Fyctia

Je ne suis pas rentrée directement après l’essayage et ai passé la journée avec Diane : le samedi est souvent synonyme de repas entre amies et shopping tout l’après-midi ! L’automne est bien installé, et j’ai besoin de nouvelles tenues.

Nous nous dirigeons vers le café de Grégory en discutant gaiement. Le weekend, notre ami propose une carte beaucoup plus fournie incluant la possibilité de brunchs, et son café prend alors davantage des allures de petit restaurant. Étonnamment, le lieu est plutôt calme à notre arrivée. Nous sommes accueillies par Ben, l’un des serveurs de Greg que je ne supporte pas, tant par ses réflexions graveleuses que par ses regards lubriques à mon égard.

– Salut les filles, dit-il simplement.

Diane le salue de la main, tandis que j’esquisse un sourire poli. Lorsque mon amie est plus loin, il se tourne vers moi et m’adresse un clin d’œil qui me donne la nausée. Je m’assois sur notre banquette habituelle et Greg arrive une minute plus tard :

– Mes petits choux à la crème et au sucre !

Je le prends dans mes bras, et Diane nous rejoint en un câlin collectif maladroit par-dessus la table. Dans leur étreinte, je me sens instantanément plus légère, comme si tout le poids de ces dernières semaines retombait. Je ne pense plus aux yeux chaleureux et aux sourire de Liam, au chantage persistant de Raphaël, à la trahison de mes parents. A ce moment précis, je suis seulement une jeune femme de 23 ans entourée de ses meilleurs amis.

Mais je sais que je dois annoncer mon mariage à Grégory. Je suis persuadée qu’il n’est pas au courant car il ne lit pas les journaux.

– Greg, quand est ta prochaine pause ?

Il jette un œil rapide à sa montre avant de répondre :

– Je vais déjeuner dans une dizaine de minutes. Vous permettez que je me joigne à vous ?

– Évidemment, mon petit chamallow ! s’exclame Diane, sautillant sur sa banquette à l’idée de partager un repas avec notre ami.

Greg s’éloigne sans plus de cérémonie, et Diane me demande de lui commander une citronnade pendant qu’elle va se rafraîchir. Une fois seule, je pianote contre la table avec mes ongles, perdue dans mes pensées, quand une carafe d’eau se retrouve posée devant moi. Je lève les yeux et croise le regard de Ben :

– Qu’est-ce que je te sers, princesse ?

Je me hérisse au surnom employé. Je déteste cet homme. Il n’a aucune subtilité pour me faire comprendre qu’il me mettrait bien dans son lit, et son attitude me répugne. Je lui ai déjà fait comprendre tellement souvent que je ne souhaitais rien avoir à faire avec lui.

– Je vais prendre deux citronnades s’il te plait.

– A tes ordres. Au fait, t’es chaude pour qu’on se retrouve chez moi ce soir après mon service ?

– Non merci, Ben. Je ne suis toujours pas intéressée.

Il se baisse pour être à mon niveau et insiste :

– Aller, poulette, on pourrait passer du bon temps ensemble, tu ne crois pas ?

Je me raidis, sa main venant se poser sur ma cuisse avec nonchalance. Je recule, échappant à son contact :

– Tu dépasses les bornes, Ben. Tu es un gros porc.

Il se rapproche et chuchote, en m’adressant un regard pervers :

– Je suis sûr que tu aimerais ce que je pourrais te faire.

Je suis dégoûtée et me sens prise au piège dans ma banquette, m’éloignant pour tenter d’installer de la distance entre nous. Il finit par se relever comme si de rien était, avant de se détourner en m’adressant un dernier sourire carnassier qui me fait frissonner.

C’est le moment que Diane choisit pour réapparaître, soucieuse :

– Qu’est-ce qu’il te voulait ?

– M’inviter chez lui, et il est toujours aussi goujat !

Elle pouffe :

– Alors lui, quand il va savoir que tu te maries, il risque de faire une dépression nerveuse.

Je tente d’afficher un air amusé, mais n’y parviens pas : il me fait un peu penser à Raphaël, à espérer sans relâche qu’il arrivera à ses fins.

Greg arrive peu de temps après et s’assoit à côté de moi, nous informant qu’il a commandé nos plats préférés. Nous discutons un peu de nos vies, puis je commence :

– Greg, il faut que je t’annonce quelque chose. Diane est déjà au courant, mais je ne savais pas comment te le dire.

Ne trouvant pas les mots, je lui tends ma main gauche, à laquelle brille le sublime diamant que Liam m’a offert. Il baisse les yeux vers mes doigts, sa bouche s’ouvre en grand et il relève la tête avant que son visage ne se torde dans une grimace presque alarmante. Il ne répond pas et reste dans cette position pendant une éternité, si bien que nous commençons à nous inquiéter. C’est Diane qui rompt le silence :

– Euh… Est-ce qu’il est en train de faire un AVC ?

Je la regarde, inquiète, et je passe ma main devant la figure de mon ami dans de grands gestes. Il reste figé, puis nous sursautons toutes les deux lorsqu’il s’exclame, plus que bruyamment :

– Aaahhhhh ! Ahhhhhh !

C’est le seul son qu’il est capable d’émettre à cet instant et Diane et moi échangeons des œillades amusées. C’est exactement le genre de réaction à laquelle je m’attendais de sa part. J’essaie de le calmer :

– Greg ! S’il te plait, écoute-moi.

Ses yeux verts sont écarquillés par la stupeur lorsqu’ils se plantent dans les miens. Je baisse la voix pour lui expliquer :

– Il ne s’agit que d’un mariage de convenance. Tu te doutes bien que je t’aurais prévenu si j’avais un petit ami. Je vais épouser le fils de Thomas Williams, Liam. Nous l’avons appris par nos pères la semaine dernière, et je vis chez lui depuis. Étrangement, tout semble bien se passer. Je ne suis pas ravie, mais je suis petit à petit en train de me faire à cette idée.

Je m’attends à trois réactions de la part de Greg : soit il va se mettre à pleurer, soit il va crier qu’il est heureux, soit il va me hurler dessus. C’est la troisième solution qui l’emporte :

– Olivia Evans, mais tu es complètement cinglée !

– Chuuuut, je lui dis pour qu’il baisse d’un ton, tous les clients du café se retournant, attirés par l’agitation.

Il reprend en murmurant :

– Olivia Evans, tu es complètement cinglée quand même ! Depuis quand est-ce que l’on se marie avec des inconnus Tu te drogues ? Tu es tombée sur la tête ? Ma pauvre, tu n’as pas du tout les idées en place !

Il se tourne vers Diane :

– Dis-lui, toi, que c’est de la folie ! Elle ne peut pas épouser un inconnu ! En plus, c’est Liam Williams. Liam !

Il décortique les deux syllabes du prénom de mon fiancé de façon exagérée. C’est Diane qui répond :

– J'ai réagi comme toi. Mais plus le temps passe, plus je pense qu’Olivia a eu raison d’accepter. De plus, cela lui permettra enfin de se défaire de l’emprise de Laura le gros rat ! Et au final, Liam semble plutôt gentil avec elle. Ce n’est que le début, et je ne le connais pas encore assez pour lui faire confiance, mais j’ai l’impression qu’il est moins horrible que ce que les médias veulent bien laisser paraître.

Je hausse un sourcil. C’est la première fois que ma meilleure amie prend sa défense, alors qu’elle ne l’a encore jamais rencontré. Voir qu’elle essaie de me soutenir me met du baume au cœur.