Fyctia
Chapitre 7 ¶ Esther
J'en suis ravie. Ravie. Ravie. Ravie. Le tour est joué. Tout va pour le mieux. Dans mon lit, je ne peux m'empêcher de voir les commentaires filer sous le compte de Stella Bella sur Instagram. Des commentaires haineux. Sous ses vidéos. Sous ses photos. Sous son profil. Elle est critiquée. Elle est moquée. Un peu plus de vues sur son compte ne lui fera pas de mal. En tout cas, je ne suis pas déçue de mon plan MA-GI-QUE ! Je me savais dotée d'une telle intelligence, mais de là à imaginer ce plan, c'est juste woaw.
En tout cas, c'est ce dont je me suis ventée devant mes amis. C'est ce que j'ai dit à Nolan. Ce n'est pas ce que je pense. C'est dur à croire, même pour moi, mais à cet instant précis, alors que je regarde les commentaires défiler sous ses vidéos, une douleur sourde me presse la poitrine. Une douleur qui me fait me plier en deux. Une douleur qui fait monter les larmes. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive.
En fait, si je sais. Et c'est ça le problème. Je sais ce qui ne va pas. Je sais pourquoi j'ai mal. Je sais ce que j'ai fait. Et je ne le supporte pas. Et je m'en veux. Et je sais que je n'aurai pas dû le faire. Tout ça pourquoi ? Parce que je voulais qu'il reste à moi. Parce que je voulais qu'il ne voie que moi. Parce que je ne supportais pas de le voir avec elle. Parce que je le considère comme mien. Mais la vérité, c'est qu'il n'est rien de tout ça. Car tout ça, justement, ce ne sont que des illusions. Des illusions qui me poignardent. Des illusions qui m'empêchent d'en rire. Des illusions que je sais existantes. Et je sais que ça ne changera rien à présent.
Je pose mon téléphone sur mon bureau et enfouit mon visage dans mon oreiller. Et si j'imaginais être assez blessée comme ça – blessée par moi-même – je me suis trompée.
La sonnette retentit, je n'y prête pas attention.
Les voix dans le vestibule, je ne les entends pas.
Les pas qui montent jusqu'à ma chambre me prennent par surprise.
— Esther, ton copain veut te voir ! Il s'est dit qu'organiser une petite sortie surprise serait géniale.
Maxym. Il a apprit que je n'avais rien dit à mes parents pour notre séparation. Et il s'en sert contre moi. Et il va me le faire payer. Je sors de ma chambre avec un sourire plaqué sur le visage, enfile ma veste et mes chaussures et sors le rejoindre. Il a l'air calme, posé. Un regard doux sur moi. Est-ce que mon plan a fonctionné ? Va-t-il revenir vers moi ? Je ne peux empêcher cette lueur d'espoir de monter le long de ma gorge, malgré ce que j'ai fait.
On marche en silence. Je n'ose pas lui parler. Il ne prononce pas un mot.
Un mètre nous sépare l'un de l'autre. Je n'ose pas me rapprocher de lui. Il marche droit.
Nos regards ne se croisent pas une seule fois. Je ne le regarde pas. Lui non plus.
Arrivé au parc, il n'y a pas un seul enfant qui joue sur les modules de jeu. Il n'y a pas un seul adulte qui se promène. La nuit tombe bientôt, l'air se refroidit. Et pourtant, toujours le silence. Finalement, il s'arrête. Finalement, il tourne la tête vers moi. Finalement, il ouvre la bouche.
Alors qu'avant, son regard était rempli de tendresse, qu'il avait l'air calme, maintenant c'est la tempête. Ses yeux lancent des éclairs, je vois sa pomme d'adam descendre et remonter à toute vitesse, ses poings se serrent machinalement. Et lorsqu'il ouvre la bouche, ce ne sont pas des mots qui sortent, ce sont des cris, ce sont des épées. Ses paroles sont chargées de hargne, de mépris, de désespoir, d'amour. Il ne crie pas, mais je pense que j'aurais préféré. Il n'élève pas la main sur moi, mais je pense que j'aurais préféré. Les phrases sont poignantes, dures. Elles me transpercent de part et d'autres. Ce sont des coups que je reçois. Des coups dans le mental. Des coups que je mérite. Elles me griffent, me déchirent la peau, m'enlèvent le peu de dignité que j'avais pu avoir avant. Ce n'est plus le Maxym que j'ai connu avant. Ce n'est plus le garçon avec qui je jouais, avec qui je m'amusais comme bon me semblait. Aujourd'hui, le Maxym Castez qui se tient devant moi est celui poussé par l'amour qu'il porte à une fille. Il est poussé par le besoin de vengeance. Il est prêt à tout pour défendre l'élu de son cœur. Il la défendra, qu'importe la personne ou l'objet qui se mettra sur son chemin. Et en cet instant, c'est moi ma cible. C'est moi l'ennemi. C'est moi qui me tient devant lui.
— Si seulement j'avais compris plus tôt tes menaces. Si seulement j'avais su de quoi t'étais capable. T'es décidée à me pourrir la vie. Parce que quoi ? Parce que je t'aime pas. Parce que t'es pas assez pour moi. Parce que t'es trop pour moi. Et, oh malheur ! mon petit chouchou sort avec quelqu'un d'autre, donc je vais lui faire de la merde. Comme ça il va y croire et il va revenir avec moi. Mais non, merde ! Je te déteste. Je te hais. Tu ne comprends pas l'amour. Tu ne comprends pas ce que je peux ressentir. Tu ne comprends rien ! Tout ce qui t'importe, c'est toi, toi, toi et encore toi. Seulement ta petite personne, ta vie parfaite, et ceux qui osent se perdre dans les filets de tes mensonges. Mais c'est fini, Esther, bordel ! Je t'aime plus. Je t'aime pas. Je suis passé à autre chose et fais la même chose !
Il se rapproche de moi, menaçant. Mais je sais qu'il ne lèvera pas la main sur moi. Je sais qu'il n'osera pas me toucher. Il est bien trop... Trop parfait, trop charmant, trop gentleman pour faire du mal à une fille. Même si celle-ci s'en est prise à l'amour de sa vie.
— Alors, comprends moi bien, une dernière fois, d'accord ? Tu me veux proche de toi, voilà, je suis proche de toi. Suffisamment pour que tu m'entende, pour que tu assimiles mes paroles, que tu les incrustes dans ton cerveau, s'il existe ! Si tu oses une autre fois t'en prendre à Stella, je te jure sur tout ce que tu veux que tu le payeras. Tu auras affaire à moi. Tu l'auras chercher. C'est clair ?
Je hoche la tête. Je ne suis pas capable de répondre. Je n'ose pas parler.
— Maintenant, tu vas faire en sorte que ces commentaires disparaissent du profil de Stella. Tu vas faire en sorte que tout le monde comprenne que c'est ta faute. Que c'est faux. Ok ?
— Mais c'est vrai ! je m'écris d'une voix aiguë.
— Et ? Qu'est-ce que ça peut te faire ? Tu fais ce que je te dis, ok ? Maintenant, dégage, hors de ma vue.
Et il part. Comme ça. Comme un courant d'air. Les mains dans les poches. Sans prononcer un mot de plus.
Et je reste. Figée. Comme une statue. Ressassant ces paroles. La respiration coupée.
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