Fyctia

Tu verras Christelle, ce week-end entre amies c'est l'assurance d'échapper à la grisaille Parisienne ! avait clamé Iris.

La grisaille, une bien mauvaise excuse ! Le printemps qui enveloppait la capitale depuis près de deux semaines avait simplement donné quelques idées à la meneuse du groupe. Christelle priait pour qu'il en soit de même dans la région hostile des Côtes d’Armor.

Iris avait tout planifié. Quatre jours dans un gîte tout confort sur le front de mer. Une location de dernière minute sur Airbnb, avec terrasse et petit jardin clos. La maison Bretonne, exposée plein sud, se dressait face à la mer, avec la plage à trois-cents mètres. C'est en tout cas ce que disait l'annonce. Située à la Pointe de Pors Even, joli village de pêcheurs imprégné de l'aventure islandaise, elles seraient à cinq kilomètres à peine de la Pointe de l'Arcouest, embarcadère pour l'île de Bréhat.

Avec cinq heures de route pour rallier Paris à Ploubazlanec, le beau temps avait intérêt à être au rendez-vous ! Allez savoir pourquoi Iris avait opté pour cette destination aussi saugrenue que lointaine. Christelle s'était laissé influencer quand elle avait vanté la beauté la côte de granit rose et ses couchers de soleil assurément splendides. Certainement une info bidon glanée dans un guide du routard. Christelle n'était pas convaincue par la destination mais refuser cette escapade lui aurait coûté des mois de reproches. Advienne que pourra. Une chose est sûre, le crachin Breton, lui, n'est pas une légende !

Au volant de son Alpha rouge, elle avale les kilomètres non sans pester à la sortie de l'autoroute A11. La nationale suivante qui l'oblige à rester à cent-dix kilomètre heure lui tape sur les nerfs. Avec le recul, ce long week-end de l'Ascension au bout du monde serait toujours plus agréable qu'une réunion de famille dans le minuscule appartement Val de Marnais de ses parents. La fête des mères, un évènement auquel elle n'assisterait pour rien au monde en présence de Thomas. L'arriviste chômeur de renom qui lui servait de frère avait toujours été le préféré. Et entendre leur mère Véronique dire combien il était doué pour tout un tas de chose (mais surtout pour ne rien faire) lui était insupportable. Lundi, elle apporterait un bouquet de roses pour se faire pardonner. Cela ferait l'affaire.

Rennes, portes de la Bretagne, la rocade nord. Une vague ressemblance avec le périphérique, comme un air de chez elle. À la différence près que sur la quatre voies contournant la métropole, c'est un défilé de camping-car. Putains de touristes ! Elle s'engage sur l'axe direction Saint Brieuc, lui aussi conçu pour des gens peu pressés. Un supplice après plus de trois heures à rouler avec la vessie pleine. Elle aurait pu s'arrêter sur une aire, mais les toilettes étaient aussi saturées que l'autoroute en cette veille de long week-end.

Une voix robotisée retentit dans les enceintes. Un accident bloque la circulation sur la N12 plusieurs kilomètres en amont. Quelle poisse ! Hors de question de passer une heure à l'arrêt. Christelle décide alors de s'échapper par la prochaine sortie et constate qu’elle n'est malheureusement pas la seule à avoir eu cette bonne idée. À croire que tout le monde suit aveuglement Waze comme un prêcheur de bonne aventure. Au stop, elle prend à gauche. La petite flèche matérialisant sa position sur l’écran, elle, reste figée. Elle tourne au hasard, en attendant que le bug passe. Elle s'éloigne de plus en plus de ce qui ressemble à une ville. Mais c'est aussi une occasion en or de profiter de la sinuosité des petites routes.

L'Alpha Roméo gronde. Elle file comme un bolide de Rallye. Christelle se cramponne au volant tout sourire et appui sur le champignon. Le GPS, toujours immobile, la laisse dans l'incapacité de retrouver son chemin alors qu'elle file à pleine vitesse sur une chaussée déformée, bordée de hautes herbes. Les champs, la sortie d'un bled paumé, et la route se rétrécit encore. Elle ne lève pourtant pas le pieds, c'est carrément grisant ! Au bout de presque dix minutes à errer vers l'inconnu, elle est définitivement perdue.

Elle reprend ses esprits, la plaisanterie a assez durée. Elle s'agace alors après l'appareil dont la flèche tourne sur elle-même. Foutue technologie ! Une ligne droite, elle accélère encore entre deux coups d'index asséné sur l'écran. Un virage un peu sec, sans visibilité, l'Alpha qui colle à l'asphalte, quelle sensation ! Lorsqu'elle sort de la courbe, elle se jette sur le frein et termine sa course tankée sur le bas-côté, deux roues dans le fossé. Son hurlement déchire le calme de l'habitacle.

- Fais chier ! aboie-t-elle.

Une irrépressible colère la submerge quand le bovin arrêtée au beau milieu de la route la fixe nonchalamment.

- J'hallucine ! braille-t-elle en ouvrant la portière sauvagement.

L'animal immobile n'a pas l'air de comprendre ce que lui veut cette femme hystérique sortie de nulle part. Elle mastique encore les brins d'herbe avalés plus tôt, sans grand étonnement. Ses yeux rivés sur elle ressemble à un terrain vague, dépourvu de toute intelligence.

- Putain de bestiole ! crie-t-elle à bout de nerf. Mais quel est le con qui m’a laissé ça au milieu de la route ? demande-t-elle aux oiseaux de passage. Fais chier !

Son cœur tambourine sous l'effet de la fureur. Ou peut-être est-ce l’adrénaline qui fait flageoler ses jambes ? Elle trépigne, un pincement au cœur, en voyant la belle Alpha penchée sur une partie de son flanc. C’est un fait. Malgré les quatre roues au sol, l'angle ne lui permettra pas de repartir sans un peu d'aide.