Fyctia

Jeudi 3 octobre 2024, Paris 13ème

— Pour résumer : les troubles de l’humeur ou trouble thymique sont caractérisés par des altérations persistantes de l'humeur qui affectent significativement le fonctionnement quotidien, les relations interpersonnelles et le bien-être général d'un individu. Ils sont souvent regroupés en deux catégories principales : les troubles dépressifs et les troubles bipolaires.

Je parcours l’estrade de l'amphithéâtre d’un pas lent, consciente que tous les regards sont religieusement braqués sur moi. Les doigts s’agitent sur des claviers, des stylos griffonnent des notes, leur concentration est agréable. Je n’ai jamais compris les collègues qui se plaignent des bavardages : il n’y en a jamais dans mon cours.

— Concernant les troubles dépressifs, ils regroupent : le trouble dépressif majeur, le trouble dépressif persistant, le trouble dysphorique prémenstruel et le trouble dépressif induit par des substances. Nous allons nous pencher sur chacun d’entre eux aujourd’hui et au prochain cours, nous aborderons les troubles bipolaires.

Quelques têtes acquiescent parmi mes étudiants, je reconnais des visages, certains plus que d’autres. Trois ans que je les ai en cours, même si cela se réduit à quelques heures par semestre, j’ai toujours été quelqu’un d’assez physionomiste. Et puis, dans chaque promo, il y a des élèves qui se démarquent. Par leur travail, leurs questions, leur présence systématique aux CM comme aux TD. Par leur physique aussi.

— Les troubles dépressifs sont caractérisés par une tristesse suffisamment sévère ou persistante pour perturber le fonctionnement au quotidien. On note très souvent une diminution des intérêts et une anhédonie, c'est-à-dire d'une incapacité à ressentir du plaisir. Les causes sont multifactorielles : probablement une partie d’hérédité, une modification des taux des neurotransmetteurs dans le cerveau, une altération des fonctions neuroendocrines et également des facteurs psychosociaux.

Je déroule ma leçon, je la connais par cœur pour la répéter depuis plusieurs années. Quelques mains se lèvent parfois, je réponds aux questions, je donne des exemples. Les gros yeux, les airs impressionnés et les éclats de rire me nourrissent. Proposer à mes élèves des cours de qualités est une mission que je prends très à cœur.

La fin de l’heure arrive et je les libère. Alors que je range mon ordinateur portable, une jeune femme s’approche. Elle joue nerveusement avec ses doigts, mais son regard cherche le mien.

— Euh… Madame ?

Ses cheveux blonds frisés encadrent un joli visage en forme de cœur. Elle est maquillée, mais discrètement, et de manière à mettre en valeur ses yeux bleus.

— Je t’écoute.

— Voilà, je recherche un stage pour cette année et je crois que ça vous arrive de prendre des stagiaires.

Je boucle ma sacoche en cuir et contourne le bureau pour lui faire face.

— Tu t’appelles ?

— Ludmilla.

— Tu sais où je travaille ?

Je préfère demander, ce ne serait pas la première petite maligne à venir réclamer un stage sans savoir seulement dans quelle structure je bosse.

— Oui, à la Clinique Villa Montsouris. J’ai très envie de découvrir le travail du psychologue en clinique psychiatrique.

Elle a l'air sincère, il faut dire que les places en stage sont limitées et par ce fait, très précieuses.

— Bien. Dépose-moi ton CV et une lettre de motivation, Ludmilla, et je verrai ce que je peux faire pour toi.

Son sourire se fait éclatant.

— Merci beaucoup, madame ! Bonne journée.

— À toi aussi.

Elle remonte les escaliers en trottinant et je la suis du regard jusqu'à ce qu’elle passe les portes. Si son CV est convaincant, il semblerait que je tienne ma première stagiaire de l’année.

🦋

Au bout du couloir, j'aperçois Joanic sortir de mon bureau et refermer à clé. J’accélère le pas et mes talons claquent sur le carrelage.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Ma voix est plus agressive que je ne l’aurais voulu, mais il le sait : je déteste qu’il y entre en mon absence. Quelle idée de lui avoir donné un trousseau !

Il fronce ses sourcils broussailleux. Un pli amer marque sa bouche, creusant sa fossette au menton.

— Tu avais oublié de fermer. Quelqu’un en a profité pour te laisser un petit cadeau.

— Comment ça ?

— Tu verras. Je dois y aller j’ai cours.

Au moment où il me contourne, je l’attrape par le bras pour l’arrêter.

— Joanic.

— Quoi ?

Son ton est sec. Je ne supporte pas quand il est en colère contre moi, quand il fait mine de m’ignorer en passant à côté de moi comme si j’étais n’importe qui. Il plante son regard gris dans le mien et presque immédiatement, il s’adoucit. Le couloir est désert à part nous, pourtant, il prend la précaution de vérifier que nous sommes seuls avant de m’embrasser. C’est furtif, mais je sais que j’ai gagné.

— Je dois vraiment y aller, mais nous reparlerons de ce qu’il y a dans ton bureau.

D’accord. Presque gagné. Il s'éloigne à grands pas et disparaît dans les escaliers. Qu’est-ce qui peut bien se trouver dans mon bureau qui l’a autant perturbé ? J’extrais mes clés de mon sac et déverrouille la porte.

Oh. Je vois. Un énorme bouquet de roses rouges. Je n’ai pas le souvenir d’en avoir déjà reçu un aussi gros. Je le saisis pour le sentir, un plaisir. Je profite de l’odeur, le nez plongé dans les pétales. Qui a bien pu m’offrir ça ? Considérant la réaction de Joanic, ce n’est certainement pas lui. Je retourne le bouquet à la recherche d’une carte ou d’un mot que je ne trouve pas. Mentalement, je passe en revue toutes les personnes à l’université ou en dehors qui auraient pu me faire ce cadeau. Il y en a quelques-unes, n’en déplaise à mon amant. Les choses ont toujours été très claires entre nous, qu’il le digère mal n’est pas mon problème.

Partagée entre l’agacement de ne pas savoir qui et l’exaltation d’avoir une ou un admirateur, je repose les fleurs sur mon bureau.

Des fleurs anonymes.