Fyctia
Chapitre 1
Quelques jours plus tôt...
- Amelia ! Reviens !
Ma mère hurle depuis le pas de la porte. Sans jeter un regard en arrière je me précipite vers la route qui mène à la forêt. C'est le seul endroit où je peux être seule et j'ai désespérément besoin de l'être. Les larmes coulent le long de mes joues et mon cœur se brise un peu plus à chaque fois mes pieds foulent le sol. J'ai envie d'hurler contre le monde entier mais surtout contre mon père et contre son boulot que je déteste depuis toujours. Pourquoi a-t-il fallu qu'il soit militaire ?
La première fois qu'il est parti en mission, j'avais 6 ans et je n'ai pas bien compris pourquoi mon père m'avait réveillé en pleine nuit, en larmes, pour me dire qu'il m'aimait. Il est parti pendant presqu'un an et quand il est revenu, je lui en ai voulu de ne pas avoir été là pour mon anniversaire. Mon esprit de petite fille n'avait pas compris qu'il aurait très bien pu ne jamais revenir alors j'avais boudé pendant deux heures et puis j'avais oublié pourquoi je lui en voulais quand il m'avait offert un gros ours en peluche noir.
La deuxième fois où il est parti, j'avais 11 ans et cette fois j'avais compris. J'ai pleuré avec lui quand il est venu me dire au revoir en pleine nuit. Je l'ai supplié de ne pas partir mais il a répondu qu'il n'avait pas le choix. Encore une fois, il m'avait dit qu'il m'aimait et qu'il reviendrait bientôt en me faisant promettre d'être sage avec ma mère. Je me suis vengée sur elle, sans voir qu'elle aussi elle souffrait de l'absence de son mari. La première fois où je l'ai entendu pleurer, j'ai réalisé que je n'étais pas la seule à souffrir et j'ai tout fait pour me faire pardonner. On s'est beaucoup rapprochées à cette période, je suppose que la peur à ce pouvoir de souder les gens.
Toujours est-il que quand mon père est revenu, je n'ai pas fait que bouder : je l'ai totalement ignoré pendant une semaine. J'aurais pu continuer plus longtemps si ma mère ne m'avait pas demandé d'arrêter pour elle. J'ai vu ses yeux pleins de larmes et j'ai pardonné à mon père. Il s'est excusé de son absence, il a encore répété qu'il m'aimait mais je n'arrivais toujours pas à lui pardonner. J'ai réussi quand il m'a pris les mains et qu'il m'a regardé droit dans les yeux en me jurant qu'il ne repartirait plus jamais, que c'était terminé.
Et je l'ai cru.
La troisième fois, c'est aujourd'hui et j'ai 17 ans. Ils sont tous les deux venus s'asseoir sur le bord de mon lit, ma mère avait les larmes aux yeux et mon père ne me regardait pas. J'ai compris sans qu'il n'ait besoin de le dire, la souffrance que j'avais déjà ressenti à l'idée de son départ, à l'idée qu'il allait nous abandonner encore une fois est revenue en mille fois plus fort, parce que cette fois, il avait promis que cela n'arriverait plus. Ma voix n'a même pas tremblé quand j'ai demandé :"Quand ?". La sienne était faible et brisée quand il a levé les yeux sur moi pour répondre : "La semaine prochaine." Ma voix a résisté et ne s'est pas cassée quand j'ai craché toute ma colère, contenue dans trois mots que je n'ai même pas eu besoin de hurler :"Je te déteste".
La température a chuté de quelques degrés après ça, ma mère a laissé s'échapper un sanglot et mon père a laissé des larmes couler sur ses joues. Je n'ai réagi qu'au moment où il a voulu me prendre dans ses bras pour s'excuser. J'ai brusquement retiré ma main et je me suis précipitée dans les escaliers. J'ai juste enfilé une veste et mes baskets avant de sortir.
Maintenant, je cours sans m'arrêter comme si cela pouvait m'aider à oublier ses stupides missions dans des zones de guerre qui brisent à chaque fois un peu plus notre famille.
Depuis quelque temps, la forêt à côté de chez nous a été clôturée et des panneaux indiquent qu'il est interdit d'y pénétrer. On dirait une zone militaire, d'habitude je ne franchis jamais la barrière parce que mon père m'a fait promettre de ne pas y aller, mais aujourd'hui, je ne vois pas pourquoi je tiendrais ma promesse alors que lui ne le fait pas. Donnant donnant Papa.
Je m'approche donc de la clôture et l'escalade en dix secondes je l'ai franchi. J'atterris dans les feuilles de l'autre côté. Je me redresse et observe les arbres qui me font face. Je cours vers les bois sans aucune hésitation.
Je ne vois même pas la caméra braquée sur la clôture.
****
La sensation de liberté qui me submerge est merveilleuse. A ce moment, je ne comprends vraiment pas pourquoi je ne suis pas revenue dans cette forêt plus tôt. Je me sens mieux ici, je sais que chez moi m'attend la réalité et j'ai envie d'y échapper encore un peu, si c'est possible. Je secoue la tête et essaie d'oublier toute ma haine et ce qui m'a conduit ici.
Perdue dans mes pensées, je ne remarque que je suis arrivée au ruisseau qu'au moment où mes chaussures plongent bruyamment dans l'eau. Je m'arrête net et observe les alentours : rien a changé ici, seuls se font entendre les oiseaux, le bruit de l'eau et les feuilles qui bougent avec le vent. Je m'approche du rocher qui surplombe le ruisseau et l'escalade. Je m'assois sur le bord et laisse mes pieds pendre dans le vide. Je me perds dans mes pensées et essaie d'analyser ce que je ressens.
La colère domine, mais aussi autre chose que je mets un moment à identifier : la peur. Peur qu'il parte pour ne plus jamais revenir parce que je sais que je ne serais pas assez forte pour supporter la situation et voir s'effondrer ma mère en même temps que ma vie. C'est presqu'une peur panique qui s'éveille en moi, je lui en veux parce que c'est à cause de lui et qu'il pourrait nous épargner cette douleur juste en arrêtant de risquer sa vie. La partie de moi égoïste voudrait qu'il arrête ce métier pour rester à nos côtés mais je sais qu'il ne le fera jamais parce qu'il aime aider les gens. Mais c'est mon père et j'ai besoin de lui ici, pas à l'autre bout du monde
Mes pensées sont interrompues par des voix qui proviennent de derrière moi. Je me fige et ma curiosité prend le dessus, je m'approche de l'origine des voix. Je me retrouve accroupie derrière un arbre. Deux hommes s'approchent en courant des armes à la main.
Le premier parle dans un talkie-walkie :
-Ici l'équipe Delta, nous nous dirigeons vers le point d'entrée Sud, toujours aucune trace de l'intrus. Demandons l'autorisation d'utiliser Brutus.
-Bien reçu équipe Delta, autorisation accordée. Une autre voix résonne depuis la radio.
Le deuxième homme fait demi-tour et se dirige vers un fourgon que je n'avais pas encore vu. Il donne un grand coup sur la porte et hurle:
-Debout !
Des grognements animaux retentissent, et quand la porte s'ouvre, quelque chose en jaillit. Mes sourcils se fronçent quand j'aperçois un jeune homme de mon âge : pourquoi ils lui donnent un nom de chien ?
Mais quand il relève la tête, je comprends. Il est torse-nu et porte seulement un jean déchiré. Ses avants-bras et les bas de ses jambes sont ceux d'un animal et des oreilles pointues et poilues émergent de ses cheveux.
Cette créature n'a rien d'humain.
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