Fyctia
Emmerdements de type A
Une éternité ressentie, à peine une vingtaine de minutes au cadran de sa montre.
Le bruit d’un engin agricole en approche s’intensifie, jusqu’à ce qu’apparaisse sous ses yeux la fourche d’un tracteur. Christelle n’en n’a jamais vu de si près. Impressionnant ! Par précaution, elle agite les bras depuis le milieu de la route, comme si elle faisait signe à un avion depuis une île perdue. S’il y avait eu moins de vent dans la région, elle aurait presque pu écrire le mot SOS avec des pâquerettes cueillies sur le bord de la route.
– C’est vous la Parisienne mal aimable en mauvaise posture ? crie une voix féminine depuis la cabine haut-perchée.
– À votre avis ? dit-elle sur un ton sarcastique en écartant les bras.
– Ça ne fait aucun doute, grogne-t-elle en retour tout en claquant la porte de l’habitacle vitré.
Sans un mot de plus, elle fait faire demi-tour à l’énorme machine pour la positionner à quelques mètres devant l’Alpha Roméo. Une autre fashion victime en cotte de travail, bleue cette fois. Décidément les pécores par ici ont de sacrées lacunes en matière de goût vestimentaire !
La belle rouge extirpée du fossé, elle est disposée tant bien que mal dans un petit chemin barré. La jeune femme de bleu vêtu l’invite à prendre place dans la cabine exigüe, sa valise sur les genoux. Quand elle voit son bolide rapetisser dans le rétroviseur, sa gorge se noue. En hauteur, elle admire le soleil disparaitre à l’horizon. Le téléphone en main, elle désespère de voir réapparaitre le moindre signal. Un petit panneau sur fond noir indique "Les sept Angoisses - GAEC du Riou". Ce n’est qu’en arrivant dans la cour de la ferme que le miracle se produit enfin, lui permettant de contacter son assurance.
– C’est une blague ? hurle-t-elle à la personne à l’autre bout du fil. Je suis coincée dans la pampa et tout ce que vous me proposez c’est un hôtel à trente bornes de là ? Et j’y vais comment ? À pied peut-être ? […] Mais je me fou que tout soit complet […] un long week-end, un long week-end, et alors ? Faites votre job putain ! […] Et pour la voiture ? […] Quoi ? […] Non, vraiment, ma patience à des limites […] Vous êtes désolé ? Ça me fait une belle jambe ! Je m’en cogne que demain soit férié, je fais comment moi, avec ma voiture sur le carreau ? Allo ? Allo ?
Elle regarde l’écran, encore sous le choc de s’être visiblement fait raccrocher au nez. Des larmes entament leur ascension jusqu’à ses paupières.
– J’imagine que ça a coupé ? claironne une voix dans son dos.
– On ne capte rien dans votre bled paumé ! feint elle.
La jeune femme affiche un sourire en coin et un air amusé avant de disparaitre dans la longère en pierre. Ce qu’elle est arrogante celle-là !
Laissée en plan au cœur de l'exploitation agricole, le désespoir l’envahit alors que la lune à pris place dans un ciel clair, déjà parsemé de quelques étoiles. Dans la cour de la ferme, sa valise à roulette dénote. Un fond de musique électro attire son attention. Cela semble venir du bâtiment tout proche où les basses se mêlent au meuglements des bovins. Au loin, l’une des nombreuses bêtes semble l’observer.
– Elles ont l’oreille musicale ! clame une voix qui la fait se retourner. On y va ?
– On va où ? demande-t-elle les yeux ronds.
Elle faillit ne pas reconnaitre la jeune femme sans son accoutrement zippé. Le jean et les converses lui vont bien mieux. Christelle la regarde ouvrir le coffre d’un SUV puis la dévisager. Elle pousse sa valise jusqu’à elle sans vraiment connaître le programme.
– Et vous comptez m’emmener où comme ça ?
– À moins que vous aimiez camper à la belle étoile, j’imagine que vous serez mieux dans un vrai lit. Les gens comme vous aiment leur confort, non ?
– Les gens comme moi ?
Elle n’obtient pas de réponse.
Dans la voiture, elle n’engage pas la conversation, incapable de trouver un sujet digne de ce nom. Elle réfléchit, se disant que leur goûts respectifs et leurs vies doivent être aux antipodes les uns des autres.
Une grande barrière en bois matérialise l'entrée de la propriété champêtre. Un corps de ferme rénové trône au bout d'un chemin. Au loin, Christelle aperçoit une vaste terrasse le long du pignon sud, donnant sur une piscine. L'endroit magnifique pourrait parfaitement servir de décors pour un article dans Vogue magazine.
– ça rapporte le bétail, murmure-t-elle.
– Je vous entends, vous savez. Et je ne travaille pas avec mon père, en réalité.
– C'était votre père le monsieur qui m'a... Enfin, l'homme que j'ai croisé ?
– Celui que vous avez traité de vieux con ? Oui.
Oups !
19 commentaires
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans
Jobas
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans
Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans