Fyctia
Le choc des titans
Comme si le Lambig de la veille n'était pas suffisant, le choc a aggravé sa migraine. Les yeux rivés vers le ciel, le ruminant l'observe tout en mâchouillant. Ses grosses bajoues dodues ondulent sous le mouvement lent de sa mâchoire, dont l'os est redoutablement dur. Si Christelle a vu trente-six chandelles, l'animal lui, ne semble pas souffrir de sa victoire par KO.
Tandis qu'elle reprend difficilement ses esprits, Julia lui tend une petite bouteille d'eau qu'elle accepte sans sourciller. Sa vision est encore trouble. Flanqué juste derrière sa bienveillante nouvelle amie, elle reconnaît cependant Maurice, les poings sur les hanches. Il semble presque inquiet.
– Ça va mon p'tit ? lui demande-t-il avec un geste du menton.
– Si j'avais eu des cornes, ça aurait été plus équitable, rétorque-t-elle en se frottant le crâne encore endolori.
– Décidément, tu les accumules, lui glisse Julia. Papa, vient donc l'aider ! Emmène-la à la maison qu'elle se remette du choc au calme.
Le vieux ne bouge pas d'un pouce. Seule la commissure de ses lèvres se tord de contentement.
– Certainement pas ! gronde Christelle avec défiance. Pas la peine d'en faire tout un foin. Ça va aller !
– C'était quand même violent, tu n'y es pas allée de main morte, rappelle Julia.
– J'en ai vu d'autres ! Bon, ce n'est pas tout ça, mais il y a la marmaille à nourrir, non ?
– Comme tu voudras.
D'une main délicate, Julia tente d'écarter la tête du bovin curieux qui trône encore fièrement au-dessus de celle de Christelle. Il ne manquerait plus qu'elle se redresse et la percute une nouvelle fois.
– Allez, pousse-toi, lui dit-elle avec insistance.
– C'est moi ou c'est encore cette...
– Je crois qu'Albertine a flashé sur toi ! ricane Julia.
– Eh bien dis-lui que ce n'est pas réciproque. Qu'elle aille voir ailleurs si j'y suis ! lance-t-elle sèchement en agitant les mains sous les yeux d'Albertine pour la chasser. Du vent ! crie-t-elle.
Apeurée, elle bat en retraire en clignant des yeux.
– Hé ! braille Maurice depuis le côté de l'enclos, laisse ma beauté tranquille !
Le regard noir, Christelle se retourne vers le vieil homme excédé.
– J'me disais aussi qu'c'te bosenn* pouvait pas avoir changé si vite ! rouspète-t-il. Puis il s'éloigne les mains fourrées dans ses poches et le pas pressé.
Le regard assombri de Julia croise celui de Christelle, interloquée.
– Quoi ? lance-t-elle outrée en haussant les épaules.
– Tu n'étais pas obligée de faire ça !
– Faire quoi ?
– Lui faire peur et être méchante.
– Et alors ? Ça n'est qu'une foutue vache après tout ! Ton père lui accorde plus d'importance que...
– Christelle, coupe-t-elle, Albertine n'est pas une foutue vache. Mais tu l'aurais deviné facilement si tu regardais un peu ce qu'il se passe autour de toi, coupe Julia. Va m'attendre plus loin maintenant, je vais me charger des veaux.
Christelle reste bouche-bée. Qu'a-t-elle encore dit de travers ? Si elle avait admis être pet-sec à son arrivée, elle ne comprend pas ce qui a bien pu froisser ce vieux fou de Maurice. Même Julia l'avait réprimandé.
Son incompréhension est telle que sa gorge se noue. Une folle envie de sauter dans un TGV la traverse. Un wagon en première, une bonne paire d'écouteurs et le tour serait joué.
Sans un regard, Julia s'affaire au nourrissage des petits qui tirent sur les tétines comme s'ils n'avaient pas eu leur dose depuis des jours. Christelle aurait vraiment aimé vivre ce moment de tendresse. Privée du seul petit plaisir qu'elle aurait pu avoir durant cet éprouvant séjour, elle soupire en cascade. Appuyée contre la barrière, elle se contente de contempler la scène. Un goût amer, voilà ce que la réaction injuste de Julia lui procure.
Se lamentant à voix basse depuis de longues minutes, elle finit par irriter Julia.
– Christelle, j'en ai marre de t'entendre souffler comme si le monde autour de toi venait de s'écrouler. Va rouspéter plus loin si tu es si désespérée par notre attitude.
– Puisque tu en parles, je ne comprends pas ce que j'ai fait de mal.
– Tu ne te rends pas compte que tu agresses les gens quand tu leur parles ? Les animaux aussi d'ailleurs ! Cesse de te plaindre bon-sang ! Mon père était venu voir si tu ne t'étais pas blessée.
– Ah ? lâche-t-elle ironiquement.
– Pourquoi crois-tu qu'il était là sinon ? Mais toi, tu as encore trouvé le moyen de l'offenser. Et par dessus le marché, tu as fait peur à Albertine.
– J'ai blessé ton père ? Moi ? Parce que j'ai critiqué cette...
– Oui ! Mon père est très attaché à Albertine. Peut-être un peu trop, je te l'accorde, mais si tu t'intéressais à autre chose qu’à ta petite personne, tu l'aurais sans doute remarqué plus tôt.
– Je te signale que c'est elle qui m'a blessée en premier !
– Laisse tomber, soupire-t-elle de lassitude.
Julia lui tourne le dos, laissant Christelle morose. Tout ça pour une vache !
Dubitative, elle se retourne en direction du pré. Albertine est là, restée à l'observer non loin de la clôture. De la tête aux pattes, elle a l'air sereine. Sa queue fouettant de temps à autre l'air, elle remue les oreilles en chasse-mouche, balade sa langue d'une narine à l'autre tout en la fixant.
Christelle hésite puis se lance à l'assaut, marchant d'un pas décidé vers la vache sacrée. Elle se glisse prudemment sous le fil de fer qui lui a couté sa dernière tenue, puis s'immobilise à un mètre. Un clignement des yeux puis Albertine reprend son air nonchalant.
Elle tend le cou pour renifler l'intruse qui sursaute, peu rassurée. Il faut dire que la bête est imposante.
– Alors c'est toi la princesse Albertine ? lui dit Christelle. Et tu peux me dire ce que tu as de si spécial pour foutre tout le monde en rogne après moi ?
Il va sans dire qu'elle n'obtient pas de réponse.
– Bon, ils sont gentils tes maîtres, ou tes propriétaires, mais ils sont trop laxistes avec toi. Il y a du favoritisme dans cette ferme ! Je dis ça, je dis rien.
Albertine cesse de ruminer, comme si elle comprenait ses propos.
– Et si j'ai bien compris, toi et moi on va devoir s'entendre pour que ça fonctionne. Du moins le temps de mon séjour ici.
Pas de réaction, si ce n'est un fouettement de queue et une langue vagabonde.
– Par contre si tu pouvais arrêter de me mettre dans l'embarras, on gagnerait du temps. Disons que tu pourrais rester à bonne distance de moi pour éviter tout problème.
Les bras croisés, elle toise l'animal. Albertine souffle puis fait un pas en avant. Le cœur de Christelle s'accélère. Derrière elle, le fil électrifié l'empêche de reculer. Face à la génisse, elle se tient prête à déguerpir en vitesse.
*peste (langue Bretonne)
7 commentaires
Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans
AuroreChatras
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Il y a 4 ans