Fyctia
Emmerdements sur "pause"
Dans le petit gîte cosy, rien ne manque à part un écran télé. C'est volontaire, se dit-elle, pour contraindre les gens à se couper du monde. Au mur, un cadre avec la photo d'un quelconque phare breton habille l'un des murs. Chauvins, avec ça ! Avec une déco dans l'air du temps, des poutres apparentes, des murs blanchis à la chaux et la nature verdoyante qu'elle aperçoit par les fenêtres, Christelle s'y sent pourtant bien. Ça lui fait mal de l'admettre, mais elle apprécie presque le calme qui règne ici. La petite maison en pierre, voisine à la bâtisse principale, est à peine plus grande que son appartement parisien. Malgré cela, une sensation de liberté et d'espace la gagne.
– Voilà, je pense que vous serez mieux installée ici que dans votre voiture. Dormir dans un fossé, ça ne fait pas rêver, ironise-t-elle. Au fait, moi, c'est Julia, déclare-elle en la fixant.
– Merci Julia. Je m'appelle Christelle. Mais vous n'étiez pas obligée, admet-elle un peu embarrassée.
Elle prend conscience que son comportement agressif ne mérite pas une telle attention. Elle, ne l'aurait jamais fait pour un inconnu. Encore moins après s'être fait insulter. Dans pareille situation, elle aurait pris un malin plaisir à abandonner l'inconnue sur la chaussée.
– Maurice ne voulait pas que je vous offre l'hospitalité. Critiquer Albertine n'était pas un bon plan.
– Maurice, c'est votre père ?
– Le vieux con, si vous préférez, précise-t-elle pour la faire culpabiliser avec un regard en coin.
Christelle se racle la gorge. Elle n'est pas très à l'aise. Elle aimerait s'excuser mais ne sait pas comment s'y prendre. Ce n'est pas dans ses habitudes.
– Albertine est la vache que vous avez évitée de justesse, reprend Julia. C'est bien la seule raison pour laquelle mon père m'a autorisé à vous porter secours avec son tracteur.
– Trop aimable, grommelle-t-elle en levant les yeux au ciel.
– Vous pouvez rester ici, le temps de régler vos affaires.
Christelle soupire à la perspective de se retrouver coincée ici. Quel calvaire !
– Et puis j'ai de la place ce week-end, poursuit Julia. Vous avez de la chance. Une annulation de dernière minute. Alors faites comme chez vous.
– Merci. Vous me direz combien je vous dois pour le gîte.
– Qu'est ce que vous n'avez pas compris dans "hospitalité" ? Vous alors, les Parisiens ! Tout n'est pas qu'une question d'argent vous savez !
– Cela me semble normal de…
– Et pour le couvert, on mange d'ici une heure. Si ça vous va ?
– Très bien. Mais je ne veux pas déranger.
– Pour ça, c'est trop tard ! marmonne-t-elle en refermant la porte d'entrée derrière elle.
Christelle se retrouve seule dans la maisonnette. Une chaise haute lui tend les bras. Elle s'y affale, épuisée, et redoute le repas en tête à tête avec cette fille trop altruiste. Son incroyable amabilité cache quelque chose.
Par bonheur, le réseau semble opérationnel dans ce coin dénué d'habitations.
– Christelle ? Mais qu'est ce que tu fous bon sang ? On est au rosé depuis plus d'une heure. Si tu ne rappliques pas bientôt, on va finir bourrées ! se gausse Iris au bout du fil.
– Alors prend tout de suite un Doliprane car ta migraine sera sévère demain. Je ne suis pas prête d'arriver !
– Tu n'es pas sur la route ? Mais t'es où là ?
– Je crois que j'aurais préféré une bonne rame de RER bondé au silence de mort qui règne ici ! J'ai finit dans un fossé avec l'Alpha, gronde-t-elle.
– Oh merde ! Et tu n'as rien ?
– Moi non, la voiture, c'est une autre histoire. Des cul-terreux m'ont gentiment hébergés. Tous les hôtels du coin étaient complet apparemment.
– Et tu penses tout de même pouvoir nous rejoindre ou je dois considérer le week-end comme foutu ?
– Le mien l'est en tout cas. Vous n'aurez qu'à profiter sans moi... pendant que je me tape Marie Ingalls, soupire-t-elle.
Quant à Charles, celui de la série est plus sympathique. Celui-là ressemble plutôt à un ours !
Christelle n'ose pas frapper au carreau. Pourtant, elle avalerait un bœuf ! Son ventre gargouille et les effluves qui émanent de la maison la font saliver. Quand la porte s'ouvre brusquement, elle sursaute. Julia la lui ouvre en grand, avec une révérence moqueuse. Cette fille a décidément un humour douteux ! La soirée promet d'être longue.
– Gratin de ravioles aux courgettes ! annonce Julia en posant le plat entre elles au centre de la table. Est-ce que cela vous ira ?
– C'est déjà gentil de m'héberger. Je me vois mal me plaindre pour un menu que je n'ai pas payé.
– Les actes gratuits sont pourtant ceux dont la saveur est la meilleure. A moins que vous ayez un autre avis sur la question ?
– Pour tout vous dire, je n'en ai pas. Quand je veux quelque chose, je me l'offre. Et ça vaut pour un menu gastro autant qu'une robe de créateur.
– D'ailleurs, puisque vous en parlez, pardonnez-moi de ne pas vous avoir accueillie en tailleur Gucci. Le pressing fermait plus tôt que d'habitude et j'ai été retenue par une touriste égarée, dit-elle avec un large sourire mais sur un ton très sérieux.
– Je vois bien que vous vous moquez de moi !
– Et vous de nous ! rétorque-t-elle du tac au tac. Mais revenons-en à nos moutons.
– Je croyais que vous éleviez uniquement des bêtes à cornes ?
Julia reste scotchée un moment avant d'éclater de rire. L'air ébahi de Christelle ne l'aide pas. Elle était vraiment sérieuse et ignorait que les moutons pouvaient avoir des cornes. La mine renfrognée de son invitée la pousse à changer de sujet.
– Et pour votre voiture ?
– Ces assureurs, tous des voleurs et des menteurs ! Demain étant un jour férié, ils ne vont pas lever le petit doigt.
– C'est surtout qu'aucun garage ne pourra vous la prendre avant vendredi, non ?
– Les garagistes ? Parlons-en ! Des tas de faignants qui, s'ils le peuvent, vous prendraient les deux bras pour changer une simple roue !
– Humm. C'est bien dommage, réfléchit Julia à voix haute.
– Pourquoi ?
– J'ai justement un cabinet d'assurance dans le bourg mais je n'ai jamais escroqué personne pour autant que je m'en souvienne. Mais soit, peut-être qu'à Paris, les pratiques diffèrent. D'une région à une autre.
– Pardonnez-moi, bredouille-t-elle honteuse. Je ne parlais pas de vous, bien entendu.
– Quant à la légende du garagiste détrousseur de vacanciers, mon vieux con de père a contacté son frère. Mon oncle a un petit garage dans la ville voisine, à Bedée. Il était prêt à vous dépanner dès demain mais il faut croire que vous n'êtes pas pressée de repartir.
– Putain, marmonne-t-elle en se prenant la tête entre les mains, je les accumule.
Son air dépité suffit à satisfaire Julia qui semble savourer une vengeance bien méritée. Christelle ne sait plus où se mettre. Elle évite de croiser son regard. Le gratin est délicieux, mais elle n'ose plus ouvrir la bouche pour lui en faire part. Apprendre à tenir sa langue ne fait pas partie de ses qualités. Si d'habitude, son entourage s'amuse de ses jugements condescendants, depuis sa rencontre avec Albertine, elle enchaîne les flops, les bourdes et les maladresses.
26 commentaires
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans
Rébecca Langer
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Cendre Elven / Mary Ann P. Mikael
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Il y a 4 ans
Aziliz Bargedenn (Melocoton)
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Il y a 4 ans
Emy_pwr
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Il y a 4 ans