Fyctia
2 Décembre 2024 - Clément
— Vous êtes Tina Landrin ?
J’ai envie de me frapper violemment pour avoir osé poser une question aussi bête. Bien sûr que c’est elle. Le nom aurait dû m'interpeler, mais je ne pouvais pas penser une seule seconde qu’elle pouvait être là aujourd'hui. Ça m’apprendra à me contenter de lire le nom griffonné sur le registre au lieu de regarder la personne à qui je m’adresse. C’est pourtant une chose que je chez certains collègues. Le manque d’attention pour la personne qui se tient face à nous. Je ne supporte pas ceux qui restent concentrés sur leur rapport plutôt que de se montrer intéressés par l’histoire de la personne. De quoi ont-ils peur ? De se montrer humain ? Tout le monde sait que les policiers n’ont pas de cœur…c’est la réputation qui nous colle le plus à la peau.
Les membres des forces de l’ordre sont là pour réprimander, préjuger, corriger, mais rarement pour soutenir. Je refuse de céder à cette représentation. Ce n’est pas l’image que j’ai de mon métier. Alors, à mon niveau, j’espère arriver à faire passer assez d’humanité dans ma manière d'accueillir les gens, pour faire changer le regard d’au moins une personne. Ce serait une belle victoire.
Sauf que là, je viens de me comporter exactement à l'opposé de ce que je prône régulièrement. Comme si j’avais senti que c’était elle. Comme si j’avais perdu mes moyens simplement en sentant sa présence.
Son regard reste fixé sur moi. Un sourcil relevé, elle semble me prendre de haut. J’ai instinctivement envie de jouer les connards en uniforme. Ceux dont le col trop serré a réduit l’oxygénation du cerveau au point qu’ils se sentent supérieurs simplement en portant une tenue de travail. Est-ce que l'agent des espaces verts se sent supérieur aux autres dans sa combinaison verte ? Alors pourquoi le bleu vaudrait mieux qu'une autre couleur ? Je veux bien reconnaître que c’est grisant et que cela peut apporter quelques avantages, mais je lutte contre l’arrogance que d’autres semblent entretenir avec rigueur.
Son regard n’a plus rien à voir avec celui qu’elle a posé sur moi au marché de Noël, hier matin. Il ne caresse plus mon visage pour en découvrir les moindres détails. Il ne suit plus les contours de ma mâchoire et ne s’accroche plus au mien. Non. Ses yeux sont brillants de défi. Elle m’a reconnu, il n’y a aucun doute à ce sujet. En revanche, je ne sais pas ce qu’elle sait de moi. Je déglutis péniblement, mais tente de masquer mon appréhension. Ici, c’est mon terrain. Je ne peux pas me permettre de paraître coupable de quoi que ce soit, alors même que je n’ai rien à me reprocher. Enfin…de mon de point de vue.
— Tu veux attendre quelqu’un d’autre ?
Son amie, Lise, est là aussi. Evidemment. Je ne l’avais pas vue jusqu’à ce qu’elle se penche vers Tina pour lui poser la question, plus fort que nécessaire. Très bien, message reçu. La louve veille sur son petit et elle ne compte pas me laisser approcher aussi facilement. Elle s'octroie même le luxe de me toiser. Pas de doute, l’uniforme n’a aucun effet sur elles. Du moins, pas l’effet que j’ai l’habitude de voir chez les femmes. Il n'y a pas d'attirance ou de fascination. Plutôt de la méfiance. Elles sont prêtes à mordre, c'est évident.
Tina ne la regarde pas, ses yeux sont toujours rivés sur moi et un sourire arrogant se dessine sur ses lèvres pleines. Elle n’a pas peur. J’ai l’impression d’être devenu la proie que le prédateur vient de repérer. Cours Clément, cours.
— Non, c’est parfait.
Elle a parlé sans détacher son regard du mien et je commence à être vraiment mal à l’aise. Tout en elle n’est qu’assurance et agressivité. Je suis l’homme de trop sur son chemin. Celui qu’elle va abattre pour faire payer tous les autres.
Du coin de l’œil, je repère Céline qui observe la scène. La tension est parvenue jusqu’à elle, alors même qu’elle n’a aucune idée de ce qui se joue. Sa posture a changé, elle est prête à intervenir. Je lui adresse un signe discret de la main, pour lui faire comprendre qu’il n’y a rien à craindre. Il ne manquerait plus qu’elle fasse exploser la bombe à retardement qui me fait face en intervenant trop brutalement.
Tina laisse échapper un rire amer. Ce n’est pas l’image que je préfère d’elle, mais il est trop tard pour changer la donne. Son idée sur moi est faite et je vais devoir composer avec ça.
— Suivez-moi.
Je l’entraîne avec moi vers mon bureau. Il n’y a que quelques mètres à faire, mais mon esprit se demande si je n’ai rien laissé traîner. Il ne doit rien y avoir de gênant, comme dans une chambre d’adolescent, mais tout de même. Elle a déjà une sale image de moi, je n’ai pas besoin qu’elle découvre en plus que je laisse traîner quatre tasses de café entamées sur le bureau parce que je ne supporte pas de réutiliser de la vaisselle sale sans la laver, mais que j’ai la flemme de le faire. Je fais partie de ceux qui les déposent discrètement dans l’évier de la salle de repos, lorsque la femme de ménage arrive. Si ma mère découvrait cela, elle m’obligerait certainement à nettoyer toutes les tasses des collègues pendant un mois.
Je la laisse entrer dans la pièce avant de la suivre. Mes collègues étant en intervention, nous sommes seuls dans le bureau. Je laisse la porte ouverte pour ne pas la mettre mal à l’aise ou risquer des accusations injustifiées. Ses sourcils sont toujours froncés sur son regard qui m’assassine de mille et une façons. Je me racle la gorge.
— Très bien, je vais prendre votre nom, prénom, date et lieu de naissance.
Elle penche la tête sur le côté avec un petit rire qui n’a rien de jovial.
— Vraiment ?
— C’est la procédure.
— Alors si c'est la procédure, procédons...
On vient à peine de commencer mais je suis épuisé d’avance. C’est un combat professionnel qui m’attend et je ne suis pas sûr d’être armé pour y faire face aujourd’hui.
66 commentaires
Aline Puricelli
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Il y a 12 jours
Thalie C
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Il y a 12 jours
Debbie Chapiro
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Il y a 14 jours
Origami
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Il y a 14 jours
Justine_De_Beaussier
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Il y a 21 jours
Thalie C
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Justine_De_Beaussier
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Angel Guyot
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Scriptosunny
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Thalie C
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Il y a 22 jours