Fyctia
À la mode de chez nous
La pièce d'eau est exigüe. Julia lui donne une serviette et des vêtements propres. Un jean usé, un t-shirt avec une tête de vache humoristique et un sweat à capuche. Bonjour l'accoutrement, tout à fait son style ! Par chance, ses sous-vêtements n'ont pas été touchés et ses petites chaussures en nubuck semblent, elles aussi, avoir été épargnées par la vague d'excréments.
– Ça va mieux ? l'interroge Maurice à sa sortie de la salle de bain.
– Oui. Je vous remercie.
– Ma merc'h fait la même taille que vous, on dirait.
– Pardon, votre quoi ?
– Ma fille, traduit-il.
– On dirait bien, en effet, confirme-t-elle mal à l'aise.
Il ne peut pas parler normalement ce vieux fou ? Car entre les mots mal prononcés, le patois employé et l'accent marqué, quand Maurice parle, elle ne comprend qu'un mot sur deux.
Le silence emplit la pièce. Le patriarche renifle et passe une main dans ses cheveux gris ébouriffés. Il a quelque chose de différent. On dirait que son regard noir a laissé place à une autre lueur. Une bribe de considération ? Si elle n'était pas si méfiante, Christelle pourrait penser que sa glissade merdique a mis un terme à leur différent.
L'entrée de Julia dans la pièce la tire soudain de ses pensées.
– Ça vous va comme un gant ! commente-t-elle. Papa, je te l'emprunte un moment ?
– Je t'en prie ma chérie.
– On va utiliser la ligne fixe, Christelle doit rappeler son assurance pour les modalités.
Il fait un signe de la main en désignant la porte du salon.
– Ça vous évitera d'avoir à demander, murmure Julia en passant devant elle.
– Je l'aurais fait poliment, Julia.
– Poliment ? s'étonne-t-elle l'œil taquin. Il y a du progrès dans l'air.
– Votre père n'est pas si terrible, grogne-t-elle.
J'en ai maté des plus sévères.
Étrangement, Christelle garde son calme au téléphone. Elle fait part de son désir de rentrer à Paris dès que possible. Elle sera exhaussée, au plus tard dimanche, lui dit-on. Mais le plus tôt sera le mieux. Elle n'a pas envie de squatter chez ces gens plus longtemps.
Elle laisse son interlocuteur se prendre les pieds dans le tapis avec les clauses de son contrat : payera, payera pas, payera quoi ?
À la fin de la conversation, elle a obtenu une prise en charge sans franchise pour le remorquage jusqu'au garage de Gérard. Elle bénéficiera aussi d'un taxi pour rentrer à Paris, si les réparations devaient durer. Si tel est le cas, un Paris-Rennes en TGV puis un chauffeur la ramèneront jusqu'à Bedée une autre fois pour récupérer l'Alpha. Revenir ne l'enchante pas, mais c'est tout de même mieux que de devoir attendre ici indéfiniment.
– Ça se profile bien votre histoire, en déduit Julia quand elle raccroche.
– Moins pire que ce que je pensais. Mais je vais devoir attendre le verdict de votre oncle Gérard avant de repartir.
– Je vous l'ai dit, la maison est libre.
– Je ne veux pas abuser. Je pourrais la louer jusqu'à dimanche ? Au moins, je n'aurais pas la sensation de déranger.
– Si vous voulez me payer uniquement pour avoir bonne conscience et vivre la situation plus confortablement, alors raison de plus pour continuer de vous héberger gracieusement, dit-elle en souriant. Au moins, ça vous rendra peut-être plus aimable. Et je dois avouer que j'adore vous voir mal à l'aise, ajoute-t-elle avec un clin d'œil.
– Ce n'est pas ce que j'ai...
– Et puisque vous m'êtes redevable, coupe-t-elle, venez donc avec moi.
– Où ça ?
– Travailler ! Il vous faut bien gagner le droit d'être nourrie, logée et blanchie ! ricane-t-elle.
– C'est de l'abus de pouvoir ça, gronde-t-elle.
Hier, la cocotte minute aurait explosé. Mais là, rien. Pas de coup de tonnerre ni d'éclairs à l'horizon. Tu es faible, se réprimande-t-elle.
Depuis quand te laisses-tu mener par le bout du nez ? Pas de réponse.
Pour l'heure, elle la suit sans broncher, ou presque. Car le soupir d'agacement qu'elle laisse filer fait se retourner Julia. Christelle la dévisage. Si elle s'est jusque-là laissée malmener, c'était pour avoir accès au téléphone et espérer sortir de cette situation merdique.
Ignorant ce que Julia lui réserve comme nouvelle tâche à accomplir, son estomac se noue. Les bras croisés, elle l'observe ouvrir et fermer tout un tas de barrières, successivement. Le micmac est tel que c'est un vrai casse-tête pour deviner la finalité de l'exercice. Julia lui fait signe de s'avancer et lui indique de s'immobiliser entre deux poteaux.
– Et maintenant ? crie Christelle agacée.
Julia lui répond par un grand coup de sifflet émis en pinçant la langue contre les dents.
Cette fois-ci le tonnerre gronde.
Le troupeau s'engouffre entre les barrières en direction de Christelle. C'était donc pour ça, le ballet des portes métalliques ! Elle avale péniblement sa salive, stressée, et se recule d'un pas. D'un signe de la main, Julia lui ordonne de ne pas bouger. Elle comprend alors que si elle s'écarte, c'est l'escapade assurée.
Si le regard de Julia est plein de sérénité, le sien brille d'effroi. Dans un galop lent et chaloupé, les premières bêtes rejoignent la prairie. Elle ne compte pas le nombre de têtes qui défilent sous ses yeux. Au fur et à mesure, elle comprend que les vaches se fichent éperdument de sa présence. Elle n'est pas en danger. Toutes sauf une, qui fait halte juste devant elle, dans sa robe blanche, loin d'être immaculée.
11 commentaires
Samara Alves
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Il y a 4 ans
AuroreChatras
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans
Rébecca Langer
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Il y a 4 ans
Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans