Fyctia

À l'intérieur, c'est encore pire. Une seule pièce, complètement vide, à l'exception de quelques bûches humides près de ce qui semble être une cheminée. Ma salle de bain à Vancouver est deux fois plus grande que ce trou à rat !

Skye entre comme si tout était parfaitement normal, dépose son sac en grimaçant, puis sort quelques affaires.

— Dis-moi qu'on ne va pas passer la nuit ici, lancé-je, figé au milieu de la pièce.

— Tu peux toujours creuser un trou dans la neige et espérer ne pas mourir d'hypothermie. Moi, je reste ici.

Elle inspecte ensuite les bûches avant de les entasser dans la cheminée. Je pousse un soupir, puis dépose mon sac à côté du sien.

— Le feu ne prendra jamais, elles sont humides, déclaré-je en attrapant l'un des morceaux de bois.

— Tu es perspicace. Je vais quand même essayer.

— Tu devrais plutôt te reposer. Je m’en occupe.

Je m'attends à une autre remarque acerbe, mais rien ne vient. Skye hoche la tête, son bras toujours plaqué contre elle, puis se lève pour installer une couverture thermique sur le sol ainsi que nos sacs de couchage.

Après une éternité à tenter d'enflammer ces foutues bûches, le feu prend enfin. Ce n'est pas un brasier, mais c'est toujours ça.

Je récupère quelques barres énergétiques, puis m'installe à côté de Skye. Son corps tremble et ses lèvres ont perdu leur couleur.

— Tu es congelée, remarqué-je.

— Encore une remarque perspicace. Toutes ces études pour ça…

J'encaisse une fois de plus. Bien qu'elle ait une raison valable de m'en vouloir, je n'imaginais pas que sa colère serait aussi intense après toutes ces années. Je n'imaginais pas non plus être aussi troublé de la revoir, et peut-être qu'au fond, Skye ressent la même chose. J'ignore encore comment lui annoncer les raisons de mon séjour à Banff, mais il est clair que ce n'est pas le moment. Je tiens à ma vie.

La semaine dernière, j'ai appris que le bail de Snowy Paws était sur le point d'être résilié pour faute de paiement. Si le bilan de mon rapport s'avère positif, l'offre de Celestia Resorts sera acceptée plutôt deux fois qu'une. À en croire l'homme que j'ai rencontré à l'hôtel de ville, avec sa foutue cravate de Père Noël, ils n'attendent que ça.

L'élevage des Warren n'apporte pas suffisamment à la ville, selon lui. Alors qu'un hôtel de luxe flambant neuf attirerait des touristes fortunés en masse.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ? demande Skye, me tirant de mes pensées.

Un sourire étire mes lèvres.

— Tu te rappelles la dernière fois que tu m'as posé cette question ?

Surprise, elle se redresse pour me faire face, puis plonge son regard azur dans le mien.

— On avait douze ans.

— Exact. Et tu te souviens de ma réponse ?

Ses joues prennent une légère couleur rose tandis qu'elle détourne les yeux.

— Je m'en souviens.

C'était sans conteste l'un des moments les plus intenses de ma vie, et l'un des plus gênants aussi, mais qui restera gravé en moi à jamais. Notre premier baiser.

— Ce n'était pas franchement une réussite, ricané-je.

— Il y a des choses qui ne changent jamais.

Satisfaite de sa petite remarque assassine, Skye affiche un léger sourire en coin. La petite insolente.

— C'est un défi ?

La tension dans l'air s'intensifie. Le feu qui crépite ne sera bientôt plus nécessaire si elle continue. Skye est une tornade qui renverse tout en un seul regard. Après neuf ans, il a suffi que je la revoie un quart de seconde pour ressentir à nouveau cette attirance inexplicable.

— Si tu avais des Skittles, ça aurait pu l'être, finit-elle par répondre d'un ton joueur.

Ses bonbons préférés. Elle en mangeait si souvent que j'ai fini par la surnommer Skyttles. Et ses baisers... ils avaient leur saveur sucrée.

— Un baiser arc-en-ciel ? chuchoté-je.

Elle sourit. Un vrai sourire, sincère, qui illumine le bleu de ses yeux et révèle cette petite fossette sur sa joue gauche. Exactement comme dans mes souvenirs. J'aimerais qu'il ne s'efface jamais, mais Skye reprend un air sérieux.

— On était des gamins, ce temps est révolu. Et les baisers arc-en-ciel aussi.

Elle a raison. C'était une autre époque, une autre vie. Nous ne sommes plus ces deux adolescents innocents, fous d'amour l'un pour l'autre. Pourtant, une partie de moi regrette ce temps empli d'insouciance.

La température de la pièce baisse un peu plus chaque heure qui passe. Skye est recroquevillée, la tête posée sur son sac, et semble endormie. Je ferme les yeux en pensant à un spa de luxe, le marbre chaud et humide d'un hammam parfumé à l'eucalyptus, des bains thermaux... mes muscles se détendent tandis que je profite de cette chaleur imaginaire.

Les bulles du jacuzzi me caressent la peau dans un nuage de vapeur chaude. J'attrape mon verre de scotch, m'allonge contre le rebord et profite de la vue sur les montagnes. Un sentiment de sérénité m'enveloppe, bercé par ce calme apaisant.

— Jay...

Cette voix familière, proche et pourtant lointaine, me fait frissonner. Mon regard se pose partout à la recherche de Skye. Où est-elle, bon sang ? Le jacuzzi disparaît subitement, laissant place à un torrent de neige au milieu d'une tempête. J'avance à tâtons, mes dents claquent, le vent me transperce la peau. Puis je l'aperçois enfin. Je cours pour la rejoindre, quand une avalanche apparaît et se dirige droit sur elle. J'accélère mes foulées, le cœur battant, mais mes pieds s'enfoncent dans... des sables mouvants ? C'est quoi ce bordel ?

J'ouvre brusquement les yeux, la respiration saccadée, puis jette un coup d'œil à Skye.

— J'ai froid... souffle-t-elle.

 Un long soupir m'échappe. Cette fille me poursuit jusque dans mes rêves. Bon sang !

Je me penche au-dessus d'elle. Ses yeux restent clos tandis que ses lèvres tremblent comme le reste de son corps. Je replie la couverture thermique sur ses jambes et remonte son sac de couchage.

— Je peux essayer de rallumer le feu, mais...

— Non... viens près de moi.

Ses derniers mots me renversent. J'ai bien entendu ? Une chose est sûre, Skye préférerait mourir de froid plutôt que de se coller à moi.

— T'es vraiment réveillée ? C'est Jaden, tu te souviens ?

— Jay, s'il te plaît... viens et arrête de parler.

Après une courte hésitation, je me glisse derrière elle. C'est purement pragmatique, un réflexe de survie, rien d'autre... alors pourquoi mon cœur bat-il aussi vite ? Mon bras s’enroule autour de son corps et je l’attire délicatement contre moi. Ce contact apaisant me réchauffe instantanément.

Je m'imprègne de son odeur, de son corps, de la douceur de ses cheveux chatouillant mon visage. Reste rationnel, ne t'emballe pas ! Ses muscles se relâchent peu à peu alors qu'elle se blottit davantage entre mes bras. Je resserre légèrement mon étreinte, comme si je craignais qu’elle ne s’échappe, et mon esprit se laisse emporter doucement par le sommeil.