Fyctia

La pluie battante me pique les yeux alors que mon anorak me colle au torse comme une seconde peau. Cela peut paraître étrange, mais courir par ce temps me galvanise.

Il faut dire que le mois de novembre à Vancouver est rythmé par les précipitations, un ciel gris et une humidité constante. Chaque foulée éclabousse mes jambes, ma respiration est rapide, mon pouls explose dans mes tempes. J'accélère la cadence. Toujours plus vite, toujours plus fort. Je repousse mes limites en remontant vers Yaletown, quelques mètres avant d'arriver chez moi.

Je reprends mon souffle tout en consultant ma montre connectée. 7,6 kilomètres. 43 minutes. Je ne suis pas au meilleur de ma forme. Depuis que le responsable projet de mon département a annoncé sa retraite, la tension est montée d'un cran au bureau. Si plusieurs employés convoitent ce poste, personne n'est aussi compétent et investi que moi.

Je prends une douche rapide, puis enfile une chemise blanche et un costard gris anthracite. Chaque geste est précis : du nœud complexe de ma cravate bleu roi jusqu'aux boutons de manchette Montblanc. Je termine ensuite ma routine par un coup de peigne et un jet de parfum. Après un café accompagné d’une barre énergétique, je quitte mon loft à 8 h tapante.

Mon logement est très bien situé et me permet d'arriver rapidement dans les bureaux de Celestia Resorts, grande chaîne hôtelière internationale. Je travaille dans la division Green depuis l’obtention de mon master il y a trois ans. Ce département se consacre aux projets hôteliers de luxe éco-responsables.

En arrivant dans l'open space, je salue mes collègues avant de prendre un deuxième shoot de caféine. Si je pouvais me l'injecter directement dans les veines, je gagnerais du temps. Le café coule dans ma tasse quand Myriam apparaît dans la salle de pause.

— J'ai posé des dossiers pour le projet de rénovation Whistler sur ton bureau, m'annonce-t-elle.

— Bonjour à toi aussi. Merci, je m'y mets dans cinq minutes.

— Et le patron veut te voir, ajoute-t-elle. Tout de suite.

Un frisson d'excitation parcourt mon corps. J'avale mon expresso d'une traite, me brûlant la gorge au passage, puis fonce dans le bureau de Richard Grant avec détermination. Cette promotion, c'est la mienne. Je bosse dur depuis trois ans, mon travail est irréprochable, mes idées novatrices et audacieuses. Je suis la personne parfaite pour diriger l'équipe projet du département Green.

— Foster. Entrez, je vous en prie.

À l'approche de la cinquantaine, Richard Grant inspire l'élégance et le charisme. Ses cheveux grisonnants, parfaitement peignés en arrière, mettent en valeur son visage carré et ses yeux bleus perçants. Si sa seule présence impose le respect, son bureau luxueux, avec une vue panoramique sur la baie de Vancouver, est tout aussi impressionnant.

Je prends place sur le fauteuil face à son bureau en gardant mon stress sous contrôle.

— Je sais que vous attendez impatiemment ma décision quant au poste de Paul Laurens. Vous êtes un génie dans votre domaine, Foster, je n'ai rien à vous reprocher.

Mes doigts se resserrent sur les accoudoirs. J'ai comme la sensation que ce qui va suivre ne va pas me plaire.

— Mais vous êtes très jeune, poursuit-il, et j'ai peur que ce manque d'expérience fasse défaut à l'équipe. Vous savez que Bennett est également intéressé par le poste. Il est chef de projet depuis plus longtemps que vous.

Je hausse un sourcil. Grant me connaît bien, il m'a donné ma chance il y a trois ans et je sais qu'il n'a aucun regret. Je suis son meilleur élément. Et de loin.

— Même du haut de mes vingt-sept ans, vous savez que je suis le candidat idéal pour ce poste. Je vous l'ai prouvé un nombre incalculable de fois.

Un semblant de sourire étire ses lèvres, creusant ses petites rides d'expression.

— En effet. C'est pourquoi j'aimerais vous confier un nouveau projet. Si vous le menez à bien, le poste est à vous.

Chaque dossier qui passe entre mes mains se termine par un succès. Ce défi ne me fait pas peur, au contraire, il me stimule. Grant m'offre la promesse que j'attendais, le reste n'est qu'un détail.

— Considérez que c'est fait, réponds-je, confiant. De quoi s'agit-il ?

Grant glisse ses lunettes sur son nez, puis ouvre le dossier face à lui.

— Les analystes ont sélectionné un site exceptionnel, avec un grand potentiel touristique. Le projet prévoit la construction d'un énorme complexe de luxe.

Il glisse le document jusqu'à moi avant de poursuivre :

— Vous partez la semaine prochaine pour évaluer le terrain et discuter avec les autorités locales. Je veux un rapport final avant le nouvel an.

Je n'ai encore jamais géré un projet aussi ambitieux. Mes yeux parcourent rapidement les documents, puis se fixent sur le nom de la ville.

— Banff ? C'est…

— Votre ville natale, je sais. Vous connaissez la région et ses habitants, c'est pourquoi je vous ai choisi pour ce travail.

Banff reflète mon passé, une période que j'ai laissée derrière moi depuis presque dix ans.

— Moins d'un mois pour boucler mon rapport ? C'est très court.

Un rire grave s'échappe de sa gorge.

— En effet, mais je dois m'assurer que vous êtes aussi exceptionnel que vous le prétendez, Foster. Vous devez être capable de gérer un gros projet sous pression.

Si Grant me confie cette tâche quasi-irréalisable dans un délai aussi court, ce n'est pas pour mon lien avec Banff. Il sait que personne d'autre que moi dans ce bureau n'est capable de relever un tel défi. C'est mon ticket pour la promotion de mes rêves, et je suis prêt à tout pour l'obtenir.

— Si vous avez des doutes, je peux le confier à Bennett, ajoute-t-il.

— Non. Vous pouvez compter sur moi, Monsieur Grant.

Sur ces mots, je me lève et quitte le bureau à la hâte.