Fyctia

La vie continue, me dirait ma mère.

Baisse pas les bras, serait la phrase de mon père.

Pfff, aller relève toi, grognerait mon frère.

Elle et moi, c'est fini.

Qu'elle ne compte plus sur moi maintenant. C'est terminé. C'est fini. Et même si elle me sort ses excuses à la con, je ne reviendrai pas. Je les ai assez entendus. Ce n'est plus mon problème si elle est décalée mentale par rapport au monde. La popularité lui est montée à la tête !

Je lui ai tout pardonné, tout donné. J'étais le petit ami exemplaire. Et je l'ai choisie, elle. Pas une autre. Elle. La populaire du lycée.

Esther.

Esther, c'est Esther. C'est la fille populaire qui en jette plein les yeux à tous les garçons, qui fait exprès de porter une mini-jupe et de se baisser juste devant nous. Elle est la fille avec qui nous voudrions tous sortir, seulement pour être bien vu. Pas pour honnêteté et la confiance. Non, ça, il n'y en a pas un gramme. Les filles la détestent. Esther, c'est la meuf à la fois appréciée et détestée, mais dans tous les cas, c'est celle qu'il ne faut pas contrarier sous peine d'avoir à faire avec son groupe de pimbêches. Esther, c'est la fille modèle, celle qui sort tout droit des films américains clichés et stéréotypés: les cheveux blonds torsadés, la peau pâle, les ongles immenses, les lèvres pulpeuses,... De quoi faire craquer n'importe qui.

Et ça, je le savais avant de sortir avec elle. Je le savais, mais je me suis engagé dans ce contrat invisible qui nous a lié pendant... Pendant, quoi... ? Deux mois ? Je sortais avec elle pour me faire bien voir. Elle allait vagabonder ailleurs.

Dix-huit ans et pourtant nous avons fait bien plus de choses que mes parents. Et je n'en suis pas fier. Je m'en veux. J'ai subi à ces caprices. Mais j'étais conscient.

Me faire bien voir, c'est tout ce que je voulais. Gagner en popularité. Être admiré comme l'est Nolan.

Nolan.

Rien que ce nom me hante.

Je frappe le mur de ma chambre avec force, y laissant une marque. Nolan. C'est lui qui me l'a pris. Et c'est elle qui est partie. Mais j'aurais dû m'y attendre. C'est Esther. Elle vagabonde et offre ses fesses à n'importe quel gars qui les veut. Et j'en ai supporté des tromperies !

Max, steuplait, je te jure que c'était juste cette fois-là. C'était trop tentant.

Mais si on baisait plus ensemble, j'irai pas voir ailleurs, tu le sais ?

Max, je suis désolée, je ne recommencerai plus jamais.

J'étais trop bourrée, je te le jure ! C'était pas volontaire. Limite un viol !

Je pouvais pas refuser l'offre d'un si beau gars, si ?

Alala ! Si t'avais pas refusé mon invitation, je serais pas aller avec eux !

Des excuses à la con.

Et j'ai enduré ça. Des dizaines de fois. Jusqu'à ce que j'apprenne que dans chacune de ses actions, Nolan était impliqué.

Nolan, c'est sûrement l'âme sœur de Esther. Mec populaire, beau gosse, tour ce que je ne suis pas. Il n'hésite pas à inviter tous ce qui porte un soutif dans son lit. Ils vont bien ensemble, ces deux-là.

Alors pourquoi est-ce que je suis en colère qu'elle m'ait lâchée ?

Au fond, je le sais. Au fond, je sais ce qui ne va pas avec moi. Au fond, je sais tout ça, et ce qu'elle m'a fait n'a fait que renforcer ce sentiment.

Je n'exprime pas assez mes sentiments. Rectification: je ne les exprime pas du tout. Je n'en suis pas capable. Que puis-je dire à une fille sans que les phrases n'aient l'air toutes faites et utilisées des milliers de fois ?

Je ne sais pas qui je suis. Je vois tous les autres humains vivre leur vie, accompagnés ou solo, heureux, en sachant qui ils sont, où est leur place dans ce vaste monde,... Et puis il y a moi. Moi qui ne suis pas capable de savoir qui je suis. Enfin, à moitié.

Je suis Maxym Castez, en terminale, fils d'une famille aimante. Quand mes parents sont là. À part ça, je ne sais pas.

Je ne sais pas quel est mon style de fille.

Je ne sais pas exprimer mes sentiments.

Je ne sais pas répondre simplement aux questions.

Je ne sais pas me décider.

Je ne sais pas quelle est ma vraie personnalité.

Je ne sais rien du tout.

Il y a deux Maxym.

Max, en boîte de nuit, qui boit des litres d'alcool avant de revenir bourré à la maison ou bien de baiser n'importe qui – ou quoi, ça dépend de mon état d'ébriété. Et chaque fois que je reviens à moi, c'est le même scénario: promis je ne recommencerai plus. C'est fini. Et pourtant, chaque fois, je recommence. Le Max extraverti que mes amis et Esther connaissent.

Max, à la maison, lui, personne ne le connait. C'est le garçon timide, qui reste enfermé dans sa chambre, à regarder le coucher de soleil en soirée, à s'imaginer partir loin d'ici et vivre une vie différente. Le Max de la maison, c'est celui qui est introverti, qui n'ose pas adresser le moindre mot aux invités, qui n'ose pas parler à la caissière du magasin lorsqu'il est avec ses parents. Et ce Max là essaye de se décoincer. Pourtant, chaque fois qu'il essaye, chaque fois il échoue. Le Max introverti que ma famille connait. Ils ne connaissent pas l'autre version.

Parfois, j'ai l'impression d'être divisé en deux. Un démon et un ange. Lequel est le démon ? Lequel est l'ange ? Lequel dois-je vivre ? Lequel dois-je oublier ?

Aucune réponse. Rien. Nada. Et ça me pourrit de l'intérieur. J'ai l'impression de porter un masque à longueur de journée. J'endosse tel rôle maintenant. Là, je change !

Mes pensées me submergent. Je me sens couler sous le poids des questionnements qui me hantent. Mais je dois remonter à la surface, prendre une goulée d'air de temps en temps.

— Max ! C'est Esther à la porte ! Tu vas lui ouvrir ? crie maman.