Fyctia
Chapitre 3* - SKYE
Mon travail avec les huskies me prend plusieurs heures par jour. Je les entraîne à la force, l'agilité et la coordination afin qu'ils soient efficaces en attelage. Mais avant tout, ces entraînements sont des moments d'échanges et de partage avec mes chiens.
Ce matin, c'est avec trois d'entre eux que je prends un temps particulier. Bolt, jeune et fougueux, manque de concentration durant les sorties. Tala, trop hésitante dans ses décisions, surtout quand elle est en tête d'attelage. Et Loki, fort caractère, impose souvent son propre rythme sans écouter les ordres.
Nous rejoignons le grand parc extérieur sous un ciel nuageux. Quelques flocons tombent avec légèreté, soufflés par une petite brise. Les températures sont basses, glaciales à cette période de l'année.
Je lâche les chiens, les laissant courir et jouer entre eux un moment. Bolt détale comme un lièvre, renifle, saute dans tous les coins, puis vient chercher Loki. Ils se lancent dans une poursuite folle, leur pattes retournant la neige sur leur passage. Tala, prudente, reste loin du duo sauvage.
Je referme la barrière, puis dispose les cônes oranges pour le slalome. Tala reste toujours à l'écart et me cherche du regard. Je pose un genou au sol. La chienne s'empresse de venir à ma rencontre, puis mes mains glissent dans son pelage épais. Dans ses yeux, aussi bleu qu'un ciel d'été, je perçois toujours cette profonde tristesse. Une vieille cicatrice qu'elle gardera toute sa vie.
Tala était très proche de ma mère. Si les mushers aiment chaque membre de la meute d'un amour fort et sincère, il y a toujours une relation privilégiée avec l'un d'entre eux. Une connexion puissante. Une fusion des âmes, comme disait mon grand-père.
Après la mort de ma mère, la chienne a vécu une longue période de dépression. Elle refusait de manger et restait dans sa niche la plupart du temps. Tala pleurait la perte de son âme-sœur pendant que je pleurais la perte de ma mère.
J'ai passé beaucoup de temps avec elle, parfois simplement assise devant sa niche. On a créé un lien unique dans la douleur, surmonté notre deuil ensemble, petit à petit. Je ne remplacerai jamais ma mère, mais Tala et moi avons une relation spéciale, que je ne partage avec aucun autre.
Après une heure d'entraînement, les trois huskies retrouvent leurs congénères dans le vaste enclos. Josh est en train de nettoyer le parc, il me fait signe de la main.
— Je dois finir plus tôt aujourd'hui, m'annonce-t-il. Molly est malade et je dois l'emmener chez le pédiatre.
— Bien sûr, ne t'inquiète pas. Je dois descendre en ville en début d'après-midi, mais mon père est là de toute façon.
Je passe le reste de la matinée dans la paperasse. Organiser le planning de la semaine prochaine, répondre aux demandes pour des excursions, appeler le vétérinaire pour le rappel des vaccins, sans oublier de préparer les documents pour mon rendez-vous à l'hôtel de ville. Un entretien important avec un agent des finances municipal, qui décidera si un délai supplémentaire peut m'être accordé.
Avant de partir, je passe dans le vieux bâtiment derrière les enclos. Si à l’époque cet endroit servait de maison d’hôtes, il est devenu un débarras depuis quatre ans. Je récupère les caisses qui contiennent les décorations de Noël. Chaque année, je m'applique à transformer le chenil en lieu féerique pour les fêtes, et les familles participent toujours avec enthousiasme aux activités proposées. L'espace de deux semaines, Snowy Paws devient le nouveau pôle Nord. Un endroit magique rempli de cadeaux et de surprises en tout genre.
Je dépose les cartons contre la façade extérieure avant de prendre la route pour un rendez-vous beaucoup moins féerique.
Après une attente interminable à l’accueil, un homme finit par me recevoir. Son enthousiasme pourrait facilement concurrencer celui de la vieille Martha.
Nous traversons un long couloir dans un silence de mort avant d'entrer dans un petit bureau, où des piles de documents s'entassent dans tous les coins. L’éclairage sombre intensifie l'ambiance étouffante de la pièce.
L'homme m'invite à prendre place avant de s'installer face à moi.
— Madame Warren, que puis-je faire pour vous ?
Une chose est sûre, ce type n'est clairement pas épanoui dans son job. Les valises sous ses yeux attestent d'une fatigue vieille d'un millénaire, lui donnant facilement dix ans de plus. Sa cravate, aux motifs colorés de Noël, ne compense pas son air abattu et cynique, qui semble collé à son visage de façon permanente.
— J'ai besoin d'un délai supplémentaire pour le paiement des taxes.
Il consulte son ordinateur quelques instants tandis que ma jambe s'agite dans un mouvement incontrôlé. Calme-toi.
— Nous vous avons déjà accordé plusieurs délais au cours de l'année, je doute que votre demande soit acceptée.
— J'en suis consciente, et je vous assure que je fais tout ce que je peux pour rembourser, mais tout payer avant Noël est impossible. Avec les intérêts qui s'accumulent, c'est un vrai cercle vicieux.
— Je comprends, mais…
— S'il vous plaît, le coupé-je, c'est la haute saison, je vais pouvoir rembourser d'ici le mois de février, je vous assure. J'ai juste besoin d'un dernier coup de pouce…
Il pousse un soupir qui me donne envie de pleurer, mais je me contiens, gardant un sourire confiant.
— Je vais soumettre votre demande à la direction, mais ne vous faites pas trop d'illusion.
J'ai à peine le temps de le remercier qu'il me raccompagne déjà à la sortie. Mon sourire de façade reste en place jusqu'à ce que j'entre dans ma voiture.
Un sanglot m'échappe, puis un autre. Les larmes sillonnent mes joues tandis que je pose mon front contre le volant. Si ce délai est refusé, je vais tout perdre. Ma vie, ma maison, mes chiens. Cette pensée me tord l'estomac.
De retour au chenil, le moral au plus bas, je remarque une voiture garée devant la maison. Mes yeux balaient les environs, puis repèrent un homme qui se balade autour des enclos. Vêtu d'un manteau en cachemire par-dessus un costard noir, assorti à des chaussures laquées qui valent certainement plus que mon salaire annuel, ce type ressemble davantage à un inspecteur des impôts qu'à un client potentiel.
— Je peux vous aider ? lancé-je en m'approchant.
L'homme se retourne, puis plonge ses yeux noisette dans les miens. Mon cœur cesse de battre un instant. Ces traits familiers, ce regard profond, ses cheveux sombres…
— Skye ? C'est bien toi ?
Sa voix, grave et mélodieuse, provoque un frisson incontrôlable sur ma peau.
— Jay… murmuré-je.
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petites.plumes
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Il y a 2 jours
Ady Regan
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Il y a 2 jours
mima77
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Ady Regan
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Sarael
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Ady Regan
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Scriptosunny
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Ady Regan
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Soäl
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Ady Regan
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