Fyctia

Maman et moi rentrons à la maison.

Sortie de ma torpeur et de mon mal-être, je cuisine le repas et l'aide à étendre le linge.

Je vois dans son regard qu'elle est contente que je sois redevenue la Stella d'avant.

— Prête pour ta dernière année de lycée ? Ça commence lundi. Ton père sera là pour ta rentrée ! me dit maman d'un ton qu'elle essaye de rendre joyeux.

— J'ai peur, avoué-je. Mais je pense que ça ira. Au moins papa pourra m'accompagner à l'école ! Et toi aussi, j'ajoute vite de peur de la vexer.

Ce n'est pas que je ne veux pas que maman vienne, seulement, papa saura mieux me remonter le moral et faire baisser le stress qu'elle. De plus, ça fait plusieurs années que papa ne m'a pas accompagné à l'école. Mais maman aussi à une place importante dans ma vie. Et je la chérie du plus profond de mon cœur.

♪♪♪

Jamais je n'ai eu autant de mal à me lever un matin. Mais ce n'est pas une journée normale. Deux choses diffèrent: je vais à l'école. Une nouvelle école. Dont je ne connais personne. Et personne ne me connait. Et papa arrive dans dix minutes. Dans dix minutes, la sonnette retentira. Dans dix minutes je dévalerai l'escalier et sauterai à son cou. Dans dix minutes, il m'accompagnera à l'école.

— Lala, faut vraiment que tu te lèves. Papa arrive dans dix minutes et tu n'es toujours pas sortie de ton lit, m'interpelle maman en passant la tête par l'encadrement de la porte.

J'enlève l'oreiller de sur ma tête et prends mes affaires dans l'armoire. Le stress m'envahit. Il n'y a pas d'uniforme dans cette école, aussi les élèves s'habillent comme ils le veulent. Y a-t-il une mode ? Un style particulier ? Dois-je m'habiller plutôt chic ? Glamour ? Avec une perruque ?

J'opte finalement pour un jogging noir et un tee-shirt large. Mon style de tous les jours, en ce moment. Mes chaussettes sont dépareillées, comme d'habitude. J'attache une importance fondamentale à ne pas ranger chaque chaussette à sa propre paire. Pourquoi ? Je me suis toujours posée cette question. Pourquoi ne puis-je pas porter des chaussettes pareilles, comme tout être humain normal ? Je me suis longtemps interrogé s'il y avait une possibilité de daltonisme, ou de lutte pour ma trisomie, mais je ne pense pas. J'en suis venue à une conclusion qui a mérité une page entière dans mon journal intime.

Les chaussettes, avec moi, c'est la folie. Si maman ou papa me plient mes chaussettes par pair, je vais les défaire. Elles sont en désordre dans ma commode – les grandes et les petites ne se mélangent pas, par contre. Je me suis toujours interrogée sur le pourquoi je ne mets jamais deux chaussettes identiques, pourquoi je refuse de les plier ensemble. Et je pense avoir trouvé une conclusion.

Deux chaussettes identiques symbolisent la similitude, la même chose, la continuité. Deux chaussettes blanches resteront blanches tout le temps à moins d'une coloration. Elles sont pareilles.

Deux chaussettes dépareillées symbolisent le changement, la différence. Une chaussette orange et une chaussette violette n'ont rien en commun.

Dans la vie, il faut parfois savoir se détacher de ce que l'on connaît, de ce qui est simple à vivre. Il faut savoir oser, différer, expérimenter. Changer notre entourage, évoluer.

Alors, pour moi, les chaussettes différentes sont importantes pour m'aider à me rappeler que deux êtres en opposition peuvent cohabiter, qu'il est important d'essayer en s'éloignant du regard des autres, d'avancer, de changer parfois quand ça ne nous convient pas, et surtout, de s'exprimer.

Une page pour une histoire de chaussettes. Je n'arrive toujours pas à croire que j'ai un jour écrit ça, mais apparemment, c'est le cas. Et ça exprime une partie de moi. Alors, peut-être qu'elles me porteront chance aujourd'hui.

Un chignon rapidement fait, du maquillage étalé à la va-vite et déjà on frappe à la porte. Il me faudrait aussi une réflexion sur le temps !

Je descends l'escalier quatre à quatre en attrapant au passage mon sac à dos. Papa est déjà en bas, avec maman. Ils ne discutent pas, chacun est dans sa bulle, l'un dehors, l'autre à l'intérieur. Je dis rapidement au revoir à maman – son travail ne lui a pas permis de se déplacer pour m'apporter aujourd'hui, et comme papa est déjà avec moi, elle n'a pas demandé de modification à ses heures.

Dans la voiture, aucun de nous deux ne parle.

Papa est concentré sur la route et les indications de son GPS, et moi, je suis plongée dans un stress intense. La panique menace de prendre le dessus.

Devant l'école, papa pose sa main sur mon épaule. Je ne peux pas m'empêcher de tressaillir. Il le remarque et l'enlève immédiatement. Je lui adresse un sourire gêné.

— Tout ira bien Lala, d'accord ?

Je hoche la tête.

— Et si quelque chose ne va pas, tu sais que tu peux m'appeler.

Nouveau hochement de tête.

— Allez, va, chérie. Amuse-toi bien !

Il me dépose un bisou sur le front et j'ouvre la portière. Juste avant de fermer la porte, je lui pose la question qui brûle mes lèvres depuis le départ:

— Tu vas venir habiter à la maison ?

— Je dois voir avec ta mère. C'est... Difficile pour nous deux de reprendre comme ça, avec des responsabilités, des échecs et des regrets sur le dos. Mais je pense que ça va se faire au fur et à mesure. Quoi qu'il en soit, tu n'as pas à t'en faire pour ça. D'ailleurs, je serais là pour le dîner ! Tu pourras nous raconter ta journée ! me répond-t-il.

Un sourire illumine mes lèvres.