Fyctia

L’angoisse de Skye déteint sur moi. Elle tourne en rond depuis plusieurs minutes, le visage crispé par la peur. Tout ceci est de ma faute. Si je n’avais pas insisté pour lui parler, nous n’aurions jamais perdu le groupe.

Je voulais me rapprocher d’elle pour apaiser les tensions, rétablir le dialogue en douceur afin de pouvoir discuter sereinement de l'avenir de son élevage, mais je n’ai fait qu’empirer les choses.

— Il faut qu’on continue dans la même direction, lâche-t-elle enfin.

— T’es sûre ?

— Je connais une cabane abandonnée près de Stewart Canyon, il faut qu’on la trouve avant la tombée de la nuit.

Si l’idée de passer la nuit sous tente m’avait déjà refroidi au départ, dormir dans une vieille cabane à même le sol est impensable.

— Il n’y a pas un hôtel dans le coin ?

Les yeux de Skye prennent une couleur plus sombre tandis que ses sourcils se froncent. Je ne peux m'empêcher de la trouver magnifique, avec ses joues rougies par le froid et ses longues boucles brunes qui s'échappent de son bonnet, virevoltant au gré du vent.

— À ton avis, Einstein ?

En revanche, quand elle ouvre la bouche, c'est une autre affaire. L'amertume qu'elle ressent à mon égard ne me laisse pas indifférent et éveille en moi des remords, mais aussi une irrésistible envie de lui redonner le sourire.

Après un temps interminable de marche soutenue, mes muscles commencent à être douloureux, mais je talonne ma nouvelle guide sans broncher. Il faut avouer que la vue sur ses jambes galbées et ses fesses rebondies me donne une certaine motivation.

Lorsque nous empruntons un chemin plus raide, je redouble d’efforts. Mes mollets et mes cuisses sont en feu. Skye tient le rythme, sans flancher, et continue l’ascension de la pente.

— Elle est encore loin ta cabane ? demandé-je, éreinté.

Skye jette un coup d'œil par-dessus son épaule. Elle s'apprête à répondre quand une plaque de neige se détache brusquement sous sa raquette. Sa chute est brutale, inattendue. Ses raquettes se chevauchent tandis qu'elle glisse et me percute de plein fouet.

Par réflexe, je la plaque contre moi avant de chuter à mon tour. Mon dos heurte le sol, me coupant le souffle une seconde, puis nous dévalons la pente à toute vitesse, emportant une avalanche de neige sur notre passage. Le monde tourne comme un foutu manège dans cette descente interminable, mon épaule explose de douleur, mais je maintiens ma prise sur Skye, la protégeant autant que possible.

Lorsqu'on s'immobilise enfin, le silence retombe dans un nuage de poudreuse. À moitié enseveli sous la neige, Skye blottie contre moi, mon cœur bat à tout rompre.

— Ça va ? demandé-je, inquiet.

Skye tourne la tête et nos nez se frôlent. Surprise, elle écarquille les yeux dans un mouvement de recul. Ses cheveux emmêlés, son visage rougi et parsemé de flocons, ses lèvres entrouvertes... tout me renverse d'un seul coup. Et un désir inapproprié me saisit. Reprends-toi, ce n'est pas le moment ! Confuse, Skye finit par détourner le regard. Elle se dégage de mes bras puis tente de se relever, mais un cri de douleur lui échappe.

— Merde, fait chier, mon bras…

— Je n'ai pas le souvenir que tu étais aussi vulgaire à l’époque, ricané-je.

Ma plaisanterie fait mouche. Elle grogne comme un petit ours tandis que je l’aide à se mettre debout.

— Je t’emmerde, Foster.

J’éclate d’un rire franc, ce qui lui arrache un semblant de sourire. Un bref aperçu de son vrai visage, qui s'évapore bien trop vite. D'une main, elle déroule son écharpe et je l'aide à la nouer de façon à soutenir son bras.

— Et toi, tu n'es pas blessé ? demande-t-elle.

Mon épaule me fait souffrir, mais c'est le dernier de mes soucis.

— Non, mais il faut qu'on t'emmène à l'hôpital.

— Ça va, c'est juste une petite contusion. On ne peut rien faire avant demain de toute façon.

Sa force et son courage me fascinent toujours autant. C'est ce qui m'a plu en premier chez elle, son esprit d'aventurière. Rien ne pouvait la faire flancher, elle vivait chaque instant avec une intensité renversante.

Nous récupérons nos affaires éparpillées, chaussons nos raquettes perdues dans la chute, puis nous repartons par un autre chemin. Le sol étant instable à cause de la tempête, Skye avance désormais avec prudence.

Par chance, le vent est tombé et le ciel dégagé nous offre les derniers rayons du soleil, illuminant la vallée d'une teinte orangée. Ces paysages et l'air pur de la montagne m'avaient manqué. Les tempêtes et les engelures beaucoup moins.

Nous arpentons ensuite un sentier qui coupe à travers la forêt. Tout est calme, seuls nos pas réguliers dans la neige perturbent le silence. Puis, perdue au loin entre les sapins, apparaît enfin la cabane dont Skye a parlé. Je ne m'attendais pas à un palace cinq étoiles, mais là, c'est carrément un taudis. Le toit tombe en ruine, une fenêtre est brisée, la façade en bois rongée par la moisissure, et la poignée de la porte a bien failli me rester dans la main.

Dites-moi que je vais me réveiller de ce cauchemar !