Fyctia
Monsieur face de poulpe
Gabriel
La neige tombe en flocons épars sur Denver. Elle couvre lentement trottoirs et toits d’un manteau immaculé. Les guirlandes suspendues aux réverbères diffusent une lumière chaleureuse. Elles transforment la ville en un tableau hivernal digne d’un film de Noël.
Ça pourrait être agréable. Ça devrait être agréable.
Néanmoins, en cet instant, je suis trop occupé à tourner en rond au volant de ma Porsche 911 Carrera noire. Ma mâchoire est serrée et mes nerfs sont trop à vif, pour pouvoir apprécier le spectacle.
Le Crawford Grand Hotel se dresse devant moi, imposant et élégant. Ses hautes colonnes illuminées, projettent une lueur dorée sur la foule emmitouflée dans leurs manteaux. L’endroit respire le luxe et la tradition.
Tout devrait être parfait.
Sauf que je suis coincé dehors, incapable de garer ma voiture.
Je serre le volant en voyant le panneau lumineux du parking souterrain.
PARKING COMPLET.
— Évidemment.
Mon index tape nerveusement contre le cuir du volant. Deux fois déjà, j’ai parcouru les rues avoisinantes en quête d’un espace libre. Deux fois, chaque place s’est envolée sous mon nez.
Je n’en peux plus.
Je déteste perdre mon temps.
Je déteste être contraint par des imprévus que je ne contrôle pas.
J’ai beau me répéter que je n’ai pas besoin de cette place, que je pourrais très bien confier mon véhicule au premier voiturier venu, une part de moi refuse catégoriquement d’abandonner.
J’ai grandi avec des principes : ce que tu veux, tu le prends.
Et justement, je viens d’apercevoir ce que je veux.
Ma précieuse.
Une place libre. Juste là, à quelques mètres. Une anomalie en pleine période des fêtes.
Un sourire satisfait étire mes lèvres.
C’est bon. Elle est à moi.
Je signale ma manœuvre, prêt à m’y engouffrer… quand une berline grise jaillit de nulle part et me coupe la route.
Mon pied écrase la pédale de frein.
Les pneus crissent sur le bitume glacé, et un frisson d’adrénaline me traverse le dos alors que la Porsche s’arrête net.
Mon cœur cogne une fois. Fort.
Je fixe la scène, incrédule.
Sous mes yeux, la Toyota Corolla – un modèle que je pensais honnêtement éteint depuis les années 2000 – s’enfonce sans vergogne dans ma place. Comme si elle lui avait toujours appartenu. Non.
Non, non, non !
On vient de me voler ma place.
L’air glacé s’engouffre dans ma voiture alors que j’ouvre violemment la portière. Mon souffle forme un nuage blanc devant moi, mais le froid est la dernière de mes préoccupations.
Je vais lui dire.
Je vais lui faire comprendre que ça ne se fait pas.
Ce n’est pas ainsi que le monde fonctionne.
Pas mon monde, en tout cas.
Mes muscles sont raides, sous tension, tandis que je referme la portière derrière moi. Ma silhouette se découpe sur la neige immaculée qui recouvre l’asphalte, mes pas laissent une traînée nette en direction du voleur de place.
Et puis, je le vois.
L’homme sort de la Toyota avec une nonchalance qui frôle l’insolence.
Il est grand. Très grand. Une silhouette emmitouflée dans une doudoune bleu nuit un peu usée, avec une écharpe grise lâchement nouée autour du cou. Sous son bonnet anthracite, quelques mèches noires et bouclées s’échappent, encadrant un visage dont la peau brune contraste avec la neige tourbillonnante.
Ma mâchoire se contracte.
Il ne correspond pas au profil habituel.
Pas au type de personne qui ose défier Gabriel Beaumont sans réfléchir aux conséquences.
C’est surtout son regard qui me frappe.
Ses iris verts sont une tempête. Un mélange de colère, d’exaspération et, attendez, de défi ?
Il me voit et, il ne détourne pas les yeux.
Pas un soupçon d’excuse, pas l’ombre d’un malaise.
Non. Juste du défi.
Un échange silencieux s’installe entre nous. L’air se charge de tension et d’irritation.
Puis il parle. Sa voix est grave, rocailleuse, avec un soupçon d’accent que je n’ai pas encore identifié.
— Non, mais c’est quoi ton problème, face de poulpe ?
Je cligne des yeux.
Face de… quoi ?
15 commentaires
Oswine
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Il y a 14 jours
Ady Regan
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Il y a 21 jours
Bianka Msria
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Il y a 21 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a 23 jours
Bianka Msria
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Il y a 21 jours