Fyctia
2 Décembre 2024 - Partie 5
J’ai réussi. J’ai troqué le pilou-pilou informe de Lise pour une tenue plus convenable à l’extérieur. J’ai dit au revoir au plaid douillet, en lui promettant de le retrouver tout à l’heure. Et je suis là, devant le commissariat. Lise se tient à ma droite et semble tout aussi terrifiée que moi. Je sais qu’elle essaie de ne rien laisser paraître. Elle cherche le courage d’entrer avec moi, de me soutenir une nouvelle fois. Elle fait un premier pas. Je ne bouge pas. Un deuxième. Je suis toujours immobile. Et si on ne me croyait pas ?
— Allez Tina, viens.
J’ai l’impression qu’elle s’adresse à une petite fille perdue, la main tendue vers moi pour m’inviter à la rejoindre. J’aimerais faire demi-tour, courir rejoindre le canapé et le plaid qui me donnaient l’impression de vivre dans un monde de douceur.
— Si tu n’es pas prête on reviendra une autre fois…
Elle jette un regard vers la devanture, puis vers moi. Ses yeux sont plein d’espoir. Elle croit en moi, elle a envie que j’agisse. Je sais qu’elle sera là pour moi si je m’effondre, mais la peur irrationnelle que je ressens ronge ma raison. J’avance vers elle. Elle poursuit sa route vers la porte d’entrée et sonne avant que je ne me rétracte.
— Bonjour, mon amie souhaite porter plainte, s’il vous plait.
Je reconnais à peine sa voix. Elle n’a plus rien de la jeune femme que j’ai l’habitude de voir. Je suis en face d’une petite fille qui a envie de s’excuser d’être là. Les figures d’autorité ont souvent cet effet sur les personnes qui n'ont rien à se reprocher. La peur de déranger. L’angoisse de ne pas être crues. La voix qui lui répond à l’interphone lui demande de patienter. Quelqu’un va venir nous ouvrir.
Je pose ma tête sur son épaule. C’est le seul moyen de communication que j’ai trouvé pour lui transmettre tout ce que je ressens. La reconnaissance, l’amour, la peur.
Je jette un dernier regard sur ma tenue. Un jean clair accompagné d’un pull en laine noir. Sobre. Discret. J’ai pioché dans les vêtements de mon amie pour éviter les jugements au premier regard. Si je dois porter plainte, j’espère passer outre les remarques sur mon style vestimentaire, comme s’il s’agissait d’une excuse pour m’agresser ou me harceler.
Une jeune femme en uniforme vient nous ouvrir. Je ne sais pas si je suis rassurée de voir qu’il s’agit d’une femme, ou non. La solidarité féminine n’est pas toujours de mise. Au contraire, j’ai fait les frais de situations incompréhensibles dans lesquelles des femmes se sont retournées contre d’autres par pur esprit de compétition. Quelle belle image. Peut-être qu’un homme serait plus neutre ? Mais s’il était lui-même un harceleur ou un violeur ? J’ai déjà entendu des histoires de membres des forces de l’ordre qui frappaient leur femme, au même titre que les professeurs des écoles qui maltraitent leurs enfants. Mon esprit pioche dans les archives de mes souvenirs, comme si c’était le moment le plus adapté pour se pencher sur les faits divers sordides. Je me concentre sur la femme devant moi.
— Qui souhaite porter plainte ?
— C’est moi.
Ma voix parait enrouée, comme si je n’avais pas parlé depuis plusieurs heures. C’est presque le cas. Si Lise n’avait pas cherché à obtenir des réponses à ses questions, je n’aurais probablement pas ouvert la bouche.
— Suivez-moi.
Son ton est le plus neutre que j’ai entendu de ma vie. Je suis bien incapable de déceler la moindre émotion dans sa voix. Ça doit être dur de faire taire ses sentiments de la sorte pour le travail. Elle désigne Lise du menton.
— Vous ne pourrez pas entrer avec Madame. Je peux vous laisser attendre à l’accueil, mais c’est tout et c’est parce qu’il n’y a personne pour l’instant. Si quelqu'un se présente, vous devrez sortir et attendre votre amie devant.
Lise acquiesce en silence et un nœud entrave ma gorge. Je vais être seule. Seule dans une pièce avec une personne que je ne connais pas. L’angoisse commence envahir mon esprit, mais le regard de Lise m’apaise. Je comprends qu’elle ne compte pas me laisser seule dans le bâtiment. Je suis persuadée qu’elle serait capable de s’accrocher aux fauteuils pour les empêcher de la mettre dehors. J’aurais l’air maline si je devais la récupérer en garde à vue.
A l’intérieur, la femme en uniforme passe derrière la banque d’accueil et me demande mon nom, prénom, ainsi que ma date de naissance. Je lui réponds automatiquement, comme un robot sans âme.
— C’est pour porter plainte à quel sujet ?
— Pour viol et harcèlement.
J’ai parlé fort. J’avais besoin de donner plus de poids à mes mots. Je veux m’assurer que les personnes présentes comprennent ma détermination. Ce n’est pas vraiment la mienne, mais je la partage. Ses yeux descendent rapidement sur ma tenue avant de revenir sur son cahier. Je me félicite d’avoir choisi quelque chose de sobre. C’est l'attitude typique de mes interlocuteurs, lorsque j’évoque mon agression. Quelle aurait été sa réaction si j’avais porté une robe à strass et que j’avais été maquillée de manière plus prononcée ? Aurait-elle accepté de prendre ma plainte ou m’aurait-elle jugée responsable ?
La colère monte en moi mais je la ravale. Ce n’est pas le moment de me mettre la police à dos. J’ai besoin qu’au moins l’un d’entre eux prenne ma plainte au sérieux.
Lise ne peut empêcher sa jambe de tressauter en attendant qu’on vienne me chercher. Pendant ce temps, je lis pour la troisième fois les différentes affiches qui ornent les murs. Violences conjugales. Disparitions d’enfants. Maltraitances. Tout cela est tellement rassurant. Engageant.
— Madame Landrin ?
Je sursaute et tourne la tête vers la voix masculine qui vient de m'appeler. Mon cœur manque un battement, ou deux. Mes yeux rencontrent deux billes d’un gris bleuté, qui me fixent avec stupeur. A-t-il peur que je vienne porter plainte contre lui ?
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petites.plumes
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Il y a 10 jours
Debbie Chapiro
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Il y a 14 jours
Origami
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Il y a 14 jours
Aline Puricelli
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Il y a 15 jours
Sarael
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Il y a 20 jours
Thalie C
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MélineDarsck
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Thalie C
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mima77
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Il y a 23 jours