Fyctia

Franck et Jules se positionnent devant la scène tandis que je reste en fond de salle avec Gustave. Le groupe est bon. Les musiciens sont à fond dans leur show. Je ne suis pas du genre à bouger pendant les concerts, mais là, le rythme m'entraîne et je le suis en tapant du pied et secouant légèrement la tête.

Lorsque je la tourne vers Gustave, nous sommes dans la même position : le verre à la main, l’autre main dans la poche, en appui sur une jambe pendant que la seconde suit la cadence du pied qui tape. J’en souris, il hausse un sourcil avant de tourner la tête pour regarder derrière lui et de se pousser.

Mes yeux suivent le parcours des siens et tombent dans ce regard sombre que j'aime tant, dont la propriétaire vient se placer à mes côtés, avec un magnifique sourire. Oh… Mon cœur manque un inspire.

Je lève les yeux sur Gustave comme si j’avais besoin qu’il me dise comment agir. J’ai droit à son habituel sourire en coin. Il porte son verre à ses lèvres et s’en va. Le bleu de service est de retour, et je suis le bleu !

Le temps que je revienne à l’objet de mon attention, Cassy regarde la scène. Dépité et parce que j’ai quinze ans d’âge mental à cet instant, je scrute le groupe à mon tour, intensément, sans rien tenter. La seule action dont je suis capable est de la regarder, souvent. Et souvent, elle me capte et nous nous sourions. A la fin du premier groupe, je n’ai toujours aucune stratégie. Ma spontanéité, ma facilité à draguer les filles ont disparu.

— Baptiste ?

Cassy m’interpelle et je sursaute. Au lieu d’applaudir le groupe, je fixe le vide en pleine introspection. Quel imbécile !

— Oh pardon ! Oui ?

Elle rit et reprend.

— Je disais que j’ai bien aimé ce groupe.

— Oh oui en effet j’ai bien aimé aussi.

Ouais. Et à part ça Baptiste, qu'est-ce que tu lui racontes de beau ? Je ferme les yeux. Je dois me ressaisir.

— Je t’offre un verre ? Je t’en dois une si tu te souviens bien.

Quoi ?! Cassy propose de m’offrir un verre ? Mais ça ne marche pas comme ça ! Elle va m'émasculer pour de vrai si ça continue.

— Euh… Quand même Cassy, c’est moi qui te l’offre !

— Mais bien sûr.

Elle me lance un regard démoniaque, sourire en coin, et se dirige vers le bar. Elle commande une "Skoll".

— Et pour le monsieur ce sera ?

Elle me fixe, sourcils relevés, dans l’attente d’une réponse à la question qu’elle vient de m'adresser.

— Le monsieur aimerait une pression.

Nous nous sourions et sommes tous deux très attentifs aux gestes du serveur que nous suivons comme si nous étions en apprentissage. Je dégaine de quoi régler les consommations. Je tends le billet au barman au même moment que Cassy, et le temps s'arrête.

Le silence s'installe autour de nous, il n'y a plus qu'elle et moi. Ses sourcils froncés, son regard rieur, le rictus charmant sur sa bouche, et sa main, qui se referme sur la mienne pour que mon billet y reste. Le contact de sa peau intercepte mes neurones et je bugge. C'est qui cette femme ! Qu'est-ce qu'elle me fait !

Une tape violente sur l’épaule me fait sursauter tout aussi violemment. J'en retire ma main de celle de Cassy. Jules ! Il me scrute avec un air moqueur, que dis-je, sarcastique. Je vois son visage se tourner vers Cassy, comme si l’action se déroulait au ralenti. Je suis son regard, elle le dévisage et je ressuscite.

— A la tienne Cassy et merci.

— A la tienne Baptiste. Je t'en prie.

Nous trinquons. Nos regards et nos sourires se retrouvent, mais Jules a décidé de m'enfoncer là où je me trouve déjà. Aurai-je creusé ma propre tombe ?

— Tu ne vas pas me dire que tu viens de te faire offrir un verre par cette charmante demoiselle !

Je recrache la gorgée de bière que je viens de prendre et me tourne face à lui à une vitesse fulgurante, le poing serré, comme si toutes les connections étaient revenues. Je le fusille du regard et il éclate de rire en me tapant une nouvelle fois sur l'épaule avant de s'éclipser.

— Non mais je rêve !

Je parle tout haut sans y prendre garde et j'entends Cassy glousse. Je me tourne vers elle.

— Tu vois, je t'avais bien dit que c'était à moi de te l'offrir ce verre !

Je fronce les sourcils.

— Oh oh mais c'est qu'il t'a piqué au vif. Tu ne vas pas te mettre en colère tout de même ?

Elle me regarde par en dessous, rieuse, et me désarçonne.

— Non bien sûr, mais ça m'énerve.

— C'est un bon ami ?

— Mon meilleur...

Je la regarde en prenant un air contrit, sourcil relevé, bouche de travers. Elle rit à nouveau et je me détends.

Nous restons silencieux un instant et je l'observe. Cassy en version civile ne semble pas plus accessible que la Cassy "responsable marketing". Tout comme le jour de mon intégration à ses côtés, je sens son aura m'envelopper, bienveillante mais gardant son interlocuteur à une juste distance pour elle. Au tailleur pantalon succède une tenue plus rock. Son pantalon en simili cuir et sa veste ceintrée en plusieurs matières noires, près du corps, lui vont à ravir. Elle est vraiment charmante et je me demande encore, pour la première fois de ma vie, comment je vais faire pour la séduire. Je la veux, définitivement, mais comment ?