Emy_pwr Psychanalyse d'une bête à cornes La roue tourne

La roue tourne

Une ombre campée devant elle assombrit son horizon.


– Vous n'avez pas faim ? interroge Julia sur un ton crispé lorsqu'elle arrive à sa hauteur.

Tandis qu'elle fait sauter ses clés de voiture dans sa main pour la provoquer, Christelle se débarrasse discrètement de la gouttelette pendue à sa paupière.

– Si, murmure-t-elle la voix écorchée. Vous m'avez laissée là le ventre vide, cela vous inquiète maintenant ?

– Dites, vous faites semblant d'être touchée pour m'amadouer ou vous êtes réellement en train de culpabiliser ?

– Je ne fais jamais semblant. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, je dis toujours ce que je pense, rappelle-t-elle en relevant enfin la tête.

– Un peu trop, en effet. Mais au moins, je sais maintenant que vous nous prenez sincèrement pour des culs-terreux sans importance.

– Ce n'est pas ce que je pense, ment-elle.

– C'est ce que vous avez dit !

– J'étais en colère.

– Sachez que je le suis aussi. Au moins, on est quitte sur ce point. Mais comme ça n'est pas une raison suffisante pour vous laisser mourir de faim...

– Vous devriez peut-être, murmure-t-elle provocante.

– C'est exactement ce que je me disais, mais je n'ai pas été élevée comme ça. Je connais un bon resto, si ça vous dit ?

– Très bien, mais c'est moi qui paie. Après tout, je vous dois bien ça, soupire-t-elle.

– Je n'avais pas imaginé l'inverse ! claironne Julia en repartant vers la maison. Dans vingt minutes, crie-t-elle au loin, soyez prête ! Et enfilez autre chose que ces vêtements de bouseux !

Un sourire se dessine sur ses lèvres quand Christelle prend conscience qu'elle n'a pas quitté la tenue prêtée plus tôt par son hôte. Cette Julia est surprenante, d'une tolérance à toute épreuve, admet-elle. C'en est agaçant. Elle a eu beau traiter sa famille de tout un tas de noms péjoratifs, elle vient encore lui proposer généreusement son aide. Qu'elle l'apprécie ou pas, elle doit bien reconnaître qu'elle a le mérite d'être tenace dans le respect de ses valeurs.

Et pourquoi elle ne l'apprécierait pas d'ailleurs ? En y réfléchissant, rien ne lui déplait vraiment chez elle. Si ce n'est pour son côté Madame parfaite exaspérant, c'est par principe et par orgueil qu'elle la trouvait jusque-là antipathique.

Quelques instants plus tard, elle se ravise, considérant qu'elles ne viennent pas du même monde. Elles sont incompatibles, conclut-elle en secouant la tête. Cela ne laisse aucun espoir à une entente cordiale et pérenne.


La tête haute, elle fait défiler les ensembles coûteux devant elle, bras tendu. Pas de quartier, elle choisit sans scrupule sa plus belle tenue du week-end.


D'un œil amusé, Julia la regarde monter en voiture dans sa petite robe mousseline, un mini sac en bandoulière. Puisqu'elle est maquillée et apprêtée comme pour assister à un grand évènement, elle ne peut s'empêcher d'arborer un air narquois.


– Vous allez au bal ?

– Vous m'avez dit de me changer.

– Pas de vous déguiser en princesse !

Christelle tourne vivement la tête dans sa direction, soufflant exagérément.

– Et je peux savoir où vous m'emmenez ?

– Pas à un gala, ça c'est certain ! Vous savez, dans notre campagne profonde, on se satisfait d'une soirée à siroter des bières devant une planche de charcuterie.

– Si je comprends bien, je ne vais pas pouvoir compter sur un repas équilibré.


Quand la voiture fait halte devant une devanture de restaurant chic, Christelle fait un tour d'horizon en quête d'un établissement plus grossier. Elle ne remarque aucun autre brasserie ou pub du genre. Sans un mot, Julia la précède et lui tient la grande porte vitrée, les lèvres pincées par un rire contenu.

– Vous m'avez bien eu, remarque son invitée en franchissant le seuil.

– Je me suis dit que votre monde devait vous manquez. Avec un peu de chance, cela vous redonnera le sourire et ravivera le peu d’humanité qui sommeille en vous.


Le menu est à la hauteur de ses espérances. Pourvu que le contenu des assiettes le soit aussi.

L'entrée est délicieuse, le vin choisi par Julia en accord parfait, et les miches tièdes servies à la pince font mouche. Décidément, Christelle va de surprise en surprise. Julia a l'air de maitriser le sujet, du verre à l'assiette. À la manière dont elle en parle, son palais semble habitué et connaisseur des mets les plus fins.


– Vous m'aviez caché ce côté raffiné, suggère-t-elle plus détendue.

– Vous n'avez pas demandé. D'ailleurs, vous ne vous y êtes même pas intéressé, n'est-ce pas ?

– Est-ce que je suis obligée de répondre ?

– Puisque vous dites toujours ce que vous pensez, je vous en prie. Je suis toute ouïe.

– Très bien, souffle-t-elle en prenant le temps de la réflexion. J'admets ne pas avoir imaginé que vous pourriez être plus... Enfin, moins... Comment dire...

– Que je pourrais être à votre niveau ?

Pas de réponse, juste de l'embarras.

– Vous vous croyez supérieure à nous, reprend-t-elle. Vous êtes persuadée que votre mode de vie, votre métier, vos fréquentations et votre salaire exorbitant font de vous quelqu'un de plus important.

– Je n'ai pas de salaire exorbitant, se défend-t-elle.

– Parce que vous portez de grandes marques, vous vous pensez au dessus du lot ? Mais soyons pragmatiques, en quoi êtes vous réellement meilleure ?

– Vous y allez un peu fort, rétorque Christelle en gigotant sur sa chaise.

– Vous avez fait bien pire, et ce dès les premières secondes. Voulez-vous que je vous rafraîchisse la mémoire ?

– Non, ça ira, merci ! gronde-t-elle.

– Très bien. Alors dites-moi, dans quel domaine êtes vous imbattable ?

– Eh bien... Hmmm...

– Prenez tout le temps qu'il vous faut, nous avons tout le repas à meubler...

– C'est bon, vous avez gagné, j'ai été odieuse et je m'en excuse ! crache-t-elle à contrecœur.

– Non, non, je vous en prie. Je tiens à savoir quelle championne j'ai en face de moi.

– Vous prenez votre pied à me persécuter, hein ?

– Persécuter ? dit-elle en feintant l'étonnement. C'est pourtant vous qui avez brandi la hache de guerre dès le départ. Me reprochez-vous de vouloir comprendre pourquoi ? J'ai le droit de me défendre, non ?

– Oui. Mais je vous ai dit que j'étais désolée.

– Cela ne vous a pourtant pas empêcher de vous en prendre à mon oncle juste après. Je pense que blesser est dans votre nature. En réalité Christelle, vous êtes un chat !

– Un chat ? Je ne vois pas le rapport, se moque-t-elle.

– Le chat est un être doté de cruauté, Christelle. La plupart du temps, il chasse et joue avec ses proies, sans qu'il ait besoin de s’en nourrir. Il les épuise jusqu'à ce qu'elles succombent, inertes. Quand elles n'ont plus la force de s'enfuir, le chat ne leur accorde soudain plus aucun intérêt et il s'en va nonchalamment déguster quelques croquettes.

– Vous me trouvez cruelle ?

– Cruelle et pédante, très chère. Mais vous savez ce que l'on dit : il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis !

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6 commentaires

Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael

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Il y a 4 ans

Elle sait bien remettre les gens à leur place. XD

Angèle G. Melko (ColibriJaune)

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Il y a 4 ans

Julia se fait plaisir ! Je l'adore !!

Lyaminh

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Il y a 4 ans

J'aime beaucoup la tournure que prend l'histoire !👍😃
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