Fyctia
Chapitre 9 - ARIANA
« J’ai appris beaucoup en écoutant attentivement. La plupart des gens ne sont jamais à l’écoute.» (Ernest HEMINGWAY)
- Grâce à ma mère, j’ai fini ma terminale à la maison. J’ai commencé une grève de la faim. Je ne supportais plus mon corps. Il était à l’origine de tous mes problèmes et je voulais le punir pour ça. Ma mère m’a acheté un punchingball et ça m’a aidé à me défouler et à évacuer ma douleur.
- Je connais cet exercice, ça fait du bien.
- Ensuite, j’obtiens mon bac. Après de nouvelles négociations avec mes parents, surtout avec mon père, ils acceptent que je prenne une année sans rien faire d’autre que m’occuper de moi. Ma mère est inquiète et me pousse à voir une psychologue. Ça m’a fait du bien mais le problème était ancré au fond de moi. Je m’inscris dans un club de boxe et dans une salle de sport, dans lesquels je ne subis aucune moquerie, ou du moins je ne les entendais pas. Ma carapace était née, pour que plus rien ne m’atteigne. A la salle de sport, j’ai suivi un coaching qui m’a permis de me muscler et de changer mon alimentation durablement. C’était très dur mais j’étais déterminée. A mes dix-neuf ans, j’avais perdu dix kilos et je me sentais bien mieux dans mon corps, même si pour moi, je ne serais jamais assez mince.
- Tu es pourtant tellement belle, me dit-il tendrement.
Cette tendresse me déstabilise autant que ses paroles. Je rougis. Décidément, cet homme me perturbe énormément.
- Merci Jacob…Bref, je finis par m’inscrire au conservatoire de Montpellier et j’obtiens mon Diplôme d’Etudes Musicales (DEM) après trois ans d’étude. Durant ces trois ans, je réussis à créer des liens avec les gens de ma classe. C’est incroyable comme c’est plus simple avec un IMC presque normal. Tout comme c’est plus simple de créer des liens avec une nouvelle coupe de cheveux, des nouvelles fringues et surtout la même passion que les autres. Pour être plus indépendante, j’ai bossé dans un supermarché les vacances et le samedi. J’ai aussi vécu ma première relation amoureuse avec un ancien membre de mon groupe de lycée, Valentin.
- Tu es resté longtemps avec lui ?
- Trois ans et cette relation m’a fait du bien même si j’ai toujours su que ça ne durerait pas. A la fin de l’école, il a décidé de continuer ses études pour devenir professeur de musique. Il avait perdu cette envie de devenir un musicien et de jouer sur des grandes scènes. On s’est séparés à ce moment-là. Moi, j’avais toujours l’envie et le besoin de vivre de ma passion. Je devais tenir la promesse faite devant tous ces gens pleins de haine. Je devais devenir une star…et je le dois toujours.
- Ce Valentin est bien idiot d’avoir laissé partir une fille comme toi. Mais tant mieux pour les autres.
Je soupire.
- Tu ne me connais pas assez pour dire ça, Jacob.
- Alors, j’aimerais bien te connaître plus.
Je soupire de nouveau avant de continuer :
- J’aurais normalement dû m’inscrire à un institut à Aix-en-Provence pour tenter d’obtenir un autre diplôme pour devenir artiste/interprète. Mais je voulais vivre de mon rêve tout de suite. Pour ça, j’ai voulu redonner une chance à notre groupe. J’ai mis du temps à convaincre Justine et Christophe mais j’y suis parvenue en leur parlant de ma promesse. Eux aussi voulaient prendre leur revanche. Pour le guitariste, les petites annonces nous ont vite amené à trouver Bruno, qui était un peu perdu dans sa vie. En plus de la guitare, il chante.
- Bruno c’est le rottweiler…
- Oui, dis-je en riant. J’ai utilisé mes économies pour acheter du matériel de qualité et nous avons recommencé à interpréter des reprises et à créer nos chansons. C’est ainsi que le groupe BACJ est né. Bruno, Ariana, Christophe, Justine. Pas très original mais ça nous plait. Nous avons posté des vidéos sur Youtube presque tous les jours. La peur de nous faire insulter et moquer était omniprésente, malgré ma carapace. Des critiques, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Globalement, les commentaires étaient très positifs. Les gens adoraient. Puis il y a quelques semaines, nous avons été contactés par un manager qui aimait notre style et a voulu qu’on lui montre ce qu’on vaut en concert.
- Et c’est pour ça que vous avez joué ce soir. Bizarre comme première scène.
- Oui j’ai eu le malheur de lui parler de ma période désastreuse au collège. Il a pensé qu’affronter mes démons pouvait me donner le courage de dépasser mes limites. J’espère que ça a fonctionné.
- Tu peux me croire, je pense que oui. Tu étais merveilleuse sur scène.
S’il continue à me sortir des phrases comme ça, je vais craquer. Ça n’apporterait rien de bon. Mais j’ai tellement envie de me confier davantage à lui, ça me fait vraiment du bien. Il se rapproche de moi et passe un bras hésitant autour de mes épaules.
- Tu peux continuer à parler si tu en ressens le besoin.
Il ne m’en faut pas plus pour continuer.
- Ce rêve de devenir une star est tellement important, pour moi, mais j’ai peur. J’ai peur de grossir de nouveau et de ne jamais réussir à percer à cause de mon physique. J’ai peur que tout le monde se moque de nouveau de moi. Cette fois-ci, je ne pourrais pas le supporter…
Ma gorge se serre. Je devais retenir ses émotions depuis trop longtemps.
- Je dois vraiment faire attention à ce que je mange, tout le temps…Qui voudrait aller voir une chanteuse qui ressemble à une baleine ? Ma carrière est tout ce qui compte pour moi en ce moment. Le concert de ce soir était bien…mais je veux en faire plein d’autres et pour ça, je ne peux pas reprendre du poids…je dois même continuer à perdre, je…
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase qu’il m’attire contre son torse. Je me raidis mais quand je respire son doux parfum ambré, je me détends…jusqu’à fondre en larmes. Ce n’était absolument pas prévu. Le trop plein d’émotions et de stress procuré par ce concert, les retrouvailles avec Jacob, toutes ces années de harcèlement, tout remonte à la surface ce soir. Je ressens ses bras solides autour de mon corps et je perds la notion du temps.
- Je suis désolée, dis-je entre deux sanglots.
- Non c’est moi qui suis désolé. Encore et tellement désolé. Je suis désolé de ne pas avoir pu te défendre contre ceux qui t’ont fait du mal. Je suis désolé pour ce que tu as subi. J’aurais aimé être là pour te défendre de nouveau.
Je renifle et relève la tête pour le regarder.
- Tu as été là, Jacob. Pendant une année, les choses étaient un peu plus supportables grâce à toi. J’ai été triste quand tu n’as pas répondu au message que je t’ai envoyé ce fameux jour où ma vie a basculé et j’étais triste que tu ne sois pas venu.
- Je ne m’en souviens pas mais je m’excuse.
- Je ne t’en veux pas. Nous étions des adolescents, avec chacun nos propres tourments. C’est du passé tout ça.
Je me libère de ses bras et regarde le ciel étoilé.
1 commentaire
Irina Brima
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Il y a 3 mois