Fyctia

Il y a encore peu de monde quand nous arrivons avec Jules et le concert n’a pas commencé. Pourtant, toutes les tables sont prises. Nous décidons donc de nous poser au bar en attendant. Comme de coutume, une fois passée commande, nous scrutons les alentours pour trouver une donzelle à nous mettre sous la dent pour l’après spectacle.

L’espace est sombre, la lumière est tamisée. Il me semble malgré tout reconnaître la silhouette qui entre dans le bar, pour rejoindre l’une des tables où sont assis deux filles et un gars. Ma respiration s'accélère quand je percute que ma vision ne me fait pas défaut.

— T’as vu un fantôme ?

Jules me regarde, interrogateur.

— Non. Tu te souviens de la meuf du boulot dont je t’ai parlé ?

— Cassy ?

— Ouais. C’est elle.

Je fais un signe de la tête dans sa direction. Jules jette un coup d’œil à la tablée. Je précise.

— Celle qui vient de s’asseoir.

— Et bien allons la saluer !

Et voilà mon Jules qui s’élance vers le groupe. Je le rattrape par le bras.

— Arrête tes conneries !

— Ben pourquoi ! Tu la kiffes ! C’est l’occasion idéale de la voir en dehors du boulot non ?

— Ouais, mais je t’ai pas raconté les dernières nouvelles.

Il reprend sa place contre le bar et attend patiemment que je lui dévoile l’épisode des esquisses. D’abord stoïque, il finit par exploser de rire en se tapant le genou d’une main.

— Oh putain y’a qu’à toi que ça arrive un truc pareil ! Et tu les lui as dédicacées au moins ?

— Ça va pas non !

— Et pourquoi ! Tant qu’à être pris en flag, autant que ça te serves !

Sa remarque est pertinente. Ça pourrait être une bonne occasion de provoquer quelque chose. Peut-être même pourrais-je aborder le sujet ce soir puisque nous ne nous sommes pas revus depuis. Mais il y’a un hic qui m’arrête toujours.

— Bon t’y vas ?

— Non Ju. Elle est l’une des têtes de la boîte. Si je vais trop loin et que ça merde, je risque de perdre mon job et je n’en ai absolument pas envie.

— Elle a l’air d’être une grande fille. Si ça ne lui convient pas, j’imagine qu’elle saura te le dire sans pour autant te faire virer non ? Et puis elle n’est pas ta boss directe si ?

— En effet…

Je réfléchis quelques secondes. Gustave et Franck ne sont pas encore arrivés. Franck n’étant pas au courant de mes vues sur elle, mieux vaut y aller tant qu’il n’est pas encore là.

Je prends une profonde respiration et je me lance, tel un guerrier qui va à la conquête du Graal. Pas sûr que l’appréhension d’un tel personnage rivalise avec celle que je ressens en cet instant.

— Bonsoir Cassy.

Elle lève ses grands yeux sur moi, que je vois briller à la lueur des lampes situées au dessus de la table. Son sourire s’agrandit en me voyant et mon cœur s’emballe.

— Bonsoir Baptiste. Comment vas-tu ? Tu es ici pour le concert ?

— Oui. Gustave et Franck devraient nous rejoindre d’ailleurs.

— Allons bon ! Une réunion de travail !

Son rire retentit et distille une onde qui s'insinue à une vitesse record jusqu'à mon entrejambe, Pourvu que ça ne se voit pas !

— Tu ne nous présentes pas, Cassy ?

Cassy tourne son visage vers la fille assise en face d’elle qui vient de l’interpeler.

— Oh mais bien sûr. Baptiste, voici Danaé, Mareva et Hugo, des amis. Et … ?

Cassy fixe Jules d’un air interrogateur.

— Jules, je m’appelle Jules. Enchanté.

Il tend la main à Cassy en lui lançant son regard le plus séducteur qui soit, avant de saluer la dénommée Danaé et consorts. Il me fait quoi là !

— Vous vous joignez à nous ?

Danaé a l’air conquise par… moi. Et merde ! C’est pas le plan ça !

— Non, nous allons vous laisser. Je ne voudrais pas te donner l’impression de bosser Cassy.

Je lui lance mon plus beau sourire et lui fait un clin d’œil. Moi aussi je sais faire ! C’est sans compter sur la réactivité de mon cher ami Jules.

— Mais je ne suis pas concerné ! Je veux bien me joindre à vous moi !

Il joint le geste à ses mots et je reste médusé. Jules a rarement l’esprit contradictoire dans ce genre de situation. Pour autant, il tente de s’installer à côté de Cassy et je me colle à la chaise pour l’en empêcher. Finalement, il s’assoit à côté de Danaé, sans me jeter un seul coup d’œil. Il garde ses œillades pour… Cassy. Bordel !

— On peut causer deux minutes en privé là ?

D’abord surpris, il acquiesce en se levant. Une fois en retrait de la table, je le tacle presque contre un mur.

— Tu me fais quoi là putain !

— Quoi ? Tu fais tout un foin parce qu’elle est ta supérieure indirecte. Je ne suis pas concerné. Je ne vois pas pourquoi je ne tenterai pas ma chance !

— Essaie pour voir et je t’éclate la gueule !

Furax, tout mon corps est tendu vers lui. Je penche mon visage si près du sien qu’il en recule, au point d'en être cette fois ci collé au mur.

— OK OK c’est bon ça va.

Je relâche la pression.

— Putain Jules ! Tu me fais quoi là. Pourquoi ?

Je suis subitement perdu. Je ne comprends pas pourquoi mon meilleur pote essaie de me doubler. Que lui arrive-t-il ? Il me sourit et je commence à comprendre.

— Si t’y vas pas Bapt’, un autre ira pour toi.

Les épaules m’en tombent. Je me sens découragé.

— Salut Baptiste.

Gustave et Franck viennent d’arriver derrière nous. Je fais les présentations avant de les informer de la présence de Cassy. La table étant trop petite, ils se contentent d’aller la saluer et nous retrouvent près du bar. Je note pour la première fois, à cette occasion, que Gustave lui fait la bise, mais je ne l'interpelle pas à ce sujet quand il revient. Je creuserai la question plus tard.

Je n’arrive pas à quitter Cassy du regard. Les mots de Jules résonnent dans ma tête. Qu’est-ce que je dois faire ? Ça me mettrait tellement en rogne de la voir se faire draguer par un autre type !

Les premières notes du concert résonnent. Nous quittons le bar pour rejoindre la scène située en sous-sol. J’abandonne Cassy, mais je dois songer à une stratégie d’attaque, au lieu de me morfondre sur un potentiel concurrent à venir.