Fyctia
Cartes sur table
Un florilège de reproches mérités. Jusque-là, le repas est difficile à digérer, et la note s'annonce salée. Christelle est partagée. Une partie d'elle déteste cette Julia, dont le sermon résonne encore douloureusement à ses oreilles. Mais ces mots, aussi durs soient-ils à encaisser, lui font le même effet que ceux qu'elle entendait jadis de ses parents. Après une grosse bêtise, elle en prenait toujours pour son grade.
Comment s'appelle ce sentiment déjà ? Ah oui ! La culpabilité. Il y a bien longtemps qu'elle n'avait pas ressenti ça.
Par chance, le dessert est moins pénible. Il aura fallu près d'une heure de règlement de comptes, pour qu'enfin, arrive le moment de faire la paix, du moins en apparence. Car si Julia répond plus aimablement à ses questions au sujet de l'agriculture, il se peut que ce soit un leurre. Mieux vaut rester sur ses gardes. Christelle a bien entendu les mots cruelle et pédante. Elle n'y est pas allée de main morte sur ce coup là !
– J'espère pouvoir libérer le gîte au plus tôt, annonce-t-elle pour rompre le silence pesant.
– J'ai bien compris que vous n'étiez pas dans votre élément.
– J'apprécie votre compagnie, se surprend-t-elle à admettre, mais la vie à la campagne, ça n'est vraiment pas mon truc.
– Vous appréciez ma compagnie ? En voilà une surprise ! Je pensais qu'après tout ce que je vous ai dit ce soir, ce serait plutôt l'inverse.
– Si je fais abstraction de cet épisode où vous m'avez descendue en flèche, je n'ai pas grand chose à vous reprocher. Vous m'avez aidé après tout !
– Vous affrontez vos erreurs avec honneur, c'est une qualité.
Elle esquisse un petit rire.
– Qu'est ce qui vous fait rire ? s'étonne-t-elle.
– Je pensais que vous étiez plutôt du genre à fuir.
– À fuir ?
– Oui. Vous auriez pu partir. Il vous suffisait d'appeler un taxi et de reprendre un train pour Paris. Mais vous êtes encore là.
– Je n'abdique pas si facilement. Si j'étais rentrée à mes frais, mon assureur s'en serait réjouit. Hors de question de les laisser s'en tirer comme ça. Et puis le gîte est confortable. Plus qu'un hôtel, je dois bien l'avouer.
– Et puisque vous êtes là, pourquoi ne pas en profiter pour vous détendre ? Quand repartez vous au juste ?
– Demain me semble compromis. L'assurance m'a parlé de dimanche, dit-elle d'un ton las.
– Il vous reste donc deux jours pour profiter des bienfaits de notre belle nature !
Jusque là, les bienfaits ressemblent plutôt à des "bien fait" !
– Hmmm, glisse-t-elle septique.
– Qu'est ce que vous n'appréciez pas au juste ? Le calme ? Le vert vous donne la nausée ?
– C'est un tout. Je ne suis pas à l'aise. Trop de bestioles, pas assez de gens. Le calme ça va, c'est appréciable. Mais il y a un côté angoissant à être loin de la civilisation. Sans vouloir être désobligeante, ajoute-t-elle par précaution.
– Venez donc avec moi demain. Vous verrez que tout n'est pas si terrible. Tout ce que vous risquez, c'est d'apprendre à aimer le calme et la simplicité. Et nous sommes des gens civilisés, vous savez ! ajoute-t-elle amusée.
– Je n'ai jamais dit que...
Christelle s'interrompt en voyant les yeux rieurs de Julia. Sa boutade a failli fonctionner et la faire démarrer au quart de tour.
– Toutes ces choses ne me serviront à rien d'où je viens, reprend-t-elle.
– Avec un peu de chance, j'arriverai peut-être à vous faire changer d'avis. Vous êtes bourrée d'a priori. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. J'aimerais sincèrement que vous repartiez avec une autre idée en tête.
– Allons bon ! De toute façon, je n'ai rien de mieux à faire. Et quel est le programme ?
– Nous verrons cela demain. Vous devez bien avoir deux ou trois qualités que je pourrais exploiter.
Christelle la regarde bouche-bée. Elle ne manque pas de culot ! Face à sa mine ébahie, Julia éclate de rire. Elle n'en dit pas plus et change de sujet.
Quand elle descend de voiture, le fond de l'air est encore tiède et une légère brise fait virevolter sa robe. Julia la voit hésiter à prendre la parole puis garder finalement le silence. D'un geste de la main, elle lui souhaite une agréable nuit.
Il est encore tôt, constate Christelle en regardant sa montre. Se coucher comme les poules est certainement fréquent par ici. Pourtant elle aurait bien prolongé la soirée. À Paris, elle n'avait que l'embarras du choix. Dans ce trou paumé, la première boite de nuit devait être à plus de vingt kilomètres. Seule dans la cour, à défaut d'en profiter, elle se résigne à subir le calme ambiant. Considérant qu'il ne lui reste plus une seule capsule de café, elle se hâte de frapper chez sa voisine pour lui en soutirer quelques unes.
– Du café ? à cette heure-ci ?
– À défaut d'un Mojito et d'une piste de danse, soupire Christelle. Si ça ne vous dérange pas.
– J'ai mieux que ça ! s'exclame-t-elle. Sortez des verres, je vous rejoins.
Christelle fronce les sourcils, ça sent le plan foireux. Elle redoute la tisane nuit tranquille ou le pisse-mémé de grand-mère. Mais Julia ayant parlé de verres plutôt que de tasses, une lueur d'espoir la fait s'exécuter.
– Pommeau maison ! s'exclame Julia en posant une première bouteille sur la table. Accompagné d'une liqueur de prune et de Lambig.
– Lambig ?
– Une eau de vie de cidre. Spécialité Bretonne.
– Quarante degrés ! admire-t-elle. Fabrication maison ?
– Comment croyez-vous que mon père fait pour supporter les touristes qui se perdent dans le coin ?
– Alcoolique avec ça, marmonne-t-elle.
Le visage de Julia se ferme, alertant Christelle sur le ton trop sérieux de sa blague.
– Je rigole, Julia, précise-t-elle alors. Ai-je le droit de faire des blagues au sujet de Maurice ou bien est-ce encore trop tôt ?
– Vous pouvez, grogne-t-elle. Mais vous avez tout de même bien fait de préciser. Pardonnez-moi d'être encore suspicieuse quant à vos bonnes intentions.
– Faisons un pacte dans ce cas. Quand vous trouvez que je suis odieuse, dites-le moi franchement. Ainsi, je ne risque pas de vous blesser involontairement.
– Ça risque d'arriver souvent...
Christelle soupire, consciente qu'il va falloir du temps. Cela dit, cet humour piquant n'est pas pour lui déplaire.
12 commentaires
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 4 ans
Rébecca Langer
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Samara Alves
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Lyaminh
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Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael
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Il y a 4 ans