Fyctia

Une table se libère juste à porter de main et j'invite Cassy à s'y asseoir. Nous nous faisons face et j'ai tout le loisir de la dévorer du regard à la lueur tamisée de la lampe qui nous surplombe. Enfin, nous arrivons à avoir une conversation normale.

— Tu viens souvent ici ?

Question classique quand tu abordes une nana, sauf que c'est Cassy qui me la pose. Je reviendrai chercher mes paquets plus tard.

— Pour les concerts la plupart du temps. Sinon, nous allons plutôt au Petrivo.

— Je ne connais pas.

— Ah bon ? Tu sors où toi ?

— Je ne sors pas souvent à vrai dire. Le boulot est très prenant et j'avoue que j'aime passer mes soirées, tranquille, après les déplacements ou les journées d'effervescence. Je suis un peu casanière à ce niveau là.

— Je comprends, Mais peut-être as-tu aussi quelqu'un qui t'attend à la maison ?

Je me sens rougir rien qu'en lui posant cette question. Non mais c'est pas vrai ! C'est tellement facile avec les autres ! Quoique, à bien y réfléchir, je pose rarement ce type de questions. Peu m'importe que les nanas avec qui je baise soient maquées. Au contraire, quand elles le sont, elles sont souvent moins collantes. Elles retournent avec leur mari ou leur mec la plupart du temps et basta.

— Oh non, personne, et c'est très bien ainsi.

— Pourquoi ?

— Je ne prends pas le temps. Et je suis bien seule.

Ses réponses sont tout aussi encourageantes que désespérantes.

— Je comprends. Des aventures alors ?

Je me rappelle l’évocation d’une liaison avec un client dont a parlé Jennifer.

— Pas vraiment. Ce n’est pas trop mon truc. En revanche, ça doit être le tiens !

Oh ! Beau retournement de situation afin d'arrêter mon flot de questions dérangeantes mademoiselle Cassy. A priori, je ne suis pas le seul à prendre des couleurs. Ses joues se parent d'un joli rose dans la pénombre.

Je souris tout en réfléchissant vite. Bien que cette remarque flatte mon égo, je dois faire attention à ce que je vais lui répondre.

— Et bien, je dirais que je saisis les opportunités.

— Je vois. Et il y en a souvent, je présume.

Je disais quoi ? Qu'elle flattait mon égo ? Marquerais-je des points ? Je regagne un peu d'amour propre et une douce chaleur m'envahit. Rester modeste, à tout prix !

— Je ne me plains pas.

Elle me sourit toujours et baisse les yeux dans sa bière. Un silence s’installe. Je tente de rebondir avant qu'il ne me déstabilise.

— Tu ne dois pas être en reste, même si tu ne sors pas beaucoup. Les clients que tu rencontres doivent bien tomber sous ton charme.

Je lui lance mon plus beau sourire. Elle relève des yeux surpris. Je rougis, encore. Mon ventre tressaute. Décidément, mon assurance se fait la malle comme bon lui semble !

— Parfois, mais ça reste le travail. Il est bon de ne pas mélanger vie professionnelle et vie privée.

Hein ? Quoi ? Une bombe vient d'exploser, c'est ça ? Non ? La terre vient de s'arrêter de tourner ? Ah d'accord. Je me disais aussi...

Je reste scotché. Nous n'avons même pas échangé une heure que c'est déjà terminé. L'uppercut qui vise mon cœur atteint son objectif et me foudroie sur place. Tous mes espoirs s’envolent. Peut-être a-t-elle cédé à un client, riche homme d’affaires, pour des raisons que j’ignore, tout autant que les raisons de leur séparation, mais elle n’est pas prête à refaire la même erreur, et j’imagine encore moins avec un gamin dans mon genre. Merde… Je me sens mal. Vraiment. C'est très désagréable.

— Baptiste, ça va ?

J'ai eu une absence.

— Oui, pardon, j’étais ailleurs.

— Je vois ça. Et l’endroit où tu es allé n’a pas l’air très marrant.

Son humour, son visage souriant, ce regard chaleureux, cette bulle dans laquelle nous nous trouvons subitement, me dérident un peu. Que dois-je faire ? Téméraire et me souciant peu des conséquences, mes habitudes reprennent le dessus. Jouer à quitte ou double me semble la seule solution dans l'immédiat. C'est maintenant ou jamais.

— C’est bien dommage en tout cas.

— Quoi donc ?

— Que tu n’aimes pas mélanger vie professionnelle et vie privée. Tu me plais beaucoup.

Oh putain, je l'ai fait !

La gêne remplace la fierté en un quart de seconde, et envahit tout mon être. Le joli "O" que forme la bouche gourmande de Cassy me sidère tout autant que son regard écarquillé et brillant. Elle est sous le choc. Moi aussi. Je me liquéfie comme un marshmallow chauffé au barbecue. Disparaître sous la table avant de mourir carbonisé.

Dire à une fille qu'elle me plaît, je sais faire. Ce soir, j'ai l'impression de jouer ma vie.

Une forme surgit derrière elle.

— Ah ben te voilà ! On y va ?

— Hein ? Quoi ? Pardon ?

Cassy lève le visage vers Danaé.

— Le concert est terminé et je suis fatiguée. Tu me ramènes ?

J'ai du mal à détacher mes yeux du visage de Cassy. Les siens sont revenus se poser sur moi, indéchiffrables. Toujours en me regardant, elle lui répond.

— Oui, oui, j'arrive.

Elle se lève et remet sa chaise en place. Nous ne nous lâchons pas du regard. Je ne bouge pas.

— Bonne fin de soirée Baptiste. A la semaine prochaine !

Elle me sourit et s'en va, comme si de rien n'était, comme si je ne venais pas de lui faire une déclaration.

Je n'ai même pas le réflexe de lui répondre. Je sens ma main qui se lève pour lui faire un signe, bien qu'elle ne se retourne pas.

Pardon ? C'était quoi ça ? La semaine prochaine ? Il y a quoi la semaine prochaine ?