Fyctia
Chapitre 6 : Mélanie 📖
Jeudi 17 octobre 2024
— Le tableau clinique de la dépression peut s’accompagner de nombreuses comorbidités. Pour rappel, une comorbidité est une association régulière entre plusieurs types de difficultés. Dans le cas qui nous intéresse, les comorbidités ne vont pas avoir la même importance selon le degré de dépression.
Assise au milieu de l'amphithéâtre, je consigne chaque mot comme s’ils s’adressaient à moi. Et rien qu’à moi. Madame Freiberg sait ce que j’ai traversé l’année dernière. Je me demande si le programme est toujours ainsi. Peut-être qu’Ana sait à quel point cette thématique est importante pour les étudiants comme moi. Son cours fait écho à mon histoire. Un écho si fort, si tangible que je peux presque le toucher du doigt. Je sens au fond de moi que je suis la cible de sa leçon. J’aimerais être la seule cible néanmoins. Depuis que nos regards se sont croisés la semaine dernière, nous partageons quelque chose d’unique. Quelque chose que je ne peux pas décrire. Quelque chose dont je n’ose parler à mes amis. Ils ne comprendraient pas. Alors je me contente de faire comme si de rien n’était. La semaine est passée bien trop lentement. J’ai attendu ce cours avec tant d’impatience que je n’ai presque pas dormi de la nuit. À la place j’ai préféré relire tout ce qu’Ana Freiberg nous a appris jusque-là. Officiellement, ces révisions sont en prévision des partiels de début janvier. Mais officieusement…
— Les troubles thymiques, c’est-à-dire les troubles de l’humeur dont la dépression fait partie, ont tendance à revenir. Ils font partie des troubles les plus récurrents parmi les troubles psychiatriques et ils se présentent sous forme dite “épisodique”. Au fil de temps et des découvertes, on a donné différents noms pour de mêmes troubles. Pour donner un exemple, ce que nous appelions avant “folie circulaire”, a ensuite pris le nom de “trouble maniaco-dépressif”, et s’appelle à présent troubles bipolaires. Dans le cas de cet exemple, il s’agit de troubles à expression transitoire et non chronique. Il faut bien noter que nous ne traitons pas de la même façon une maladie chronique et des crises épisodiques. Les…
Les chuchotements inintelligibles entre Valentin et Marwa m’empêchent de rester concentrée. Je les fusille du regard. Avec bien plus de brusquerie que prévu, je pivote sur la gauche pour leur faire face. Je toussote. Une fois sûre que j’ai leur attention, je glisse un doigt sur mes lèvres pour leur signifier de se taire.
— Oups, pardon Mel, s’excuse Valentin.
J’aime mieux ça. Je pivote de nouveau, cette fois pour m’asseoir correctement. Où en étais-je ? Je regarde mes notes sans parvenir à retrouver le fil. Peut-être que le diapo affiché derrière la professeure m’aidera. Lorsque je lève les yeux au tableau cependant, c’est le sourire chaleureux de madame Freiberg que je rencontre. Elle est tournée dans notre direction. Sûrement le bruit de mes amis l’a-t-il dérangé elle aussi. Quoi qu’il en soit, je sens toute la reconnaissance qui s’émane d’Ana. Bien sûr, en demandant à Marwa et Valentin de se taire, je lui ai prouvé que j’étais une élève sérieuse. Cette constatation fait danser de nouveaux papillons dans mon ventre. Je brûle de fierté. Alors je lui rends son sourire. Du rouge lui monte aux joues. Adorable. Je ne pensais pas un jour pouvoir faire rougir une professeure, et encore moins quelqu’un d’aussi… D’aussi… Spectaculaire. Oui, quelqu’un d’aussi spectaculaire qu’elle. Je ne rêve que d’une chose : parvenir à enfin lui parler. Seulement je sais que ce n’est pas le moment. Les rumeurs sur sa potentielle culpabilité circulent déjà. Je ne veux pas en rajouter une couche. En plus, c’est ridicule. Ce n’est pas Ana qui a tué monsieur Nicole. Je ne comprends pas pourquoi certains s’obstinent sur elle. Cette femme est bien trop gentille, ils devraient le savoir. Tout ça me conforte dans l’idée que moi seule la connais. Moi seule ai percé son cœur à jour. Comme j’aimerais qu’elle perce le mien à présent. Mais j’imagine que ça ne saurait tarder.
Je passe le reste du cours sur un petit nuage et ne vois pas la fin de l’heure arriver. Si bien que mes notes n’ont plus le moindre sens. Mais qui a besoin de sens finalement ? Alors que l’on marche en direction du restaurant universitaire, Sofia remarque mon état.
— Bah alors Mély-jolie, t’as l’air de planer ! Il t’arrive quoi ?
Je me mords la lèvre. Puis-je lui dire ? Non. Oui. Peut-être. Le temps de me décider, Vanille a pris le relai de l’interrogatoire.
— Toi, t’as la tête de quelqu’un en crush ! Balance.
— Quoi ? Non !
Je tente de protester en vain. Ils ne sont pas dupes. Ils lisent en moi comme un livre ouvert. Nous commençons à faire la queue. Cette dernière est si longue qu’ils auront trente fois l'occasion de me tirer les vers du nez avant que nous puissions manger.
— Pas à nous, ma belle, rit Marwa.
— Non. Je… Je… Je repensais juste au cours. Je me disais qu’il était super intéressant.
Vanille hausse un de ses sourcils blonds. Son sourire en coin ne me dit rien qui vaille.
— Mais bien sûr oui. C’est vrai que la dépression c’est pa-ssi-o-nant. De quoi enflammer ta p’tite culotte !
Je m’étouffe avec ma salive. Je déteste cette fille, c’est officiel.
— Ça n’a rien à voir, dis-je. C’est juste que le cours d’Ana explique exactement ce qu….
— Ana hein ? glousse Marwa.
D’accord, elle aussi je la déteste. La seule chose qui m’empêche de céder à la violence est la protestation dégoutée de Sofia.
— Ew mais elle a au moins quarante ans ! Ça pourrait être notre mère à tous.
— Faut croire que notre petite Mel a des mommy’s issues, plaisante Valentin.
Décidément il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Je me sens donc obligée de calmer le jeu. Je n’aime pas qu’ils parlent d’elle. Je n’aime pas qu’ils parlent d’elle comme ça. Elle est beaucoup trop bien pour subir des moqueries de la part de simples étudiants comme eux. En plus, je ne veux pas qu’ils sachent ce qui se passe entre nous. C’est privé. Intime. Trop important pour être sali par leurs bouches.
— Déjà, elle a trente-huit ans et pas quarante. Ensuite, je vous parle du cours. Et rien que du cours.
Je dois avoir l’air assez agacée car ils cessent leurs gamineries. Bien.
— D’accord, pardon, s’excuse Sofia.
Elle me serre dans ses bras. Je sens une certaine tension s’accumuler dans mon corps.
10 commentaires
Alsid Kaluende
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Il y a 7 jours
Syllogisme
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Il y a un mois
LiliJane
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Il y a un mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 mois