Fyctia

En début d'après-midi, Josh part en traîneau avec un couple, mon père fait sa sieste et je me retrouve seule avec ma patte folle. Inutile, oppressée, prisonnière de mes mouvements. Voilà comment je me sens. Sans oublier Jaden qui danse en permanence dans mon esprit.

Pour me changer les idées, je tente d'accrocher quelques décorations extérieures, sans succès, puis passe inutilement le balai avec une main. Découragée, je décide finalement de descendre en ville faire le plein de douceur chez Sweet & Simple.

La pâtisserie, qui fait aussi office de salon de thé, est située en plein centre-ville. On y trouve les meilleurs roulés à la cannelle du monde, parole d'une gourmande addicte au sucre raffiné. En poussant la porte, la clochette retentit tandis qu'une odeur sucrée me remplit les narines.

Les guirlandes suspendues un peu partout diffusent une lumière douce et chaleureuse. Au fond de la salle, le sapin décoré accroche le regard, imposant et magnifique. Lutins, rênes, casse-noisettes et autres figurines trônent sur le comptoir et les tables. Mona s'applique chaque année avec la décoration, j'en suis presque jalouse.

Mon amie m'adresse un sourire, son plateau dans une main.

— Installe-toi, j'arrive avec un chocolat chaud « spécial moral » dans une seconde, annonce-t-elle en passant derrière le comptoir.

— Et des pâtisseries, ajouté-je.

Mon besoin de réconfort a presque atteint une limite mortelle, c'est une question de survie à ce stade.

— Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? Muffins, scones...

— Une de chaque.

Elle se redresse, l'air interloqué.

— C'est si grave que ça ?

— J'en ai peur, soufflé-je.

Mona s'active comme en temps de guerre. Elle prépare deux énormes tasses de chocolat chaud, garnis de chantilly et marshmallows, accompagnés par tout le stock de pâtisseries.

— T'aurais dû me prévenir ! Ton message disait juste que tu avais besoin d'une petite douceur. Il y a des codes à respecter, Skye, vocifère-t-elle.

Aucune pâtisserie ne vaut le tempérament et l'humour de ma meilleure amie. Elle parvient toujours à me faire rire, peu importe les circonstances.

Mona dépose le plateau au centre de la table, jette un coup d'œil aux quelques clients attablés, puis s'assoit en face de moi.

— C'est assez calme cet après midi, raconte-moi ce qui se passe. Tu n'as trouvé personne pour t'aider au chenil ?

— Si, j'ai trouvé quelqu'un.

Le visage de mon amie s'illumine aussitôt.

— Oh, mais c'est génial ! C'est quoi le problème alors ?

— C'est Jaden qui va m'aider...

Sa joie retombe comme un soufflet. Stupéfaite, Mona se fige en écarquillant les yeux. Je prends une grande bouchée de muffin en attendant qu'elle intègre l'information.

— T'es sérieuse ? Tu n'as trouvé personne d'autre que ton ex qui t'as jetée comme une vieille chaussette pour te donner un coup de main ?

C'est vrai que présenté de cette façon... ça craint.

— Je n'ai pas le choix, Mona. En revanche, je crois qu'il ne s'imagine pas tout ce que je compte lui demander de faire.

Mon amie s'esclaffe, une lueur malicieuse dans le regard.

— Alors t'as intérêt à lui en faire voir de toutes les couleurs. Je paierais cher pour le voir déguisé en Père Noël, avec une ribambelle de gosses autour de lui !

Nos éclats de rire emplissent la pâtisserie. Avec son imagination sans limite, Mona me propose une multitude d'idées, plus drôles et déjantées les unes que les autres. Un petit délire qui fait du bien avant de reprendre notre sérieux.

— Le problème, ajouté-je, c'est que sa simple présence me replonge dans le passé et j'ai peur de perdre le contrôle.

Le sourire de Mona s'efface, laissant place à l'inquiétude.

— Tu as toujours des sentiments pour lui ?

Voilà l'une des nombreuses questions que je refuse de me poser. Avant de revoir Jaden, la réponse était claire. Je ne pensais plus à lui, du moins pas trop souvent. Juste des éclats de souvenirs, quelques pensées fugaces. Mais depuis cette randonnée à la montagne... rien n'est moins sûr. Tout se mélange et s'entrechoque. Colère. Attirance. Manque.

— Non.

Ma réponse est ferme, mes certitudes un peu moins. Peu convaincue, Mona plisse les yeux puis me scrute avec insistance.

— J'espère que tu dis vrai, soupire-t-elle.

La clochette de la porte retentit et deux femmes entre dans la pâtisserie. Décidément, quand ce n'est pas le fils qui me poursuit, c'est sa mère et sa grand-mère. Le regard de Grace Foster se pose sur moi, un sourire radieux sur le visage. Les deux femmes s'approchent de notre table pour nous saluer.

— Skye, ça me fait plaisir de te voir, déclare Grace. Caleb nous a raconté votre mésaventure du week-end, comment tu te sens ?

Sa bienveillance me touche. J'ai toujours aimé cette femme douce et pétillante. Jaden lui ressemblait beaucoup quand il était jeune.

— C'est plus embêtant que douloureux, réponds-je en lui rendant son sourire.

— J'ai dit à Jaden qu'il devait faire quelque chose pour t'aider, j'espère qu'il est venu te voir ?

Stupéfaite, je tente de garder un air détendu. Cet enfoiré n'avait aucune intention de m'apporter son aide, c'est sa maman qui lui a ordonné. Je pourrais presque rire de cette situation, mais la vérité, c'est que ça me blesse plus que je ne veux l'admettre.

— Vous pouvez être rassurée, Grace, votre fils vous écoute encore.

— C'est quand même un p'tit con ! intervient la grand-mère.

Mona et moi pouffons de rire tandis que Grace réprimande la vielle femme. Cette dernière gesticule en marmonnant des paroles incompréhensibles, puis va s'asseoir un peu plus loin.

— Je suis heureuse de l'entendre, reprend Grace. Je crois que ça lui fera le plus grand bien, il aimait tellement Snowy Paws à l'époque.

Je lui adresse un sourire poli, en gardant pour moi le fond de ma pensée. Elle rejoint ensuite sa mère, suivie par Mona.

Grace m'a donné l'élan de détermination qu'il me manquait. La petite claque qui remet les idées en place. Jaden veut passer pour un bon samaritain ?

Dans ce cas, je n'ai qu'une seule chose à dire : Joyeux Noël, et puisse la magie des fêtes lui être favorable.