Fyctia
Chapitre 29 - JACOB
« Doutez, si vous voulez, de celui qui vous aime, d’une femme ou d’un chien, mais non de l’amour même. » (Alfred DE MUSSET)
Bruno est hargneux. Il me frappe en plein dans le ventre et j’ai la respiration coupée.
- Bruno ! hurle Ariana.
- Jacob ! dit Mathilde en venant vers moi.
Je la croyais partie mais je suis content qu’elle au moins se soucie de moi. Je me redresse et me jette sur Bruno et sa tête de con. S’ensuivent des coups de pieds, des poings et j’ai envie d’étrangler ce type. Les filles tentent de nous séparer. Je me dégage de l’une d’elles et j’entends un boum sonore. Je retrouve aussitôt ma lucidité et me relève pour découvrir Ariana au sol, contre le mur.
- Merde ! Ari, je suis désolé, dis-je en accourant vers elle. Je ne voulais pas…je ne te ferai jamais de mal, tu le sais ?
Le regard larmoyant qu’elle m’adresse brise mon cœur.
- Laisse moi, Jac.
- Non, je ne peux pas. Je vais t’emmener aux urgences…je…
- Non, ma tête va bien. Je veux juste être seule.
Je sens mes forces m’abandonner. Mathilde m’aide à me relever et à enfiler mon polo et mon short. Je me laisse faire, telle une poupée de chiffon. Mon ventre et ma joue gauche me font un mal de chien. Il a frappé fort. Heureusement que ma main gauche est cicatrisée. Mathilde m’entraîne à l’extérieur de la chambre et je tente encore de comprendre comment on a pu passer d’un moment idyllique à cette catastrophe. Je la suis sans broncher. C’est seulement quand je reconnais l’endroit que je l’arrête.
- Tu m’emmènes voir mon père ? Tu crois vraiment que je suis en état ?
- Tu ne veux pas faire payer à cette chanteuse stupide son comportement ? Tu es dingue d’elle, elle ne te mérite pas.
- Depuis le début, elle a des doutes sur notre histoire. J’avais réussi à les faire partir…enfin, je le pensais.
- Elle ne sait pas ce qu’elle veut et je te conseille de ne pas attendre de savoir si elle te choisit à la place de sa carrière. Elle ne le fera pas.
- Pourquoi ne pourrait-elle pas avoir les deux ? Je ne comprends pas…
Mathilde me prend les mains.
- Jacob, les chanteuses sont toutes les mêmes. Peu importe ce que tu feras, c’est sa carrière son objectif et même si ça lui fait mal de te sacrifier, elle le fera.
Ses paroles sont horribles, je ne veux pas les croire. Mais je ne peux ignorer cette petite voix qui me dit : et si elle avait raison ? J’ai du mal à respirer. Je sens mes jambes se dérober. Tout à l’heure, nous étions dans une alchimie parfaite. Je ne peux pas croire qu’Ariana me sacrifiera. Mathilde vient à mes côtés pour me soutenir.
- Tu dois dire à ton père qu’elle ne cesse de te draguer et de tenter de faire foirer notre histoire. Il sera furieux et ne financera pas le groupe. Je veux bien continuer notre fausse relation jusqu’à la fin de l’été. Ton père verra que tu as réussi ces deux mois en tant qu’adjoint et surtout, que tu es resté avec moi. Il sera fier de toi. Après, tu pourras toujours quitter l’hôtellerie et arrêter notre histoire.
- C’est horrible de faire ça à Ariana. Et oui, mon père sera fier de moi sur le moment mais après, il recommencera à me rabaisser.
En cet instant, je suis épuisé et trop d’émotions se bousculent en moi. Pourtant, je prends conscience d’une chose primordiale :
- Je n’en ai rien à faire qu’il me rabaisse. Je viens seulement de le réaliser.
Mathilde me dévisage.
- J’en ai marre de vivre ma vie en fonction de lui, ça fait trop longtemps que ça dure. J’ai toujours voulu qu’il soit fier de moi mais c’est parce que j’étais perdu. Je me suis convaincu que je ne pourrais être serein et avancer que lorsque mon père validerait mes choix. Mais c’était stupide. Ariana m’a aidé à le comprendre.
- Jacob, tu es sûr que tu vas bien ?
- Oui. Je suis dévasté parce que je ne sais pas si Ariana m’aime autant que je l’aime mais je ne me suis jamais senti aussi bien vis-à-vis de moi et de mes choix. Merci Mathilde.
- Pour quoi ?
- Tes paroles m’ont fait comprendre beaucoup de choses. Et merci de m’avoir soutenu.
Elle m’adresse un faible sourire et je me dégage de son emprise.
- Jacob, attends.
Je l’ignore, conscient que, si je me retourne, ma détermination flanchera. J’inspire et j’expire profondément avant de frapper à la porte de son bureau. J’entre avant d’entendre la réponse. Il est de dos et il regarde par la fenêtre. Il doit contempler son empire.
- Papa, je dois te parler.
Il se retourne pour me faire face.
- Je t’écoute. Après, on parlera de tes performances professionnelles.
Je soupire puis je me lance :
- Je sais que je t’ai déçu de nombreuses fois. J’en suis désolé mais je ne m’excuserai plus d’être moi-même. Je me suis longtemps cherché, j’ai erré pendant des années. J’ai toujours voulu te rendre fier et ne pas réussir m’énervait, en plus d’avoir cette colère en moi que je ne parvenais pas à maîtriser. J’ai encore du mal à le faire.
- Laisse moi deviner, tu penses que cette colère vient uniquement de moi ?
- A ton avis ? Tu es le seul exemple masculin que j’ai. Quand j’étais petit, tu te mettais en colère pour la moindre contrariété. Je t’ai entendu crier sur tes salariés un nombre incalculable de fois. Et cette pression que tu nous as mis, à Isa et moi, ça nous a fait péter les plombs. Je t’en veux aussi pour ce que tu lui as fait. Toute ma vie, j’ai voulu que tu sois fier de moi parce que tu es mon père. J’ai réalisé aujourd’hui que j’en avais assez de vivre ma vie en fonction de toi. Je n’en peux plus de cette colère qui me bouffe. A partir d’aujourd’hui, tout ça va changer.
Grâce à Ari, en grande partie. Ça fait vraiment du bien de le confronter. J’aurais dû le faire il y a bien longtemps. J’attends sa réponse mais il se contente de me fixer, impassible.
- Tu as fini ?
Je soupire, déçu, même si ce genre de réactions ne m’étonne pas.
- Oui, j’ai fini. Qu’as-tu à dire ?
- Simplement que ce n’est pas trop tôt pour que tu te comportes comme un homme adulte et mature.
Sérieusement ? Ma colère remonte à la surface.
- Tu es sérieux ? Tu vas me dire que toutes ces provocations et cette pression, c’était pour me faire grandir ?
- En partie, oui. J’en avais assez que tu gâches ton potentiel en t’apitoyant sur ton sort et en faisant tous les mauvais choix possibles. Concernant ta sœur, je l’ai fait admettre en psychiatrie pour son bien. J’ai l’impression que ça a marché.
Je n’en crois pas mes oreilles.
- Tu n’aurais pas pu me le dire avant ? Parler avec moi ? Ça m’aurait aidé à avancer.
- Tu devais te faire tes propres armes et comprendre les choses tout seul, Jacob. Je l’ai fait et regarde où j’en suis.
- Cet empire dont tu es si fier sera ce qu’il te restera à la fin. Tu auras perdu tes enfants et ta femme. Le « marche ou crève » ne fonctionne pas avec tout le monde.
Je tourne les talons, épuisé.
- Pour information, dis-je avant de claquer la porte, je ne suis pas avec Mathilde et je veux devenir écrivain.
Maintenant, je vais devoir attendre, me reposer et laisser le temps faire son œuvre.
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