Fyctia

« A la semaine prochaine »… Si je pouvais raser les murs je le ferais. Ou pas.

Notre échange, ses sourires, son regard, son odeur, ses expressions, ont tourné en boucle dans ma tête le dimanche entier. La honte, le désespoir, l’agacement, l’impatience, se sont tour à tour invités dans ma petite tête.

Ce fut un dimanche de merde, passé à cogiter afin de déterminer l'attitude à adopter en sa présence, tergiversations qui ne m’ont amenées nulle part et n’empêchent pas le malaise que je ressens en arrivant au travail ce lundi.

Nous devons boucler les premières étapes du projet avec Gustave. Une réunion est prévue demain matin en face du comité de direction pour ajuster les derniers éléments. Nous passons la journée à peaufiner les détails et à préparer la présentation. Chaque fois qu'une personne s'invite dans notre espace, mon cœur loupe un inspire et c'est épuisant, mais finalement, Cassy ne montre pas le bout de son nez.

Lorsque je franchis le pas de la porte séparant le hall de la salle ce mardi, une impression de déjà vu me saisit. A la différence, Cassy sait maintenant ce que je pense d’elle. Je baisse la tête en rejoignant le bout de la table où Gustave m’attend. Je salue tout le monde de vive voix mais prends bien soin d’éviter de la regarder. Je prends le parti, tout au long de l’exposé, d'éviter consciencieusement de regarder Cassy et m'adresse à nos trois autres interlocuteurs. Bien que je me sente attiré comme un aimant, je sais que si je la regarde, je risque de perdre les pédales et ce n’est vraiment pas le moment.

Quelques questions fusent à la fin de la présentation. Le big boss nous félicite pour notre excellent travail, ainsi que Ayuka et Paulo. Quand vient le tour de Cassy, je me dois de la regarder. Mon cœur bat la chamade. Je prends une profonde inspiration et me tourne vers elle. Elle nous regarde tour à tour, Gustave et moi, avant de prendre la parole.

— Messieurs, je suis bluffée par votre présentation et l'aboutissement de ce projet. Je suis convaincue que le client va être ravi. A vous de faire aussi bonne figure devant eux jeudi.

Mon cœur bat toujours aussi fort mais pas pour les mêmes raisons. La crainte de la regarder et de ne pas savoir comment me contenir cède la place à la fierté, mêlée à une sensation étrange. Cassy est une professionnelle sur son lieu de travail et agit en tant que telle. Fidèle à elle-même, elle s’adresse à moi, comme avant. Même si le lieu et le contexte ne s'y prêtent pas, j'aurais aimé voir une lueur différente dans son regard, un indice, quelque chose, mais je n'ai rien trouvé. Il faut que je lui parle !

Tandis que tout le monde quitte la salle, Cassy prend ses affaires et, avant que je n’ai le temps de l’interpeller, s’adresse au big boss qui l’accompagne vers la sortie, sans un regard pour moi. Je les suis et constate qu’ils se dirigent tous deux vers la plateforme marketing. Ce ne sera pas pour aujourd’hui. Dépité, je retourne donc à la plateforme graphique, où je découvre un Gustave radieux.

— Putain mec on va tout déchirer !

— Ola Gus’ ! C’est bien la première fois que je t’entends jurer ! Je déteints sur toi ou quoi ?

— Grave !

Nous éclatons de rire et nous tapons sur l’épaule. Nous avons hâte d’être à jeudi afin de valider notre boulot.

— On va boire un verre ?

— Non Baptiste. Je dois dormir ce soir. Nous partons demain après-midi et j’ai besoin de me requinquer après la masse de boulot qu’on a abattue et la présentation d’aujourd’hui qui m’a lessivée.

Je pars dans un éclat de rire phénoménal. Il n’y a que Gustave pour utiliser des mots pareils !

— Ben alors mon papi, t’as besoin de quoi ? Te requinquer ?

Il m'envoie une droite franche dans l’épaule alors que je repars dans mon fou rire.

— Ouille, putain t’as de la force !

Je m'en frotte l'épaule.

— Ouais. Fais gaffe. T’as encore rien vu !

— Ouh j’ai peur.

Gustave fait mine de me frapper à nouveau et nous rions en terminant de ranger nos affaires pour filer.

Je décide de rentrer à la maison et de réfléchir à quelques dernières améliorations de la présentation. Je finis rapidement par en conclure que nous sommes parés.

J’ai besoin de décompresser, de me détacher de cette gêne qui me dérange depuis samedi et qui ne part pas. Elle s’est transformée aujourd’hui, face à l’attitude imperturbable de Cassy. Je suis agacé de n’avoir pas pu éclaircir la situation. Je dois savoir. Même si c’est pour l’entendre me répéter qu’elle ne fréquente pas ses collègues de travail, au moins, elle le dira en connaissance de cause. Et surtout, je pourrai me détacher de mes pensées obsédantes pour elle et reprendre le cours normal de ma vie.

Je prends mon crayon à papier et laisse libre cours à mon imagination. Une nouvelle fois, toute l'expression de mes perturbations intérieures s'étalent sur le papier blanc. Le tigre s'est relevé et fixe la reine. Elle le toise et le met au défi d'agir, épée pointée vers le sol. Les étoiles filent en direction du tigre qui se détache sur un fond blanc et noir, tels le ying et le yang, le bien ou le mal, l'action ou l'inaction, le réussite ou l'échec.

Je dois lui parler. Mais comment m'y prendre quand je ne peux la croiser qu'au boulot et si rarement ?