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Chapitre 4 : Mélanie ☕
Lundi 7 octobre 2024
Le bruit des sirènes de police me vrille les tympans. Il est neuf heures huit. Ça fait huit minutes que nous devrions être en cours. Mais toute la zone autour du bâtiment Olympe de Gouges est bouclée. La rue grouille de policiers. Une foule s’est agglutinée devant le cordon de sécurité jaune. Des piétons intrigués ralentissent pour observer. Impatiente, je tape du pied. Va-t-on nous couper l’accès à la fac encore longtemps ? Je repère plusieurs professeurs dans la cohue. Ils ont l’air aussi perdus que nous. À côté de moi, mes amis s’interrogent.
— Vous avez réussi à choper des infos ? demande Marwa.
— Je vais voir sur les réseaux, quelqu’un saura forcément pourquoi y a tout ce bordel.
Vanille s'empare de son téléphone pour chercher. Nous la regardons faire. Une insulte résonne une minute plus tard, noyée par le brouhaha. Valentin lui prend le portable des mains. Il jure.
— Quoi ? Il se passe quoi ?
Sofia regarde Vanille et Valentin à tour de rôle. Je reste silencieuse. J’observe les policiers parler sans parvenir à lire sur leurs lèvres. Nous sommes trop loin. J’aimerais que nous nous rapprochions encore. J’avance d’un pas. Sofia me retient.
— Tu as entendu ?
Ses grands yeux bruns brillent. De la tristesse ? Sa bouche, peinte en bordeaux, tremble. Oui, sûrement de la tristesse.
— Non, quoi ?
— Quelqu’un a tué monsieur Nicole.
Je me fige. Mon cœur accélère. Il va sortir de ma poitrine sous peu. Pourrais-je encore tenir debout si mon cœur n’est plus dans mon corps ? Mes questions sont interrompues par Vanille qui poursuit les explications de Sofia.
— Apparemment c’est un prof qui l’a retrouvé tôt ce matin dans son bureau.
— Qui ? Qui a retrouvé Joanic Nicole ? Qui a découvert le corps ? Qui est entré dans son bureau tôt ce matin ? Qui a…
— Mélanie ? Tout va bien ?
Les bras de Sofia de part et d’autre de mes épaules me secouent doucement. Elle est inquiète. Je cligne des paupières. Une fois. Deux fois. Trois fois. Elle me lâche. Inspire. Expire. Ça va mieux.
— Pardon.
— T’en fais pas ma belle. T’es sous le choc, c’est normal.
Les mots de Marwa ne me soulagent pas. Ils ne chassent pas ce “qui” qui m’obsède à présent. Est-ce ça, être sous le choc ? Si oui, alors je le suis bel et bien. Vanille le comprend. Elle me donne enfin la réponse que j’attends.
— Je ne sais pas. J’imagine que la personne qui a mis l’info sur les réseaux a juste entendu des bouts de phrase. Mais on le saura bien assez tôt, ce genre de choses ne reste pas secret bien longtemps.
Je n’aime pas patienter. Ne pas savoir est angoissant. J’entoure mon buste de mes bras pour contenir ma peur. Que va-t-il se passer maintenant ? Lisant dans mes pensées, Sofia pose la question à voix haute. Valentin hausse les épaules.
— Je suppose qu’on va pas avoir cours aujourd’hui déjà. Du coup plutôt que de rester dans le froid, vous voulez pas qu’on aille se poser dans un café ?
Tous approuvent. Pas moi. Je suis trop occupée à observer ce qui se passe dans le bâtiment en face. Là, marchant vers les grilles noires de l’entrée, encadrée par le doyen et un policier, elle sort. Des papillons dansent dans mon ventre. Elle est belle. Mais on dirait que son maquillage a coulé. Pourquoi ? Je fronce les sourcils. Ana serre la main du doyen et referme les pans de son manteau. La pauvre doit être frigorifiée. Soudain, sa tête tourne dans ma direction. Mon cœur qui battait déjà vite s’emballe à m’en faire mal. Mes joues chauffent. J’ai des difficultés à respirer. Elle me sourit. C’est doux, rassurant. L’air revient. Son sourire est lumineux, loin, très loin de l’horreur. Quelqu’un lui parle, elle détourne son regard du mien. Je soupire, déçue. La voilà qui hoche la tête avant de frotter ses yeux. On dirait presque qu’elle pleure. Sauf qu’elle ne pleurait pas il y a dix secondes lorsqu’elle me souriait. Je comprends alors qu’elle joue un rôle. Un rôle que moi seule ai percé à jour.
Lorsque ses yeux bruns se posent à nouveau sur moi, je lui fais un clin d'œil. Je veux qu’elle sache : Je ne dirais rien. Sa réponse ne se fait pas attendre. J’entends son “merci” aussi facilement que si elle l’avait murmuré à mon oreille.
Toute cette scène n’a duré que quelques secondes et déjà je suis tirée par Vanille. Mes amis nous entraînent dans un café non loin de là. Moi, je ne cesse de songer à ce moment hors du temps que je viens de vivre. Si ce n’est pas la première fois qu’Ana Freiberg me sourit, jamais je n’avais senti une telle connexion entre nous. C’est comme si nos âmes savaient.
*
— N’empêche, j’arrive pas à croire que quelqu’un ait tué un prof dans notre fac… C’est dingue ! s’exclame Marwa pour la troisième fois.
Nous sommes assis à une table au chaud depuis plus d’une heure déjà. Nos discussions ne tournent qu’autour de ce meurtre. Les spéculations vont à bon compte. Valentin est persuadé que c’est un autre professeur qui s’en est pris à monsieur Nicole à cause de désaccords sur ses travaux de recherches. Sofia pense que c’est un étudiant non satisfait de sa note. Vanille, quant à elle, affirme que c’est un amant bafoué.
— C’est toujours l’amour le mobile !
— Si c’était ça, il aurait été tué chez lui, avec sa femme ou son mari.
Marwa secoue la tête. Ses boucles chocolat forment un halo autour de son visage en forme de cœur. Elle a mis tant de conviction dans ses mots que Vanille n’ose protester.
— Il n’était pas marié, dis-je.
— Comment tu le sais ?
— Il n’avait pas d’alliance.
Je hausse les épaules. Ça me semble pourtant logique. Et puis, je sais quelque chose qu’ils ignorent. Mais je ne peux pas le révéler. Si mes amis apprenaient que j’ai assisté à une dispute entre Ana et Joanic, ils risqueraient de se faire des idées. Et ça, il en est hors de question. Je ne veux pas qu’Ana soit désignée suspecte dans cette affaire. Je suis prête à parier que personne n’était au courant pour eux de toute façon.
— Ça veut rien dire, intervient Valentin. Il aurait pu être en couple sans être marié. Je reste persuadé que c’est un de ses collègues qui lui a réglé son compte.
La conversation poursuit ainsi durant de longues minutes. Jusqu’à ce que nous recevions un mail de la fac :
Chères et chers collègues,
Chères étudiantes, chers étudiants,
C’est avec une immense tristesse que nous vous annonçons aujourd’hui le décès de monsieur Joanic Nicole, doctorant et professeur vacataire émérite en psychologie clinique de notre institution. Son soudain décès est source de choc et d’incompréhension. Une enquête de police a été ouverte. Bien que cet acte de barbarie soit certainement isolé, l’administration et moi-même avons pris la lourde décision de fermer les portes du campus des Grands Moulins pour une durée d’une semaine. Aussi, tous vos cours seront annulés jusqu’à lundi prochain. Des cellules psychologiques sont à votre disposition.
Prenez soin de vous en cette période difficile et n’hésitez pas à vous adresser à nos équipes en cas de besoin.
Alexandre Davini
Président.
20 commentaires
Alsid Kaluende
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Il y a 7 jours
Syllogisme
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Il y a 2 mois
Mikazolinar
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Il y a 2 mois
C. Tardielle
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Il y a 2 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 mois