Fyctia
Chapitre 8 : Mélanie 🌈
Jeudi 24 octobre 2024
— Bon du coup, maintenant que le cours est terminé et que t’es enfin OK pour parler, t’as entendu la rumeur ?
Sofia tourne vers moi ses grands yeux bruns. Je soupire. J’ai essayé d’esquiver cette conversation toute l’heure durant. J’aimerais dire que j’ai essayé toute la journée, mais c’est faux. Parce que je ne suis pas venu aux cours précédents. Ni aujourd’hui ni hier. Ni avant-hier d’ailleurs. Je n’ai pas non plus réagi aux messages de mes amis. Je n’avais juste pas envie. En ce moment ils m’énervent, eux et leurs rumeurs. Eux et leurs questions.
— Oh allez Mely ! Arrête de faire la gueule un peu.
Pour toute réponse, je la fusille du regard avant de lever les yeux au ciel. Sofia se renfrogne. Elle a l’air triste. Aucun doute, je l’ai blessé. Et qu’elle m’en veut. Bien sûr qu’elle m’en veut. Tout le monde m’en voudrait dans ce genre de cas. Je suis une amie nulle. Horrible. Une pointe de culpabilité me transperce. Mon ventre se serre. J’ai les mains engourdies.
— Pardon Sofia. C’est quoi cette rumeur ?
Voilà, elle retrouve son sourire. C’est mieux. Je n’aime pas quand elle est me reproche des choses. Le nœud dans mon estomac disparaît. Je fourre mon cahier noirci de gribouillis dans mon tote bag et me lève. Sofia me suis. Debout dans l’allée entre deux rangs, elle m’explique :
— Des étudiants auraient vu Freiberg avec des fleurs ! Tu te rends compte ? Avec ce qui se passe avec monsieur Nicole…
— Vraiment ?
— Oui !
— Et en quoi c’est notre problème ?
Je ne peux m’empêcher d’être cassante. Les traits de mon amie se chiffonnent à nouveau. Pour éviter l’angoisse de m’envahir, je presse mon sac contre ma poitrine. C’est comme si mon cœur se calmait, bien contenu par le tissu, armure contre le monde.
— En rien, c’est vrai. Mais...
— Alors on est pas obligé d’en parler.
M’excuser une fois est suffisant. Je sais que j’ai raison. Cette discussion m’agace. Pour l’empêcher de répliquer, je me dirige vers l’estrade. Ana est en pleine conversation avec des étudiants. Qu’est-ce qu’ils lui veulent ? Peut-être lui offrir des fleurs eux aussi. Je fronce le nez. Non. Lui demander des détails sur le cours si j’en crois ce qu’ils disent. Ou alors ils ont changé de discussion en me voyant arriver. Possible. Ça serait logique après tout. C’est tout à fait le genre de Ludmilla. Si elle imagine que je n’ai pas remarqué comme elle replace ses mèches blondes derrière son oreille… Et ma pauvre Ana qui s’obstine à parler de son cours pour la recadrer. Je dois intervenir.
Je fais signe à Sofia de partir sans moi. Elle ne proteste pas. Elle en est plus que ravie en fait, je le sais. Je l’ai mise en colère, je l’ai blessée, et à présent elle se demande pourquoi elle est encore amie avec moi. Ça me fait mal, mais je peux le comprendre. Alors j’essaye de l’ignorer et me concentre sur ce qu’il se passe face à moi. Les étudiants, embêtés par ma présence, finissent par partir. Bien fait pour eux. Ludmilla grimace, dégoûtée à l’idée que son petit jeu n'ait pas fonctionné. Me sentant plus victorieuse que jamais, j’ose un pas supplémentaire en direction d’Ana. Elle est magnifique dans son tailleur bleu marine, sérieuse sans être stricte, élégante sans être pompeuse. Son carré brun effleure ses épaules eu rythme de ses mouvements. Lorsqu’elle darde sur moi ses yeux inquisiteurs, ma bouche s’assèche.
— Oui ?
Sa voix résonne à l’intérieur de moi.
— Je… Hum je…
Je cesse de parler pour prendre une grande inspiration. L’air est salvateur. Surtout, je ne dois pas faire comme mes camarades, je ne dois pas l’agacer.
— Je voulais vous dire que j’avais beaucoup aimé le cours d’aujourd’hui.
— Oh, je suis ravie de l’apprendre.
Son sourire se fait chaleureux. Il embrasse mes entrailles. C’est presque trop. Trop chaud. Douloureux. Une nouvelle goulée d’air vient refroidir les braises en moi.
— Oui, j’apprécie chacun de vos cours. Ils sont passionnants et me semblent primordiaux pour notre future clinique. Je me demandais…
— Je t’écoute.
— Vous dites qu’il y a de forts risques qu’un épisode dépressif se reproduise.
— En effet.
— Même avec la prise d’antidépresseurs ? Je demande parce que mon médecin généraliste m’en a prescrit à la fin de l’été et je veux savoir si je peux arrêter sans risque.
Ana fronce les sourcils. Lorsqu’elle me répond, c’est d’un ton sans appel.
— On ne doit jamais arrêter les antidépresseurs comme ça. Je te conseille d’en parler avec ton psychiatre, un spécialiste de la santé psychique, et non avec ton médecin généraliste. Si tu n’en as pas, je peux te donner des contacts.
Ma bouche s’entrouvre. Mes yeux s’écarquillent. Elle veut me donner des contacts ? C’est plus que tout ce que j’aurais pu espérer. Un large sourire aux lèvres, je hoche la tête.
— Merci beaucoup madame ! Avec plaisir. Et aussi, je voulais savoir si vous étiez toujours à la recherche de stagiaires. Je sais que c’est un peu tard, mais mon tuteur a eu de lourds problèmes de santé alors il ne peut plus me prendre.
C’est un mensonge. Je n’ai pas réussi à trouver de stage. À cause de la dépression que j’ai faite à la fin de l’année dernière, je n’ai pas été en capacité d’envoyer la moindre demande. J’ai honte de lui mentir. Sauf que c’est pour notre bien à toutes les deux. Je sais que je serai une stagiaire exceptionnelle. Et je veux travailler avec elle. Depuis la première fois que je l’ai rencontré, en L2, je ne rêve que de ça. C’est ma chance. Je refuse de passer à côté.
— C’est un peu tard, mais tu peux toujours m’envoyer ton CV et ta lettre de motivation par mail, au cas où. Mélanie, c’est ça ?
Elle connaît mon prénom. Ana Freiberg connaît mon prénom. Tout ce que je retiens de cette conversation, c’est que la professeur que je préfère sait qui je suis. C’est logique. Nous nous sommes souri plusieurs fois. Ce lien que je voyais entre nous, il est bien réel. C’en est la preuve. Parce que plus que ses sourires, c’est mon nom qui orne ses lèvres.
— Oui. Oui, c’est bien Mélanie. Je vous transmets tout ça dès ce soir !
— Très bien. Bon après-midi, alors.
— Merci infiniment !
La joie qui m’envahit est incommensurable. Je serre mon sac contre ma poitrine et prends sur moi pour ne pas sauter. Intérieurement, je jubile. Alors que je vais pour quitter l’amphi, sa voix résonne :
— Et Mélanie ? Quand tu m’enverras ton mail, donne-moi ton numéro que nous puissions échanger plus facilement.
9 commentaires
Alsid Kaluende
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Il y a 7 jours
Syllogisme
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Il y a 17 jours
Carl K. Lawson
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Il y a 2 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 mois