Fyctia
Chapitre 32 -JACOB
« Les excuses sont faites pour s’en servir. » (Proverbe Wallon)
Après le concert, je discute avec Isabelle et Martin et les félicite pour leur histoire prometteuse.
- Tu sais Jacob, me dit ma sœur, la première fois que je t’ai vu avec Ariana au parc Magnol, j’ai été froide envers elle car je craignais qu’elle te fasse souffrir.
- Tu ne la connaissais pas.
- Non, mais j’ai tout de suite vu que tu y étais déjà énormément attaché. La grande sœur en moi a pris le dessus. C’était stupide de ma part, je m’en excuse et m’excuserai auprès d’elle. Martin m’a raconté ce qu’il s’est passé entre vous.
Il y a trois jours, j’ai raconté toute l’histoire à mon meilleur ami et ça m’a fait beaucoup de bien. C’est lui qui m’a conseillé de mettre une distance entre Ari et moi. C’était très dur mais je pense que c’est ce qu’il fallait. Tout à l’heure, elle est venue à moi et son regard ne trompait pas. Mon père a tout gâché, encore une fois.
- Jacob, reprend Isabelle, Ariana t’aime, c’est évident et tu l’aimes aussi. Oui, vous avez des différends à régler et des questions à aborder mais vous devez le faire ensemble.
- Elle a raison, mec, approuve Martin. Ne fais pas les mêmes erreurs que moi, au risque de gâcher de précieuses années et de la perdre au bout du compte.
Il enlace ma sœur par la taille et la regarde avec un amour non feint. Ils ont raison. Ari et moi ne devons plus laisser la peur dicter notre conduite. Je tourne les talons pour la rejoindre mais notre père m’interrompt encore une fois. Il vient à notre rencontre, accompagné de notre mère, Hélène.
- Les enfants, dit-elle, votre père voudrait vous parler. Martin, tu peux nous laisser s’il te plaît ?
Ce dernier regarde Isabelle qui approuve du regard. Tous les quatre nous installons sur les canapés beiges disposés dans la véranda, près de la grande salle. Mes parents sont sur un canapé, ma sœur et moi sur l’autre. Nous nous faisons face. Tout le monde est parti, nous sommes seuls.
- Tu vas enfin t’excuser ? je lui demande, provocateur.
- Jacob, ne commence pas, me réprimande ma mère. Ce soir, votre père fait un pas vers vous.
- Grâce à toi, non ? lui demande Isa.
- En partie grâce à elle, rectifie Marc.
Il inspire profondément et nous regarde tous les deux.
- Je suis conscient de ne pas être le père que vous auriez aimé avoir. J’ai conscience d’avoir un tempérament colérique. Je sais que ma perpétuelle quête de pouvoir et d’argent fait de moi une personne néfaste pour beaucoup de monde. Seule votre mère me supporte au quotidien et pour ça, elle est un ange tombé du ciel.
Je me rappelle avoir pensé ça quand j’ai vu Ari sur scène pour la première fois. Hélène pose une main sur celle de son mari qui la serre.
- Je dois vous dire que, malgré tout, tout ce que j’ai toujours voulu, c’est que ma famille ne manque de rien. Mon plus grand souhait était que vous puissiez être des adultes forts et indépendants, ayant réussi dans la vie. Mais j’ai réalisé que je voulais que ce soit à ma façon et selon le modèle que mon père et son père avant lui m’avait appris. Pour moi, c’était le seul modèle à suivre et je voulais que vous le suiviez à votre tour. Quelle erreur de ma part.
Ma sœur et moi échangeons un regard, comme pour nous assurer que nous avons bien entendu la même chose. De nouveau, mon père inspire profondément et resserre sa prise sur la main de ma mère. Serait-il ému ? Impossible.
- Je ne vous l’ai jamais dit, mais mon père a été très dur avec moi et il se mettait très souvent en colère, tout comme mon grand-père avec lui. Je devais exceller à l’école, en sport et dans tous les domaines de ma vie. Il m’a enseigné l’importance de l’argent et à être impitoyable pour obtenir ce que je veux et ce que je mérite. Il m’a appris à ne pas laisser mes émotions perturber mon jugement. C’est ce que j’ai toujours appliqué. C’est ce en quoi j’ai toujours cru, tout comme la colère fait partie de moi.
- Quand nous nous sommes rencontrés, dit ma mère, j’ai essayé de lui inculquer mes valeurs. La bienveillance, l’empathie et l’acceptation de ses faiblesses et de celles des autres.
- Te rencontrer a été une bénédiction, lui dit-il. Mais tout était ancré en moi depuis bien trop longtemps. Quand vous êtes nés, je me suis senti investi d’une mission : celle de vous protéger et de vous apporter le meilleur. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir tout raté parce que vous me détestez. Je le comprends.
Notre père est ému, incroyable. Ses paroles me bouleversent. J’ai à peine connu mon grand-père paternel, mort quand j’avais deux ans. J’ignorai tout ça, et je ne me suis jamais interrogé sur son passé et la raison de son caractère. Pour moi, c’était un tyran pour qui je n’étais jamais à la hauteur et rien de plus. Je me sens bête.
- J’ai mis trop de temps à reconnaître mes torts car c’est toujours difficile. A cinquante-six ans, je pensais que c’était trop tard pour changer. Mais grâce à votre mère, mon rayon de soleil, et à vous deux qui m’avez confronté, j’espère que je peux encore changer et surtout être moins dur avec vous.
Il nous prend les mains.
- Je suis désolé. Isabelle, je culpabilise depuis des années de t’avoir envoyé en psychiatrie même si je pensais le faire pour ton bien. Jacob, je suis désolé que tu aies hérité de cette colère que j’ai continué à attiser en te rabaissant. Je suis désolé de toute cette pression que je vous ai infligé. J’espère que vous réussirez à me pardonner. J’espère que ce n’est pas trop tard pour qu’un jour, vous puissiez arriver à vous confier à moi sans avoir peur de mon jugement.
Je n’ai pas les mots. Je pensais ne jamais entendre d’excuses de la bouche de mon père. C’est la première fois de ma vie que je le vois aussi vulnérable.
- Papa, je suis désolé de ne pas avoir cherché à comprendre ton comportement. Je m’excuse d’avoir pensé que maman en avait marre de toi et qu’elle ferait mieux de te quitter. De toute évidence, c’est elle qui t’a toujours aidé à tenir debout.
- Tu as tout compris, mon fils.
- Merci de nous dire tout ça, papa, dit Isabelle, des larmes dans la voix. Ça prendra du temps, mais j’ai décidé de te pardonner. Comme j’ai pardonné à Martin. Ça ne sert à rien de vivre avec de la colère et de la rancœur.
- Merci, ma fille. Tu es vraiment intelligente et tu as un vrai talent d’artiste, même si je ne te l’ai jamais dit.
- Papa, dis-je, je vais tout faire pour te pardonner également. Tu es mon père et j’ai besoin de toi, même si je ne vivrai pas ma vie qu’en fonction de toi.
- Tu as parfaitement raison. L’hôtellerie n’est pas ta vocation, je l’ai bien compris cet été.
Il rit et nous rions avec lui. J’aimerais l’entendre rire plus. Des larmes coulent sur le sourire de ma mère et elle et mon père se lèvent. Elle nous prend dans ses bras. Il reste en retrait mais je l’invite à nous rejoindre. Il nous enlace à son tour, d’abord hésitant puis avec plus d’entrain. Le nœud de colère dans mon estomac se dissout. J’espère que cette fois, c’est pour toujours.
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