Fyctia
Chapitre 10 : Mélanie 🌃
Mercredi 30 octobre 2024
Les néons bleus, roses et violets donnent aux visages des danseurs des airs effrayants. Presque possédés. C’est approprié pour une soirée d’Halloween avant l’heure. Je reste figée, incapable de les quitter du regard. Fascinée. Quelqu’un me bouscule. Le liquide alcoolisé dans mon verre heurte les bords et se renverse partiellement sur mon haut blanc. Je n’y prête pas vraiment attention. Les basses crachent une musique que j’adore. Ivre de joie, je me déhanche et entraîne Sofia dans mon sillage. Je ris. Je danse. Je vis. Et c’est merveilleux. Tout est merveilleux, même les visages possédés des inconnus sur la piste.
— Mely, tu devrais ralentir un peu.
Ça ce n’est pas merveilleux. Je fronce les sourcils et lâche la paume moite de Sofia. Être obligée de crier pour lui répondre n’a rien d’agréable, mais il faut bien couvrir le bruit ambiant.
— Je vois pas pourquoi.
— C’est au moins ton…
Elle s’arrête pour compter sur ses doigts. Enfin je suppose, parce que je vois à peine ses mains.
— Au moins ton cinquième verre ! s’exclame-t-elle.
— Ouais ça va, j’ai de la marge.
J’avale le reste du contenu de mon cocktail comme preuve. L’alcool brûle ma gorge. J’adore.
— C’est vraiment pas sérieux. On aurait même pas dû sortir ce soir. Je sais pas pourquoi je t’ai laissé me convaincre… Ludmilla est morte merde, et nous…
— Nous, on est vivantes. Et on va certainement pas s’empêcher de vivre et de profiter du temps qu’il nous reste sur cette Terre !
Je ris, euphorique. C’est vrai, Ludmilla est morte. Son corps a été trouvé par la police près de la fac, ce qui a scandalisé tout le monde. Le groupe WhatsApp de ma promo a explosé de notifications. Ils étaient tous choqués. Triste. Ou pas. En ce qui me concerne, elle n’a eu que ce qu’elle méritait. Ce jour devait arriver. Elle a forcé avec Ana et en a payé le prix. Comme monsieur Nicole. Je ne compte pas les pleurer. Ni m’empêcher de faire la fête. La vie est belle, c’est les vacances et Ana m’a envoyé plusieurs SMS ce week-end. Que demander de plus ?
— C’est dingue d’être aussi égoïste, crache Sofia, furieuse. Franchement je sais pas ce qui t’arrive Mélanie, mais c’est de pire en pire. Je te reconnais plus.
Ça non plus, ce n’est pas merveilleux. Sofia est jalouse depuis un moment de toute façon. Je sens constamment son regard et son jugement sur moi. Elle a toujours un truc à dire, toujours des conseils non sollicités. Ça m’agace. Ça m’agace vraiment. Sofia a été ma première amie lorsque je suis arrivée à Paris Cité en première année de licence. Ensuite, nous avons rencontré Marwa, Vanille et Valentin. Mais, malgré notre petit groupe, ça a sans cesse été nous deux contre le reste du monde. Plus maintenant. Sofia s’est trop rapprochée des autres, on s’est éloignées. Je suis persuadée qu’ils ont une conversation tous les quatre pour cracher sur moi. Je reconnais la malice dans leurs sourires. Leur fausse considération à mon encontre est pitoyable. Je sais même pas pourquoi je me force encore à préserver notre amitié quand il est évident qu’elle s’est terminée il y a bien longtemps.
— Alors au revoir.
— Quoi ?
— Au revoir Sofia.
Je lui fais un geste pour lui signifier qu’elle peut s’en aller. Elle ne doit probablement pas le voir étant donné l’obscurité. Tant pis. Pas mon problème. Je tourne les talons et m’enfonce dans la foule. La fête estudiantine bat son plein. Je ferme les yeux et lève les bras pour me laisser porter. La musique m’enveloppe. C’est mieux comme ça. Je n’ai pas besoin de Sofia. Je n’ai pas besoin de Marwa, de Vanille ou de Valentin. Je n’ai besoin de personne. Ou peut-être juste d’Ana. Ana et son sourire franc et chaleureux. Ana et ses cheveux bruns a l’odeur de… de quoi au juste ? Je n’en ai pas la moindre idée putain. J’aimerais bien le savoir. J’aimerais bien savoir à quoi elle occupe sa soirée aussi.
Il se passe cinq minutes, ou peut-être dix, ou peut-être même vingt, trente, quarante minutes, entre le moment où je pense à madame Freiberg et celui où les vibrations de mon téléphone m’indiquent un appel. C’est elle. Misère. Est-ce que je décroche ? Bien sûr que je décroche !
Le bruit alentour disparaît, il dévient cotonneux alors que la voix, la charmante et sublime voix, d’Ana retentit de l’autre côté du combiné.
— Mélanie ?
— Ou…Oui ?
— Voudriez-vous me retrouver demain devant l’Opéra Garnier ?
Sans prendre le temps de réfléchir, de me demander si j’ai quelque chose de prévu demain, de questionner le choix du lieu où l’activité qu’elle a en tête, je confirme ma présence.
— Oui, bien sûr !
— Parfait. Rendez-vous demain à 18h alors. Soyez ponctuelle.
— Toujours. Je veux dire oui. Oui évidemment.
Mon cœur palpite dans ma poitrine. Si fort qu’il couvre le bruit des basses. Ana raccroche. La musique redevient omniprésente. Pour fêter ce rendez-vous inattendu, je m’empresse de commander un sixième verre.
*
Il est dix-sept heures cinquante-neuf. Debout, droite comme un i, j’arrange mes cheveux derrière mes oreilles. Le bouquet de tulipes rouges est pressé contre mon cœur. Je me balance d’avant en arrière dans une vaine tentative de réchauffer mes muscles engourdis par le froid.
Dix-huit heures. Impatiente, je scrute les visages des passants en essayant d’apercevoir les yeux bruns de ma professeure. Mais elle n’est nulle part. Le vent gifle mes joues. Elle va arriver, je le sais. Après tout, elle m’a dit d’être ponctuelle.
Dix-huit heures cinq. Elle n’est toujours pas là. Pourquoi ? Sûrement un problème de métro. Oui c’est ça. C’est le métro.
Dix-huit heures quinze. Ce n’est pas le métro. Ce n’est pas dans ses habitudes d’être en retard. Ana est toujours en avance. C’est une personne organisée. Très organisée. Alors pourquoi n’est-elle toujours pas là ? Et s’il lui était arrivé quelque chose ? La peur me gagne. Elle m’écrase les organes. Elle me broie de l’intérieur et menace de tout briser sur son passage. J’ai du mal à respirer. Putain. Putain. Je grelotte à présent. Dois-je encore l’attendre ? Prévenir la police ? Non. On ne prévient pas la police pour quinze minutes de retard.
Dix-huit heures trente-deux. Elle ne viendra pas. Je bous d’un mélange de colère et d’angoisse. Ana ne m’aurait pas posé un lapin. Je le sais. C’est obligatoirement autre chose. Soudain, j’ai la sensation d’être observée. Des yeux étrangers braqués sur ma nuque. Je me retourne. Personne. Les passants continuent leur chemin. C’est forcément l’un d’eux. Je resserre ma prise sur les fleurs. Mon instinct me hurle de fuir, de courir. C’est ce que je fais. Les tulipes heurtent le trottoir sans un bruit, et mes talons claquent contre l’asphalte alors que je rejoins la bouche de métro. Pourquoi m’observe-t-on ?
6 commentaires
Alsid Kaluende
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Il y a 7 jours
Arca Lewis
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Il y a un mois
Gottesmann Pascal
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Il y a un mois
C. Tardielle
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Il y a un mois