Fyctia

« L’émotion qui annonce l’amour est une sorte d’ivresse où se trouvent mêlés la crainte et l’espoir du plaisir. » (Emile-Auguste CHARTIER)

Ce serait tellement facile de me laisser aller contre, mais la peur me tétanise. La peur ce que je ressens quand il est près de moi, la peur de souffrir si je me lance dans une relation avec lui…et la peur qu’un jour il se désintéresse de moi pour aller avec une fille plus svelte et plus intéressante.

- Que dirait ta petite amie si elle te voyait ici ce soir ?

Un rire sans joie s’échappe de sa bouche. Il se détache de moi. Je ressens immédiatement un vide. Fais chier.

- Ne change pas de sujet. Il n’y a rien de sérieux avec Mathilde…mais ça peut le devenir. Ça dépend de plein de choses, mais surtout de toi.

- Ça ne peut pas dépendre de moi, Jacob. On se connaît à peine…

- Bizarre, tu ne parles pas de ton copain qui dort dans ton lit.

Son ton est plus dur et plus cassant. Je l’ai blessé et ça me fait de la peine. Mais il le faut pour qu’il reste à distance.

- Nous ne sommes pas vraiment ensemble. C’est mon ami…et plus si affinités.

- Ariana, tu as vraiment un sex friend ?

Je rougis, gênée.

- Je ne pensais vraiment pas que c’était ton genre, dit-il d’un air dédaigneux. En plus, tu joues avec les sentiments de ce pauvre type qui doit être dingue de toi.

Ma colère monte d’un coup.

- Tu ne le connais pas, Jacob. Et tu ne me connais pas. Ce n’est pas avec des souvenirs d’adolescent et une soirée qu’on connaît vraiment quelqu’un. Si j’ai envie d’avoir un sex friend, je ne vois pas en quoi ça te regarde. Tu es mal placé pour juger, tu cherches à être avec moi alors que tu étais collée à Mathilde il y a à peine deux heures. Bravo.

- Je ne suis qu’un coup d’un soir pour toi ?

- Tu mélanges tout, Jacob. Je pense que nous avons assez discuté maintenant et nous allons réveiller Bruno. Retourne voir ta riche copine, je retourne voir mon sex friend. J’ai cru comprendre que tu es adjoint de cet hôtel alors tant mieux pour toi, profite de cette opportunité. Quant à moi, je vais tout faire pour convaincre ton père et les clients du talent de notre groupe.

Je le contourne et m’apprête à retourner dans ma chambre.

- Jacob, est-ce toi qui a dit à ton père et à David d’embaucher mon groupe pour cet été ?

- Tu n’es pas le centre de mon monde Ariana, contrairement à ce que tu pourrais penser. Je ne connais même pas David. Les amis de mon père ne sont pas mes amis.

- Tant mieux. Sinon, ça aurait voulu dire qu’il l’aurait fait pour toi et non pour notre musique.

Il s’approche de moi et pose son bras sur l’embrasure de la porte-fenêtre.

- N’importe qui possédant des oreilles pourrait affirmer que tu as une voix incroyable.

Ce compliment me touche beaucoup. Je suis tellement tiraillée entre ma colère, mes objectifs et mes sentiments. Je sens que mon corps tout entier veut se rapprocher de lui. Mais mon cerveau est toujours plus fort.

- Merci, Jacob. Ne fais pas trop de bruit en fermant la porte.

Il se dirige vers ladite porte et avant de partir, me regarde tristement.

- Je pense que c’est mieux qu’on évite de se croiser…du moins pendant quelques jours.

Ses paroles font saigner mon cœur mais j’acquiesce en silence. Quand la porte se ferme, je m’effondre sur le sol. J’ai été tendue pendant toute la durée de notre échange et j’ai bêtement envie de pleurer. Bruno semble ne rien avoir entendu car il ronfle paisiblement. Je le rejoins et essaie de ne pas penser à lui. La meilleure chose que je trouve à faire est de me connecter sur Instagram pour regarder les avis sur le concert du soir. David a publié plusieurs photos et vidéos et je n’arrive pas à me trouver belle. Sur aucune d’elle. Je trouve même que j’ai pris des joues. Je vais devoir manger moins. L’euphorie d’après concert a vite été remplacée par la tristesse et l’amertume. Revoir Jacob m’a remué et en plus, je me trouve grosse. Quand l’être humain est mal, on dirait qu’il cherche des moyens pour aller encore plus mal. Je ne fais pas exception à la règle et je lis les commentaires négatifs sous les photos des BACJ. Les critiques sur ma voix m’atteignent moins car je sais que j’ai du talent. Les critiques sur mon physique, en revanche, passent très mal. « La chanteuse ressemble à un hamster », « sa robe lui va mal, on dirait un sac à patates », « grosse vache »…Je ne prends pas la peine de lire les positifs, alors qu’ils sont en majorité. Je supprime une à une les remarques des haters et ça me prend une bonne partie de la nuit. J’ai envie de manger du sucre. Mais je suis déjà grosse. Alors je poste sur ma page nouvelle créée avec Justine, intitulée « Balance ton poids ». C’est une page publique dédiée aux personnes souffrant de grossophobie et de problèmes de surpoids et d’obésité. Je poste les situations qui me posent souci, les abonnés me répondent. Ils m’envoient souvent des messages privés en me racontant leurs problèmes et j’essaie d’y répondre au mieux. Ce n’est pas une association, comme évoquée avec Jacob il y a un an, mais plus du soutien et de l’écoute. Ça m’aide comme ça les aide, même s’il y a encore du travail pour moi. Le but étant de rencontrer tous ces gens un jour. Pour le moment, je ne pense pas en être capable. Je n’ai évidemment pas relié le nom du groupe à cette page et j’agis avec un pseudo « Fraise citronnée ». Tandis que je raconte mes pensées négatives du soir, je réalise que cette page existe grâce à Jacob, tout comme ce pseudo. Je l’ai bien plus dans la peau que je ne le pensais…