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Chapitre 17 - JACOB
« Rester en colère, c’est comme saisir un charbon ardent avec l’intention de le jeter sur quelqu’un ; c’est vous qui vous brûlez. » (BOUDHA)
Deux semaines que je suis et je ne me sens pas à ma place. Je prends mon travail au sérieux et essaie de le faire du mieux que je peux. J’assiste à toutes ces réunions ennuyeuses au cours desquelles aucune décision n’est prise ainsi qu’à toutes ces soirées pompeuses. Mais ça ne lui suffit pas. Marc Boudoir trouve toujours quelque chose à redire. Il est clair que j’ai ce poste uniquement parce qu’il pense que je suis avec Mathilde. Je ne m’exprime jamais assez bien, je ne remplis pas assez bien ces putains de dossiers, je ne me rappelle pas les noms de tous les clients…Ça me rend triste et en colère. J’ai plusieurs fois vidé le mini-bar de ma chambre et j’ai beaucoup couché avec Mathilde. Mais au moins, je ne me suis pas battu. Après ma discussion avec Ariana, je me suis saoulé mais je ne me suis pas battu. Je n’arrive pas à me faire à cette ambiance de gens riches qui boivent des cocktails au bord de la piscine toute la journée, tout en colportant et modifiant le moindre petit ragot croustillant. Je l’avais déjà réalisé dans mon précédent boulot mais c’est clair maintenant, je ne suis pas fait pour l’hôtellerie de luxe. Mathilde est à son aise dans cet environnement et m’entraîne partout où son ex peut nous voir ensemble. Ce petit jeu me pèse et je me demande pourquoi j’endure tout ça. Mon père sera-t-il un jour fier de moi ? Que vais-je bien pouvoir faire de ma vie ? J’ai vingt-quatre ans et je suis perdu. J’écris mes pensées tourmentées sur mon journal, Doudou à mes pieds, quand ma mère vient me trouver.
- Ton père veut que tu licencies des salariés de l’hôtel, me dit-elle simplement.
Je pose mon stylo et lève les yeux vers elle.
- Pardon ?
- Oui, il veut en licencier dix.
- Et c’est à moi de leur annoncer ? Sérieusement ?
Une colère familière afflue dans mes veines.
- Ça fait partie des rôles de l’adjoint. Là-dessus, il a raison.
- Je pense surtout qu’il se décharge. C’est à moi de faire le sale boulot. Quel motif dois-je donner à ces pauvres gens ?
Je sens qu’elle est mal à l’aise. Elle triture une de ses longues mèches blondes. Ma mère est une très belle femme, grande et élancée. Mais à chaque fois que je la vois, je la trouve plus mince, plus cernée. Vivre avec mon père doit l’épuiser.
- Raisons budgétaires, j’imagine, me dit-elle. Tu ne…
Je ne lui laisse pas le temps de continuer et quitte mon bureau d’un pas décidé, Doudou sur mes talons. J’arrive à celui de mon géniteur et j’entre sans prendre la peine de frapper.
- Bonjour Jacob, me dit-il avec cet air hautain qu’il adopte souvent en ma présence.
- C’est plus facile pour toi d’envoyer maman m’annoncer des choses aussi cruelles. Tu sais très bien comment je vais réagir. Tu n’as pas le cran de m’affronter !
- Je ne vois absolument pas de quoi tu parles, dit-il en regardant son ordinateur comme si je n’étais pas là.
La colère enflamme mon corps. Je ferme violemment son écran.
- Je ne licencierai pas ses gens. Pas sans raison valable.
- Qui te dit qu’ils n’ont pas commis de faute ?
- Te connaissant, je suis sûr qu’il n’en est rien. Tu les jettes comme des déchets simplement parce qu’ils te coûtent trop cher.
Il lève un regard glaçant sur moi et je me sens de nouveau comme un enfant rebelle qui va se faire corriger.
- Tu les licencieras, Jacob. Ça me prouvera, ainsi qu’au conseil d’administration que tu as « le cran » pour ce poste d’adjoint. Pour le moment, rien n’est moins sûr. Tu dois montrer que tu es sorti de ta mauvaise passe et que tu es un adulte responsable maintenant.
Mauvaise passe ? Je vais commettre un parricide. Doudou se frotte à ma jambe, sans doute pour m’apaiser.
- Je vais toujours mal, papa, et tu le sais. Je fournis des efforts dans ce nouveau poste. Des efforts que tu ne remarques même pas.
Il soupire et se lève. Nous faisons la même taille mais j’ai l’impression qu’il me domine.
- Quand arrêteras tu de pleurnicher, Jacob ? Si tu as ce poste, c’est surtout grâce à Mathilde et sa famille influente. Estime toi déjà heureux que je ne raconte pas à tout le monde que tu as vu trois psys et que tu es un alcoolique colérique et incapable de garder un travail plus de…
Je ne le laisse pas finir et l’attrape par le col de sa chemise. Je crois deviner de la peur dans ses yeux, un court instant seulement mais ça me fait du bien…puis je pense à ce qu’il vient de dire et réalise que je réagis exactement comme ce qu’il a décrit. Je le relâche et me recule.
- Tu vas annoncer ce licenciement, dit-il en lissant son col. Je te donne une semaine pour obéir.
La rage m’envahit mais je ne veux pas ressortir de mes gonds.
- Je te déteste, papa, lui dis-je en partant. Mais sache que l’homme que tu as décrit, ce ne sera bientôt plus moi.
2 commentaires
Irina Brima
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Il y a 3 mois
Salma Rose
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Il y a 3 mois