Fyctia
Esquisses
Assis à la table de mon salon, je laisse mon crayon parcourir les feuilles blanches en espérant trouver un signe, un indice de ce que je dois faire, de ce que je peux faire.
J’ai bien entendu ses arguments sauf que je ne valide pas. Je m’en fous qu’elle ait dix ans de plus que moi. Elle ne les fait pas. Et puis je n’ai pas prévu de la demander en mariage. Je m’en fous qu’elle soit ma pseudo responsable hiérarchique. Nous ne sommes pas obligés de baiser au boulot. Et puis je sais être discret.
Dessiner, dessiner, dessiner. Décompresser, apaiser mon âme et finir par me demander ce que je fous à courir après cette nana. Non, cette femme. Voilà pourquoi je lui cours après. Voilà pourquoi elle me hante. Parce qu’elle est une femme, une femme de caractère, qui s’assume. Elle dégage un truc de dingue et elle est brillante ! Elle ne ressemble pas aux minettes qui me tournent autour, qui minaudent pour un rien, qui sont collantes, qui chialent quand tu ne veux pas d’elles. Et ce baiser, putain ! C’était énorme.
Je veux aller plus loin. Mais comment m’y prendre ? Aller dans son bureau ? Il y a en général toute son équipe et elle ne voudra pas me parler. La guetter dans les couloirs ou à la machine à café ? Difficile de bosser convenablement dans ses conditions. Et puis nous n’y serons pas seuls de toute façon. J’ai son numéro de mobile professionnel, comme l'ensemble des collaborateurs de la boîte a ceux des responsables, si d'aventure nous avions une urgence. Mais je ne me vois pas l’utiliser dans l’immédiat. A vrai dire je me sens fébrile. J’étais profondément déterminé ce soir, mais ça a merdé quelque part.
La reine semble hypnotisée. Le tigre la foudroie de ses yeux rouges, comme des lasers.
Je sais ! La dédicace ! Je vais lui dédicacer mes planches ! Pas seulement les deux qu’elle a vues, mais toutes, à l’exception de celle que je viens de commencer.
Elle sera remplacée par une autre où tous deux sont entourés d'un halo d'étoiles envoyées par l’épée de la reine. Le tigre la porte sur son dos pour franchir une muraille. Je m’active pour terminer ce dessin et l’aboutir le plus possible. Je ne retoucherai pas les autres en dehors de ma signature. Je prépare une carte virtuelle que j’envoie sur sa messagerie professionnelle, où j’inscris une simple phrase semblant être écrite à la plume, sur un fond blanc immaculé.
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » M. Twain
En commentaire, j’écris « Sous le clavier qui a la divine chance d’être parcouru chaque jour de tes doigts, ton dessein. »
J’espère qu’elle aura idée d’aller jusqu’à soulever son sous-main.
Lorsque j’ai terminé tout ce bordel, l’horloge indique quatre heures du matin. Je ne m’attendais pas à m’être autant appliqué pour passer tout ce temps sur ma dernière planche. Cette femme me rend dingue et je fais n’importe quoi. Mais je me sens pousser des ailes depuis qu’elle a accueilli mes lèvres sur les siennes et mon corps contre le sien. Même si ça n’a duré que quelques secondes, elle m’a ouvert une porte et je vais m’y engouffrer. Je veux la sentir à nouveau tout contre moi. Je veux sentir sa peau contre la mienne, pas seulement ses mains qui frôlent ma nuque et m'électrisent, ou ses lèvres qui s'abandonnent.
Je dors très peu, trop peu d’ailleurs puisque je me pointe au boulot à la première heure, histoire de croiser le moins de monde possible. Je sais que Paulo est souvent sur place avant huit heures. Lorsque j’entre dans le hall qui mène aux bureaux, mon cœur s’emballe. Je dois inspirer profondément pour ne pas me dégonfler. Arrivé à la plateforme graphique, Paulo est effectivement là.
— Salut Paulo !
— Oh, bonjour Baptiste. Le succès te monte à la tête que tu es déjà dans nos murs ?
— Ouais ça doit être ça.
Je lui souris et prend mon air le plus décontracté qui soit, enfin j’essaie.
— Tu es tout seul dans les lieux ?
— Ayuka est déjà là également. Il doit boucler les derniers détails avant de clôturer la première partie du boulot.
— Personne d’autres ?
— Pas à ma connaissance. Tu veux un café ?
Merde. J’ai réussi à laisser mon porte dessins dans le couloir, mais il ne faut pas que Paulo me suive si je veux pouvoir déposer mes planches dans le bureau de Cassy.
— D’accord. Je reviens dans cinq minutes.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre et file en direction de la plateforme marketing. Les quelques pas qui me séparent du bureau de Cassy me semblent bien lourds. Mes ailes se sont refermées à mon arrivée dans les locaux ! Putain mais ressaisit toi Baptiste ! T’es con ou quoi ! Oui je suis con.
Sur ces mots, je me retrouve devant la porte de la plateforme marketing toujours fermée et la pièce est éteinte. J'y suis presque ! Fort heureusement il fait jour et je n’ai pas besoin de perdre du temps à appuyer sur l’interrupteur. J’entre très rapidement, attrape mes planches, les glisse sous le sous-main et sors de là comme un voleur. Lorsque je ferme la porte du bureau derrière moi, je fais une pause puis sursaute à l’idée que je pourrais encore être surpris par un collègue. Je trace donc vers mon bureau pour y laisser mon porte dessins. Fort heureusement, Paulo est toujours sagement assis au sien.
Je le regarde et lui fais involontairement mon plus beau sourire, parce que ma mission est accomplie. Heureusement, il ne me regarde pas. Je m’installe afin d’envoyer la carte virtuelle à Cassy, mais Paulo m’interpelle avant que je n’en ai eu le temps.
— Je te rejoins dans cinq minutes Paulo.
Il fait une pause à côté de moi et me regarde par en dessus, l’air surpris, mais ne fait aucun commentaire.
— D’accord. Café court sans sucre c’est ça ?
— Bonne mémoire !
J'attends qu'il disparaisse de mon champ de vision.
Une fois mon ordinateur allumé, j’ouvre ma messagerie, vais dans mes brouillons, ouvre la carte virtuelle et appuie sur envoyer. Lorsqu’il apparaît dans mes messages expédiés, je m’affale instantanément sur mon dossier de chaise. Je me suis piqué un coup de flippe colossal pour… ça ? Va falloir te faire soigner mon vieux !
Toute oxygène semblait m'avoir quitté quand je pousse un profond soupir de décompression ! J’en ris ouvertement et me lève pour rejoindre Paulo.
2 commentaires
Carrie N
-
Il y a 7 ans
Carrie N
-
Il y a 7 ans