexe. Moi aussi.

— Mais enfin Cassy…

— Tais-toi Foster. Je pense qu’il serait judicieux d’échanger sur ce sujet en huit clos, sans que Baptiste ne soit impliqué.

— Mais…

— Ca suffit !

Nous nous figeons tous les trois face au chef, dont la voix raisonne encore entre les murs du parking.

— Avec toutes mes excuses Monsieur Foster. Puis-je m’entretenir avec vous quelques minutes ? Cassy, veuillez me suivre également.

— Bien Monsieur.


Ils partent tous en direction de la porte qui sépare les bureaux du parking et je les regarde, tel un enfant qu’on abandonne sur le quai d’une gare. Ou ce type qui croit sauver quelqu’un et qui se retrouve sous les verrous, responsable de rien mais coupable de tout.


Au bout de quelques minutes qui semblent avoir duré des heures, je me décide enfin à rejoindre ma caisse. Cette fois-ci, si j’entends quelqu’un crier, je ne me retourne pas.


Assis derrière le volant sur le chemin qui me mène au Pétrivo, je tourne en boucle dans ma tête ce qui vient de se passer. Deux mois. Il m’aura fallu deux mois pour perdre un boulot qui me plait à donf, à cause ou pour une meuf. Quelques secondes pour tomber sous son charme, quelques semaines pour réussir à la toucher, une fraction de seconde pour tout perdre.


Une fois garé devant le bar, j’éteins le moteur et tape furieusement sur le volant à plusieurs reprises en gueulant. Je pose la tête sur le volant et j’attends. Je ne sais pas ce que j’attends. Qu'une épée de Damoclès me tranche la tête peut-être.

Des coups à la vitre passager me sortent de ma torpeur. L’immense sourire de Jules caché derrière sa barbe de plusieurs mois et son petit regard rieur sombre m’accueillent, avec cet air de « rien n’est grave », et il me fait du bien. Je lui souris.


Je m’extirpe de la voiture et nous nous saluons par une accolade.

— Ben alors vieux, qu’est-ce qu’il t’arrive ! C’est encore ta brune qui te fait des misères ?

Ma brune… Il se souvient qu’elle est brune. Sacré Jules.

— Plus ou moins. Je vais me faire virer.

— Par elle ?

Jules semble choqué.

— Non, je ne pense pas. Mais elle en est quelque part la cause.

— Tu lui as fait une déclaration, genou à terre devant le big boss, et ils ont pas aimé ?

— Pfff t’es con Ju'.

— Ben je ne sais pas moi ! Tu as cassé la gueule à un de ses prétendants ?

Je le regarde, surpris, en me demandant où il se planquait il y a une heure pour savoir ça, puis je me rappelle que Jules est un habitué du style. Casser la gueule aux types qui draguent les nanas qui l’intéressent est coutume. Même s’il sait pertinemment qu’il ne leur offrira rien d’autre qu’un moment de baise, alors que l’autre mec pourrait leur offrir bien plus, il joue des coudes. Parfois ça marche. Parfois elles n’apprécient pas et il passe à une autre.

— C’est ça.

— T’es sérieux ? Ah putain Bapt’ t’es le meilleur !

— Tu trouves…

— Ouais c’est bon ça va. Tu te trouveras un autre job ! Et puis les nanas, c’est pas ce qui manque.

Il se dirige vers la porte du bar qu’il ouvre pour me laisser entrer. Rien n’est grave.

— Aller vieux on va se bourrer la gueule. Ça te fera du bien.

Vieux… Il m’a toujours surnommé comme ça alors qu’il est plus âgé que moi de trois ans. Mais ça m’a toujours donné l’impression qu’on était égalitaire sur ce plan là.


Je sais qu’un bourrage de gueule ne fera pas passer la pilule. Je sais que ce n’est pas non plus la solution. Mais c’est tout ce que j’ai pour l’heure. Mon pote et un double, posé sur le bar.


Je me laisse porter par la vague des doubles qui se succèdent. Jules discute avec le serveur et je m’enfonce dans une sorte de mélancolie profonde quand une petite blonde, l’air timide, les joues rouges écarlates, toute mimi, vient taper ou plutôt frôler mon épaule.

— Bonsoir je me demandais si tu ne voudrais pas m’offrir un verre.

Elle va s’asphyxier si je ne lui réponds pas tout de suite, c’est certain !

— Euh… Salut. Moi c’est Baptiste.

— Jessica. Salut.

— Respire beauté, tu as fait le plus dur.

Et elle se dégonfle comme un ballon de baudruche. Je la regarde, en silence. Ce regard bleu ciel qui me fixe dégouline d’envie. Mais je me demande si elle n’est pas encore vierge tellement elle a l’air innocente.

— Tu abordes souvent les garçons comme ça ?

— Non c’est la première fois.

C’est ce qu’il me semblait.

— Un verre alors, pour te féliciter de ton audace.

Ça va pas bien moi. Depuis quand je fais ce genre de chose ? Et depuis quand j’ai juste envie d’ajouter « pas ce soir beauté » alors qu’il y a deux mois je l’aurai emballée direct. Baptiste, réveille toi putain !


Nous échangeons quelques mots. Elle est vraiment à l’image de la petite fille sage, avec son chemisier blanc col Claudine malgré tout sexy et sa petite jupe qui lui arrive au dessus des genoux. Elle est en première année à la faculté de droit, ce qui la rend encore plus sérieuse. Mais elle est vraiment très jolie.


Pourtant, je ne sais pas. J’ai la sensation que je ne peux pas faire ça. Je la jetterai après avoir tiré mon coup de toute façon. Cette gamine ne mérite pas ça. Je réalise en même temps que je n’ai pas levé une nana depuis l’histoire des planches. Chaque soir, je rentrais pour dessiner et dessiner encore jusqu’à point d’heure. C’est le moyen le plus sûr de décompresser sans risquer une prise de tête avec une meuf. Je n’en aurais pas eu le courage. Là encore, je ne me reconnais pas.



— Bonsoir Baptiste.

Mon cœur manque un inspire. Hein ? Quoi ? Encore ? Mais d'où ça sort ? Je rêve éveillé maintenant !

— Je suis désolée de te déranger alors que tu es avec tes amis.


Ma certitude que j'entends des voix vole en éclats. Je me retourne et mon regard tombe dans ces yeux bruns, sombres, reconnaissants et gênés, qui me laissent désorienté en même temps qu’ils me possèdent.

— Bonsoir Cassy.

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