Fyctia
Chapitre 2** - JADEN
Myriam est au téléphone quand je me plante devant son bureau. Ma collègue est l’architecte écologique du département Green depuis un paquet d'années, c'est une pointure dans son domaine. Elle me considère un instant avant de raccrocher.
— Jaden ?
— Le projet Banff ? T'aurais pu m'en parler !
Elle ramène ses cheveux blonds en arrière avant de les accrocher à l'aide d'un crayon, puis croise les bras sur sa poitrine.
— Depuis quand je dois te consulter avant de faire mon travail ? J'ai analysé les différents terrains et soumis mon rapport à la direction, comme toujours. C'est quoi le problème ?
Je pousse un soupir en m'affalant sur la chaise à côté d'elle.
— Grant me donne un mois pour boucler mon rapport. Si j'échoue, c'est Bennett qui obtiendra le poste de responsable.
Son visage s'adoucit, puis elle glisse une main sur mon bras.
— Il veut te tester. Prouve-lui que tu en es capable. Ce terrain est une mine d'or, le projet a un potentiel incroyable. Le délai est court, mais tu vas assurer. J'en suis sûre.
Ses paroles me rassurent, dissipant quelque peu ma tension. Myriam se rapproche avant d'ajouter à voix basse :
— Tu veux passer chez moi ce soir ?
Si notre relation reste professionnelle à Celestia Resorts, on ne se prive pas de prendre du bon temps en dehors des heures de boulot. Myriam ne cherche pas de relation sérieuse, un point sur lequel on s'accorde très bien.
— Je dois organiser mon départ et prévenir ma famille. Une autre fois.
Elle affiche un air déçu, puis se remet au travail en me faisant signe de la laisser.
Je passe la journée plongé dans mes dossiers sans m'octroyer la moindre pause. Je m'envole dans une semaine, et tout doit être terminé avant mon départ.
En début de soirée, j'hésite un long moment avant de contacter ma mère. Je sais qu'elle va sauter de joie. Chaque année, elle m'invite à passer Noël avec ma famille, mais je décline toujours pour la même raison : le travail.
La période des fêtes est très importante pour le tourisme, je ne peux jamais me permettre de prendre des vacances à cette période. Mais pour être honnête, je ne prends pas de congés le reste de l'année non plus. Ça fait de moi un enfoiré de bourreau de travail qui n'a pas rendu visite à ses proches depuis neuf ans.
Quitter Banff était une évidence à l'époque. Je voulais voir autre chose, étudier dans une grande université, pour ensuite décrocher un job de rêve dans une entreprise influente. Avoir une vie confortable, dans l'effervescence d'une grande ville et un quotidien à quatre cents à l'heure. J'ai atteint chacun de mes objectifs, obtenu tout ce que je désirais, et pourtant, une partie de moi appartiendra toujours à Banff.
Je prends une profonde inspiration, puis lance l'appel.
— Jaden ? C'est toi ? demande ma mère d'une voix suspicieuse.
— Le nom qui s'affiche sur l'écran est un bon indicateur, maman.
Son éclat de rire vibre dans mon oreille. Ma mère est une émotive, elle vit chaque chose de manière intense et passe du rire aux larmes en un temps record. C'est pourquoi je redoute sa réaction.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu es malade ? s'inquiète-t-elle tout à coup.
— Quoi ? Non, je vais bien.
Elle souffle, rassurée par ma réponse.
— Ce n'est jamais toi qui appelles d'habitude, désolée de trouver ça suspect.
Je sais que ma mère ne m'en tient pas rigueur, mais je ne peux réprimer la pointe de culpabilité qui me tord le ventre.
— Je suis désolé, j'ai…
Elle m'interrompt en me demandant de patienter une seconde.
— C'est Jaden, ton petit-fils, tu te souviens ? chuchote ma mère.
Nana. Elle s'adresse à ma grand-mère.
— Bien sûr, je ne suis pas complètement sénile ! Qu'est-ce qui se passe ? Il est malade ?
Je lève les yeux au ciel. Sa voix un peu rauque et son ton bourru n'ont pas changé.
— Non, il va très bien, lui réponds ma mère. Tu veux lui parler ?
— Mon feuilleton va commencer. Dis-lui qu'il aille au diable ce p’tit con !
Si ma mère ne me reproche pas mes choix de vie, pour Nana c'est une autre histoire. Elle n'a jamais compris pourquoi j'ai quitté la ville. Le bruit d'une porte claque, puis ma mère reprend l'appel.
— C'était ta grand-mère, elle est un peu fatiguée, mais elle t'embrasse très fort.
— Je l'ai entendue.
— Oui bon, tu sais, c'est sa façon à elle de dire qu'elle t'aime.
Je n'insiste pas. Nana a toujours eu un sale caractère, mais son amertume envers moi est compréhensible. Je préfère ne pas penser à l'accueil qu'elle me réservera à mon arrivée.
— Maman, si je t'appelle c'est… pour te dire que je viens passer les fêtes à Banff cette année.
Le silence qui suit devient presque inquiétant, je ne l'entends même plus respirer.
— Maman ? T'es là ?
— Oui, excuse-moi… c'est juste que je ne m'y attendais pas, lâche-t-elle, la voix tremblante.
L'émotion de ma mère me serre la gorge. Elle pleure parce que je viens lui rendre visite. La honte et les remords me frappent comme un coup-de-poing en pleine mâchoire.
— Maman… ne pleure pas, s'il te plaît.
— Ce sont des larmes de joie ! Oh mon chéri… c'est le plus beau cadeau de Noël que tu pouvais me faire.
Je n'avais jamais réalisé à quel point ma mère était touchée par mon absence. Ces dernières années ont filé bien trop vite, au rythme de mon quotidien effréné. Nana a raison : je ne suis qu'un p’tit con.
La semaine s'est écoulée en un claquement de doigts. La tête dans mes dossiers en cours, je n'ai eu aucun temps pour prendre connaissance du projet Banff. Grant m'a adressé un dernier mot d'encouragement avant mon départ pour l'aéroport, qui a davantage sonné comme un coup de pression. Je n’ai pas droit à l'erreur.
Le vol entre Vancouver et Banff dure environ 1 h 30. Une fois installé dans mon siège en première classe, je me détends avec une coupe de champagne et quelques amuse-bouches. J'en profite également pour parcourir le dossier du projet hôtelier.
Le complexe sera énorme, avec des chalets haut de gamme, un spa thermal et une partie restauration. Le luxe à l'état pur, surplombant la petite ville de mon enfance.
En tournant la page, un détail retient mon attention : le terrain se situe sur Eagle Hill. Mon cœur fait un bond. Je connais très bien cette colline, pour y avoir passé presque toute ma jeunesse. Un endroit rempli de souvenirs, de moments partagés, de rires. Et d'elle.
L’élevage de chiens de traîneau de la famille Warren : Snowy Paws.
78 commentaires
petites.plumes
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Il y a 3 jours
Ady Regan
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Il y a 2 jours
mima77
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Il y a 13 jours
Ady Regan
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Il y a 13 jours
Scriptosunny
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Il y a 20 jours
Ady Regan
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Il y a 20 jours
Sarael
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Il y a 20 jours
Ady Regan
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Il y a 20 jours
Soäl
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Il y a un mois
Ady Regan
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Il y a un mois