Fyctia

Blake

29 Novembre, Denver.

Aujourd’hui encore, la neige tombe en lourds flocons derrière les vitres du Beaumont Luxuries. Elle transforme Denver en une carte postale de Noël trop parfaite et accentue ma mauvaise humeur. Dans la vitrine, un décor féerique s’ouvre aux yeux des aficionados. Un immense sapin orné de guirlandes dorées, des mannequins drapés de manteaux en cachemire, et une fausse cheminée où crépite une flamme artificielle. À l’intérieur, l’air sent la cannelle et le pain d’épices. Un parfum qui est diffusé intentionnellement dans tout le magasin, pour encourager les achats impulsifs.

Dans deux jours, décembre sera là et avec lui la frénésie qui accompagne le dernier mois de l’année. 

Mon Dieu, que ça va être long !

Après un énième soupir, je traîne des pieds derrière Livia. Je reste engoncé dans mon manteau, le col relevé, aussi réfractaire à l’esprit des fêtes qu’un chat face à un bain.

— T’as vraiment besoin de tout ça ? je grogne en la regardant déposer une pile de pulls dans les bras d’un vendeur trop bien coiffé.

Elle se tourne vers moi, faussement choquée.

— Évidemment ! On va en montagne, Blake. Tu veux que je gèle ? Fait déjà pas bien chaud en ce moment, ce sera pire à Aspen.

— J’te rappelle que les chalets ont

le chauffage au sol et une cheminée dans chaque. Par contre, TU pars en montagne, je rectifie.

Elle me claque un pull en laine rouge contre le torse.

— T’as sûrement oublié que moi, j’aime être stylée, même sous zéro degré. J’ai une réputation à préserver. C’est pourquoi tu ne peux pas m’abandonner !

Allez, opération sentiments enclenchée…

Je soupire et lève les yeux au plafond, où des lustres scintillent comme une galaxie de diamants. L’ambiance du magasin est oppressante. Trop de doré, trop de luxe affiché. Ça me rappelle une autre époque. Une époque où je pensais naïvement appartenir à ce monde. Une époque où Ronan murmurait des promesses au creux de mon cou, avant de les piétiner comme un vulgaire ticket de caisse. Le simple souvenir de son sourire suffisant me noue l’estomac.

— Tiens ça, ordonne Livia en empilant un bonnet et une écharpe sur mes bras déjà chargés.

— Bordel, Livia, tu comptes acheter la moitié du magasin ?

— Arrête de râler et suis-moi.

Elle se dirige vers le rayon des manteaux, ignorant mes soupirs exaspérés. Mon regard s’accroche un instant à une décoration. Un ange de verre finement sculpté, suspendu à une branche de sapin givrée. Son visage est lisse, presque froid, et pourtant, une sensation me serre la gorge.

Je détourne les yeux.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Ma voix est plus rauque que prévu. Livia s’arrête net.

Je la vois prendre une grande inspiration avant de se tourner vers moi. Son expression passe de l’insouciance à plus de sérieux.

— Parce que tu aurais refusé, elle répond simplement.

— Évidemment que j’aurais refusé !

Je hausse le ton. Quelques têtes se tournent, et une vendeuse, en tailleur impeccable, esquisse un pas vers nous. Elle est inquiète que je sois un client mécontent, je pense.

Livia l’ignore superbement.

— Blake, écoute-moi…

— Non, toi, écoute-moi.

Je jette les vêtements sur un banc en velours et fais un pas vers elle, la colère gronde en moi.

— Tu savais que c’était lui. Tu savais que j’allais me retrouver face à Ronan et tu m’as laissé foncer droit dedans.

— Parce que c’est une opportunité pour toi !

— Une opportunité ?

Je ricane, un rire sans chaleur, sec, qui me laisse un goût amer en bouche.

— Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Faire le banquet du mariage de mon ex ? Celui qui…

Les mots restent coincés dans ma gorge. Putain.

Livia me fixe, puis pose une main sur mon bras, plus douce cette fois.

— Celui qui t’a brisé le cœur.

Je ferme les yeux une seconde, cherche à repousser les souvenirs.

— J’ai envie de tout envoyer valser, Livia. De leur dire d’aller se faire foutre et de les laisser crever de faim dans leur putain de chalet.

— Alors, fais-le.

Sa voix est posée, tranquille.

Je rouvre les yeux, surpris.

— Quoi ?

— Fais-le. Pars. Tourne la page. Continue de te cacher dans ton resto à Westwood et prétends que tout va bien.

Ses mots s’infiltrent sous ma peau.

— Ce n’est pas ce que je fais.

Elle arque un sourcil.

— Non ? Alors explique-moi pourquoi t’as refusé tous les projets d’envergure ces derniers mois. Pourquoi t’as arrêté de candidater pour des récompenses culinaires alors que t’étais sur le point de percer ?

Je serre la mâchoire.

Elle continue, implacable.

— C’est à cause de lui, Blake. Il t’a fait croire que t’étais pas assez bien. Que t’avais pas ce qu’il fallait. Tu l’as laissé piétiner ton cœur, ruiner ta réputation. Bientôt, c’est ton rêve qu’il aura détruit.