Fyctia
Chap 3.1 - Plus jamais !
Ça ne sert à rien de lutter. J’abdique. Du moins, à moitié. Je ne retire pas la chaîne et entrouvre ma porte sur une quinzaine de centimètres.
— Qu’est-ce que vous me voulez ? grogné-je en le détaillant de haut en bas.
Évidemment, si je ressemble à un animal en fin de vie, lui est habillé comme s’il allait fêter le Nouvel An. Ses cheveux châtains sont savamment coiffés, son costume taillé sur mesure apparaît sous son long manteau noir et son parfum masculin aux notes ambrées titille mes narines. Dommage que son air condescendant gâche ce magnifique mètre quatre-vingts. Brusquement, ma contemplation s’arrête sur ses gants, car ils me paraissent familiers, sans savoir pourquoi… Quelle étrange sensation !
— Je tenais à m’assurer que vous étiez encore en vie.
Sa voix me fait relever les yeux. Je découvre alors une expression différente des autres jours. Son front est légèrement plissé, ses sourcils froncés, et ses iris… sont si étranges. Magnifiques tout en étant particuliers. Ils sont d’une teinte marron foncé, mais mouchetés de cristaux dorés… Je n’en avais jamais vu de tels jusqu’à présent ! Face à mon silence, Odin pince les lèvres et jette un coup d’œil impatient vers les escaliers.
— Bien. Vous avez l’air vous-même, hésite-t-il en glissant ses mains dans ses poches.
Il commence à faire un pas en direction des marches, mais sa réponse me fait bondir. Je referme la porte, tire la petite chaînette et ouvre à la volée.
— « Moi-même », c’est-à-dire ?
Odin s’immobilise et tourne un visage surpris vers moi.
— En vie, réplique-t-il en m’examinant. Du moins, je crois.
Outch !
Tendre le bâton pour se faire battre, se moque la petite voix dans mon crâne douloureux.
— Pourquoi vous en préoccupez-vous aujourd’hui ? demandé-je. Je ne comprends pas.
— Le vin agit comme un bon amnésique.
Son ton est froid, sa mâchoire crispée. Ma bouche s’entrouvre, mais aucun son n’en sort. Bordel, cela ne présage rien de bon. Qu’ai-je bien pu faire cette nuit ?!
Si, pendant un instant, je crains de m’être faufilée dans le lit de mon voisin, ce qui paraît totalement improbable, mon expression terrorisée doit lui faire pitié puisqu’il m’explique :
— Nos routes se sont croisées cette nuit, rue des Minimes.
— J’étais chez moi…, hésité-je en pointant du doigt mon appartement. Je veux dire… Je ne suis pas sortie cette nuit.
— Cela aurait été une meilleure décision, rétorque-t-il en descendant la première marche. D’après vos explications approximatives, se moque-t-il, vous disiez avoir posté une lettre.
Il y a bien une boîte postale dans cette rue, mais je ne vois pas ce que je serai allée y faire en pleine nuit !
— Vous évoquiez une « lettre du futur ». Mais vous étiez très… il toussote et réfléchit au terme qui me désignerait le mieux : disons, confuse.
La lettre du futur.
Immédiatement, le rouge me monte aux joues.
— Hum… Je… Je ne me souviens pas très bien, dis-je en ne sachant où poser les yeux.
Peut-être qu’à force d’observer ce tapis, mon corps va lentement se liquéfier pour disparaître en dessous.
— C’était une expérience hors du commun, commente-t-il d’un ton acerbe. Bon et bien, navré, mais du travail m’attend.
Lorsque je relève les yeux, Odin disparaît vers le rez-de-chaussée. Au moment où il l’atteint, notre propriétaire, Suzanne, croise sa route et sa voix aigüe porte jusqu’à moi :
— Est-ce que vous avez une idée de qui a fait toutes ces traces dans l’entrée ?
— Bonjour, Madame Garnier, lui répond Odin.
— Il y a de la neige fondue partout ! se lamente-t-elle sans se formaliser de la réplique de son locataire.
— Bonne journée, Madame Garnier ! s’esclaffe-t-il en quittant l’immeuble.
Elle peste encore quelques secondes dans ses moustaches avant que son radar ne s’active et que son timbre haut perché ne retentisse vers l’étage :
— Mademoiselle Joly ?
Cette façon de m’interpeller me ramène vingt ans en arrière et me rappelle mon enseignante de CE1. Décidément, ce matin, pas moyen de passer inaperçue !
À pas feutrés, je regagne mon appartement et ferme la porte le plus doucement possible. J’entends Suzanne marmonner en s’adressant à ses chiens, des caniches surnommés « Titi ». Nos propriétaires vouent un culte à cette race, à tel point que leur appartement est entièrement décoré à leur effigie. C’est original… et littéralement effrayant.
C’est déjà trop d’émotions pour une seule et même journée !
Je m’empresse de rejoindre ma cuisine pour avaler un doliprane tout en réfléchissant aux propos d’Odin… Je suis donc allée poster ma lettre du futur ? En pleine nuit !
Sur la table basse du salon, il n’y a que des brouillons, aucune trace de cette lettre. Pourtant, je me souviens bien d’avoir écrit une page recto-verso… Seulement, après ? C’est le black-out.
Y réfléchir relance mon mal de tête, je retourne sous la couette où j’ai bien l’intention de passer le week-end, loin de toute interaction sociale !
CHAPITRE 4 - Le silence est d’or.
ODIN
Je m’extirpe du chemin de cette chère Suzanne avant d’être pris au piège dans ses filets. C’est que notre propriétaire et concierge -un duo terrifiant incarné en une seule et même personne - est capable de tenir un long monologue de plusieurs heures lorsqu’elle vous tombe dessus.
La porte de l’immeuble refermée, me voilà enfin libre d’arpenter, comme tous les matins, les jolies ruelles du Marais. Malgré les chutes de température, mes pieds se frayent un chemin vers le café le plus proche. Ils glissent à deux reprises sur l’asphalte verglacé, mais par chance, je me rattrape à chaque fois. Pas question de faire demi-tour. Rien ne m’empêchera de braver le froid et de respecter mon rituel quotidien.
À l’angle d’une rue, la devanture chaleureuse du café fait son apparition. Sa délicate teinte vert sauge est le premier élément qui a retenu mon attention, il y a de ça déjà six mois, lors de mon retour sur mes terres natales. Une teinte agréable pour les yeux, loin des couleurs criardes qui arborent Camden Town. D’après moi, la capitale française a bien meilleur goût. Sans compter que ce café est à taille humaine, contrairement à ceux que l’on trouve un peu partout dans les pays anglo-saxons, et je dois bien l’avouer : cela me fait un bien fou ! L’endroit est confortable, mais surtout, peu fréquenté. Cela désole Fatou, la sympathique propriétaire de l’établissement, mais pour le misanthrope que je suis, ce lieu est devenu un refuge.
10 commentaires
Mel92
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Il y a 24 jours
Sonia J. SAM
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Il y a 24 jours
Bellaa
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Il y a 24 jours
Sonia J. SAM
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Il y a 24 jours
Lauralyna
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Il y a un mois
Sonia J. SAM
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Bérengère Ollivier
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Sonia J. SAM
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la-mahie
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Sonia J. SAM
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