Fyctia
3 Décembre 2024 - Partie 1
Je laisse l’eau chaude couler sur mon corps, dans l’espoir qu’elle délasse mes muscles tendus. La journée d’hier n’a pas été de tout repos. Je ne peux pas dire que c’est une surprise, je sais très bien que porter plainte est une action qui demande beaucoup d’énergie et de courage. Je ne m’y suis pas vraiment préparée, cette fois. Du moins, pas autant que je ne l’aurais voulu, mais le moment s’est présenté. Il fallait le faire pour étouffer dans l’œuf les projets de Jérémy. Je ne peux pas le laisser régir ma vie comme bon lui semble. La crainte, l’hypervigilance, je peux faire avec, mais le laisser s’introduire dans mon espace privé chaque fois que cela lui chante, c’est hors de question.
Ce à quoi je n’ai pas pu me préparer, c’est d'être entendue par l’homme au regard gris bleuté que j'ai croisé au marché de Noël dimanche. Celui-là même que Caroline et Lise soupçonnent de connaître mon harceleur et de me suivre à sa demande.
Je revois sa tête se décomposer quand il m’a reconnue. La rage a remplacé l’appréhension qui me tétanisait. Sur le coup, j’ai cru qu’il s’agissait d’une mauvaise blague, mais il avait l’uniforme et toute la panoplie, alors il y avait peu de doute sur sa légitimité à être là. Si je l’avais croisé ailleurs, j’aurais peut-être pu croire qu’il était là pour un enterrement de vie de jeune fille, mais dans ce contexte c’est impossible.
Tina la tigresse a refait surface. Cela faisait beaucoup trop longtemps qu’elle était recroquevillée au fond de sa tanière et n’avait pas sorti les griffes. Depuis deux ans, je tente de maintenir les apparences, mais j’ai bien conscience qu’une partie de moi est morte ce soir-là, étouffée par la peur de ne jamais quitter cet appartement. S’il avait réussi à me violer, qu’était-il capable de faire ensuite ?
Nous enfermer dans le bureau de Lucas, après qu’il m’ait suivie, ne pas savoir ce qui se passait dehors, comprendre qu’il ne comptait pas me laisser lui échapper…toutes ces choses sont venues ajouter des couches de peur sur ma crainte, au point d’empêcher certaines parties de moi de s’épanouir. Les plus légères. Les plus insouciantes, principalement. Celles qui m’apportaient un peu de bien-être, une bouffée d’oxygène dans un quotidien parfois trop lourd.
— Tu comptes rester terrée là-dedans toute la journée ? C’est pour savoir si je te compte dans la commande Uber de midi ou de ce soir.
Retour à la réalité. Je coupe l’eau de la douche et m’enroule dans une serviette chaude. Toute la pièce est embuée. J’entends parler derrière la porte mais je ne comprends pas. Ce n'est pas à moi qu'elle s'adresse. C’est Lise dans toute sa splendeur. Avec elle, impossible de se laisser aller plus de quinze minutes à la déprime. C’est certainement ce qui m’a permis de ne pas m’effondrer après mon viol. Elle est toujours présente, bienveillante et à l’écoute. Bien plus souvent que nécessaire, et que ce qu’elle s’autorise à recevoir de nous. Sous sa mauvaise humeur, Lise reste dans le contrôle de sa propre souffrance. Je sais que Lucas l’aide à avancer, mais tout de même, j’ai tendance à culpabiliser de ne pas être capable de lui apporter autant que ce qu’elle fait pour moi.
— Ça dépend, tu commandes quoi ?
Je fais traîner les choses. Je n’ai pas envie de sortir de mon cocon de chaleur. Une fois dehors, elle reviendra à la charge sur les questions auxquelles je n’ai pas répondu hier. « C’est qui ce mec ? Il t’a dit quoi ? Il connaît Jérémy ? Tu veux rien me raconter ? »
Je sais que je ne vais pas pouvoir la garder dans l’ignorance plus longtemps. Et en même temps, qu’est-ce que je peux lui dire qu’elle ne sait pas encore ?
— Sushis ou fast-food ?
Je fais la grimace. J’avais espéré qu’elle propose un vrai plat réconfortant. J’ai encore besoin de cajoler mon cœur avec de la douceur culinaire, ce que le gras ou le poisson cru ne parviennent pas à faire.
— On peut pas commander des lasagnes, plutôt ? Ou du risotto ? Oh, un gratin dauphinois bien crémeux avec du poulet rôti !
Ça y est, je salive en imaginant la nourriture dans mon assiette. Ces plats du dimanche qui sont remplis de souvenirs et qu’on aime pour toujours. C’est exactement de cela dont j’ai besoin aujourd’hui.
Maxime a prévenu mon employeur de l’épisode du bouquet de fleurs. Il a accepté de me laisser un jour de repos supplémentaire pour me remettre de mes émotions. Je ne sais pas ce qu’il lui a dit exactement, mais je ne vais pas chipoter. Ce congé exceptionnel est le bienvenu.
J’ouvre la porte de la salle de bain, toujours enroulée dans la serviette qui couvre mon corps de la poitrine aux genoux. Elle est plus couvrante que certaines de mes robes. Je secoue la tête. Ce n’est pas le moment de remettre en question celle que je suis. Impossible d’être objective quand mes émotions font le grand huit. Ce que je déciderais aujourd'hui, je le regretterai probablement demain.
Lise est toujours là, les yeux rivés sur son téléphone, sourcils froncés et nez plissé. Le summum de la concentration. Elle relève son visage vers moi, un sourire enfantin aux lèvres et me plante son écran sous le nez. « Chez la Mamma ». Deux portions de risotto aux noix de Saint Jacques et deux portions de lasagnes sont déjà dans le panier.
— Avec ceci ? Je rajoute deux parts de tiramisu ?
Mes yeux doivent parler pour moi car Lise rit en reportant son attention sur son téléphone.
— Le repas sera servi pour treize heures.
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Debbie Chapiro
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Il y a 14 jours
Origami
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Il y a 14 jours
Justine_De_Beaussier
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Il y a 15 jours
mima77
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Il y a 17 jours
Thalie C
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Il y a 17 jours
Hello_Darling
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Thalie C
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mima77
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Il y a 17 jours
mima77
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Il y a 18 jours
Thalie C
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Il y a 18 jours