Fyctia

Boum. Boum.

Mon cœur rate un battement.

- Nath, enfin ! Je suis juste partie voir si elle dormait. Pourquoi est-ce que tu me poses tant de questions, il est à peine une heure du matin. Ne peut-on pas en discuter quand il fera jour ?

- Quinze minutes pour aller voir si elle dormait, hein ? Tu t'es perdu en chemin ? raille-t-elle.

Boum. Boum.

Nouveau battement de cœur.

Elle sait. Elle sait.

Je tente de rester discrète en descendant deux autres marches. Maintenant, je peux voir leurs visages. Je peux apercevoir l'expression de maman. Un mélange de mépris, de déception et de questionnement. David est dos à moi.

- Elle ne dormait pas. Je l'ai bordée. C'est ma fille, même si je sais que je ne suis pas son père biologique. Je la considère comme telle, rassure-t-il maman.

Il ment !

- Je suis désolée David... Je ne devrais pas douter de toi à ce point. On vit depuis cinq ans ensemble...

- Ne t'excuses pas, c'est ta fille, tu t'inquièteras toujours pour elle, c'est normal.

Il se rapproche de maman et l'embrasse. Je voudrais vomir. Je voudrais hurler. Hurler tout ce qu'il fait. Tous ses mensonges. Je voudrais qu'elle ouvre les yeux. Qu'elle aille retrouver papa. Avec lui, tout allait mieux.

Elle se sort de ses bras, et le regarde dans les yeux. Je m'attends à ce qu'elle lui fasse une déclaration d'amour et aille se coucher, mais les mots sortent brutalement de sa bouche, formant tout ce que je ne voulais pas entendre, tout ce que je ne voulais pas croire, tout ce que je n'aurais pas dû entendre.

- Depuis cinq ans on vit ensemble, et à force, j'ai appris à te connaître. J'ai aussi appris à savoir quand est-ce que tu me mentais. Tu as toujours cette manie de te passer la langue sur les lèvres et de hausser légèrement le sourcil gauche. Tu vois, c'est ça la vie de couple: détecter les moindres détails, même les plus anodins. Tous les petits gestes, les tics qu'on fait inconsciemment, c'est tellement magnifique de les détecter, de les trouver et s'amuser à les voir à chaque fois. Jusqu'à comprendre que certains ne sont pas beaux. Et là, tu me mens. David, je t'ai entendu en haut. Je t'ai entendu lui parler. Tu me dégoûte.

Sa voix est parfaitement calme et posée, pourtant la colère et les regrets transparaissent aussi clairement que si elle avait nommé les émotions.

- Tu l'as détruite. Tu l'as humilié. J'ai vu son regard s'éteindre chaque jour de plus en plus, la peur habitait ses yeux chaque fois qu'elle te croisait. Et je ne savais pas pourquoi. Tu m'as trahie. J'avais confiance David !

À présent, elle ne cherche plus à murmurer. Elle crie. De rage. De douleur. De déception.

- Tu l'as violée !

Cette dernière phrase me fait l'effet d'un boomerang en plein cœur. Mon pied rate la marche et je dégringole l'escalier. Finie la discrétion. Leurs regards sont tournés vers moi. Moi, affalée dans l'escalier, le cœur battant à tout rompre, les yeux grands ouverts, la respiration saccadée.

Boum. Boum.

David m'observe, touchant de son regard ma poitrine.

Boum. Boum.

Il descend ses yeux plus bas.

Boum. Boum.

Il revient à mes yeux. Les siens plongent dans les miens. Et il sourit.

Maman se précipite vers moi, me cachant de David.

- Lala ! Tout va bien ? Que se passe-t-il ?

J'ai beau ouvrir et fermer la bouche, ma gorge est sèche, granuleuse. Aucun mot ne sort. Aucun son non plus.

Maman se retourne et fixe son conjoint avec une émotion que je ne lui ai jamais connue. Un mélange de peur et de peine. Non. Pas de tristesse. De la colère. De la haine. Elle est furieuse. Elle est enragée. Elle est carrément hostile. Tout ce qui avait pu un jour exister entre elle et David, tout cet amour qu'elle lui a donné, c'est fini. Ça a été détruit. Il m'a détruite. Maman est détruite.

- Va-t'en, chuchote-t-elle.

Ce n'est qu'un murmure. Mais ce souffle est chargé de tout ce qu'elle n'ose pas dire, de tout ce qu'elle aimerait dire. Mais elle se contient. Devant moi. Pour moi.

David s'approche de maman, les mains levées, comme le ferait une personne arrêtée par la police.

- Nath, je t'en prie ! Ce n'est pas ce que tu penses. Je n'ai rien fait à Stella.

Maman fronce les sourcils.

David pose un de ses doigts sur son épaule.

Maman explose. Pas littéralement, mais presque. Elle devient le démon qu'elle n'a jamais laissé échapper.

- NE ME TOUCHE PAS !!! hurle-t-elle.

David recule, les yeux ronds.

Non, personne n'a jamais vu maman comme ça. Même lorsqu'il y avait injustice à son travail, lorsqu'elle n'avait pas le droit d'agir en mission, elle s'est toujours contenu. Mais là, c'est trop. Il m'a fait du mal. Maman, c'est maman. Maman, elle a un cadeau tombé du ciel. Et ce cadeau, c'est moi. Alors quiconque ose frôler le moindre de mes cheveux sans que je ne le veuille, elle se sent responsable.

- Tu n'es qu'un putain de connard ! Comment as-tu osé te faire passer pour un homme gentil ? Comment as-tu osé m'amadouer ? Comment as-tu osé poser tes sales mains sur ma fille ?

Il n'essaye plus de démentir. Il se sait pris. Enfermé. Sans issue.

- Tu lui as fait du mal ! Tu as osé ! Tu l'as touché ! Ça fait combien de temps que ce manège dure, hein ? Combien de temps ?

Sa voix se fait toujours plus puissante. Ou peut-être est-ce l'impression que j'ai, à force qu'elle dévoile la vérité, qu'elle l'exprime à voix haute.

David ne répond pas. Il a dû oublier de compter les nuits passées à me rejoindre, à retirer ma couverture, à m'humilier. Mais moi, je n'ai pas oublié. Et chacune de ses nuits me hante au plus profond de moi-même. Je revis les scènes chaque fois qu'il ne vient pas. J'imagine les horreurs qu'il me fera vivre la prochaine fois.

Mais il n'y aura pas de prochaine fois.

C'est fini, maman l'a découvert. Sans que je ne lui dise rien. Aurais-je dû ?

Sans que je ne m'en rende compte, ma voix murmure les deux mots que je n'ai jamais dit. Le temps.

- Deux mois.

Rien qu'un souffle. Un courant d'air, on aurait pu dire. Mais il atteint les oreilles de maman. Et elle bug. Pétrifiée. Elle doit sûrement se demander où elle a fautée, comment elle a fait pour ne pas le remarquer.

La suite se déroule dans un brouillard. Je ne me souviens plus.

Juste cinq sens.

Un claquement sec.

Des bras.

Un goût salé.

Une odeur métallique.

Du noir.

Juste cinq choses.

La porte.

Maman.

Des larmes.

Du sang.

Le vide.