Fyctia
Chapitre 1 ★ Maxym
Une des feuilles est notre emploi du temps. Maths, français, histoire et géographie, sport, philosophie, art, anglais, italien, EMC et science économique. Les mêmes options que l'année dernière.
Une autre est un exercice à remplir, pour mieux nous connaître. Il pourrait être simple et complété rapidement si seulement il n'y avait pas de questions philosophiques. Des questions où il faut réfléchir.
Qui êtes-vous ?
«Maxym Castez, redoubleur, sais pas exprimer ses sentiments.»
Non. J'efface.
« Je suis Maxym Castez, âgé de dix-huit ans. J'ai redoublé ma terminale.»
À côté de moi, Stella écrit des pavés. Elle semble plongée dans l'écriture, s'arrêtant de temps en temps pour regarder par la fenêtre.
Quel serait votre métier plus tard ?
« Je souhaiterais intégrer le cabinet d'avocat Gide»
Dois-je expliquer pourquoi ? Non, ce n'est pas marqué, je pense.
Quel est, selon vous, votre plus grand défaut en tant qu'être humain ?
Boum. Boum.
Je ne peux quand même pas le noter, si ? On va me prendre pour un con. Un mec à dix-huit qui ne sait pas dire à une fille je t'aime c'est la risée du monde !
Je réfléchis, mon crayon bouge au rythme de mon cœur – c'est-à-dire, très vite – et je ne vois pas mon professeur arriver.
— Maxym, tu rêves ou tu réfléchis ? me demande-t-il.
— Je réfléchis, monsieur, lui répondé-je.
— Es-tu bloqué sur une question ?
— Non, enfin,... Oui.
Il lit la question derrière mon épaule, et me regarde dans les yeux. Il a cette manie gênante qui vous donne l'impression qu'il vous sonde au plus profond de vous-même. On pourrait croire qu'il sort tous nos secrets de notre âme. Lorsqu'il ouvre la bouche, j'ai soudainement peur qu'il ait trouvé mon défaut.
— Ne réfléchis pas trop. Souvent, notre défaut est plus proche que l'on pense.
Je manque de m'étouffer avec ma salive.
Notre défaut est plus proche que l'on pense.
Est-ce possible qu'il le connaisse ?
Tandis qu'il part faire son tour de classe, je jette un coup d'œil à Stella. Elle aussi me regarde. Nous sommes figés. Elle a écouté la réponse du prof. Et un regard à sa copie me démontre qu'elle est bloquée à la même question que moi. Je romps le contact visuel et observe ma feuille. Putain, j'avais l'impression de prendre feu !
Selon vous, qu'est-ce qui vous manque pour être heureux ?
Les questions veulent me tuer. C'est définitif. Je vais mourir aujourd'hui, à cause d'un exercice de français qui essaye de m'anéantir.
Avez-vous douté, ne serait-ce qu'une seule fois, de votre légitimité sur cette Terre ? Pourquoi ?
«Oui, tellement de fois. Mais je ne sais pas pourquoi.»
Mes réponses sont nulles. Tout comme moi, je suppose.
Pendant que je remplis le questionnaire, je sens le regard du prof sur moi. Est-ce une sorte de défi ? Remplir ce questionnaire sans mentir ? A-t-il créé ces questions pour moi ? Pour que j'arrive à mieux me connaître ?
Une sorte de défi. Si c'en ai un. Mais, je dois pouvoir le surpasser. Prouver ma place dans cette classe. Dans mon futur métier.
Quel est, selon vous, votre plus grand défaut en tant qu'être humain ?
« J'ai plusieurs défauts, mais si je devais en choisir un seul, le plus grand, celui qui prend le plus de place en moi, qui me gêne, que j'aimerai faire disparaitre, selon moi, il fait partie de mes émotions. D'un sentiment. L'amour. Je ne sais pas l'exprimer comme il le faudrait. Je n'arrive pas à faire comprendre aux personnes que j'aime, qu'elles comptent pour moi. Et ça, elles ne le comprennent pas. Et je me retrouve à perdre mes proches, tous ceux que j'aime, que j'apprécie, sans rien pouvoir faire. Tout ça, à cause de ce blocage. Un blocage qui me hante, qui ne se finit pas. C'est une sorte de mur qui s'épaissit chaque fois qu'une nouvelle personne entre dans mon cœur. Je ne sais pas d'où il vient. Je ne sais pas non plus comment m'en débarrasser. C'est encore un mystère bien trop grand pour moi.»
Selon vous, qu'est-ce qui vous manque pour être heureux ?
« Je pense que pour être heureux, il faudrait que mon blocage disparaisse. Que j'arrive à le vaincre. Mais d'abord, il va falloir que je comprenne d'où il vient. Et justement, je ne sais pas. Quand il sera parti, je pourrais être heureux. Je pourrais exprimer tout l'amour que je ressens envers ma famille, mes amis et peut-être une copine. Je pourrais être moi-même, sans devoir simuler une quelconque passion alors qu'il y a une barrière entre l'amour et moi. Je pourrais être moi-même sans double personnalité. Là, je serais heureux.»
Je relève la tête, et hausse les sourcils. Le professeur me regarde encore, mais cette fois, un sourire est affiché sur son visage. C'était vraiment un défi. Et je l'ai réussi.
— Bien, dit-il, toujours en me fixant, maintenant vous allez vous présenter à la personne à côté de vous.
Des protestations fusent dans la classe.
Moi, je suis absorbé dans mes réflexions. Je suis à côté de Stella. Stella Bella. Je vais devoir lui dire ce que j'ai écrit. À elle. La petite que j'ai bousculé. Je n'arriverai jamais à lui parler. Et ce n'est pas à cause de l'amour, car de toute façon je n'en ressens pas pour elle, mais à cause de... De je ne sais même pas quoi. Je sais juste que je n'y arriverai pas. Je ne peux...
— Hé ! T'écoutes vraiment rien en cours toi !
— Hein ? je grogne en me tournant vers elle.
Stella est en train de me regarder, en roulant des yeux, l'air agacée.
— Le prof a dit qu'on devait se présenter à notre camarade. Tu commences ou je commence ?
— Vas-y toi d'abord.
Dès qu'elle commence à parler d'elle, son visage change quelque peu. Elle évite mon regard, fixant sa feuille. Ses joues rougissent, mais pas de gêne. Elle développe ses mots, les laisse sortir, pourtant, elle semble maintenir une laisse autour d'eux, préférant garder certains d'eux à l'intérieur d'elle-même.
C'est étrange... C'est la première fois que je suis capable de dire ça de quelqu'un, sans même la connaître. Mais elle me fait des effets bizarres. Ça doit être normal avec elle.
Quand je reprends mes pensées, elle me fixe, la tête penchée de côté, l'air interessée.
— À toi.
5 commentaires
Angel Guyot
-
Il y a 4 mois
Angel Guyot
-
Il y a 4 mois