Fyctia
2 Décembre 2024 - Partie 4
Cela doit fait une heure ou deux que je suis sortie de la salle de bain de Lise, emmitouflée dans l’un de ses pyjamas hideux mais confortables. C’est mon plaisir coupable. Enfiler un pyjama pilou-pilou, pour profiter au maximum de sa douceur et prendre soin de mon cœur en miette. Aujourd’hui, je suis en pleine crise. J’ai donc le droit au combo pyjama douillet et plaid tout chaud en dégustant mes macarons préférés du moment. J’ai l’impression d’être à une soirée filles, les bavardages en moins et le moral dans les chaussettes.
Je garde les yeux fixés sur l’écran de télévision face à moi. Les personnages de Friends défilent à l’écran, mais impossible de me concentrer.
Je sais que Lise m’observe, je la vois du coin de l’œil. Je choisi pourtant de continuer à regarder la série, pour ne pas avoir à l’affronter. Ce n’est pas que je ne veux pas discuter avec elle de la situation, mais je suis moi-même incapable de faire le point sur ce qui est arrivé. J’ai à peine mis les pieds au bureau ce matin, que j’étais déjà dehors, escortée par une Lise transformée en agent spécial en plein shoot d’adrénaline. Elle regardait de tous les côtés en même temps, et moi je la suivais docilement. Je n’ai même plus l’impression d’être dans mon propre corps. J’ai conscience d’être ici, de faire partie de l’action, mais je suis incapable de prendre la mesure de ce qui se passe. La scène de tout à l’heure tourne en boucle dans mon esprit. Comme avec les magnétoscopes de mon enfance, chez mes grands-parents maternels, j’enchaîne les avances rapides et les rembobinages, mais cela ne débloque rien de nouveau. Je n’ai pas souvenir d’avoir croisé Jérémy. A aucun moment. Est-ce que j’ai pu le croiser d’autres fois sans m’en apercevoir ? Est-ce qu’il compte m’approcher de nouveau ? Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi un bouquet ? Je ne comprends pas son objectif. Pour moi, notre dernière rencontre était plutôt claire et l’intervention de la police me paraissait être un élément assez significatif de ce que je pensais de son comportement. Malheureusement, comme je n’ai pas eu le courage de porter plainte, je n’ai jamais su quelles avaient été les suites de l’affaire. Aucune ?
— Tina, tu vas faire semblant de regarder la télé combien de temps encore ?
Lise soupire, mais je la connais assez pour savoir que ce n’est pas contre moi. La patience n’est pas son fort et elle est en train d’atteindre ses limites. Je cligne des yeux pour tenter de me reconnecter à la réalité et réussir à me concentrer. En me tournant face à elle, je découvre ses traits tirés, son regard inquiet. Ce n’est pas mon amie qui me regarde, mais une version plus âgée d’elle. Une mère dont les enfants l’empêchent de dormir et lui donnent beaucoup plus de soucis qu’elle ne peut en encaisser. Je culpabilise d’avoir ignoré son regard tout ce temps. Elle ne mérite pas ce comportement. Lise a toujours été présente pour moi, pour parler de mon agression, pour me réconforter. Elle m’a écoutée, m’a conseillée. Elle a vécu à travers moi ma reconstruction, aussi bancale soit-elle. C’est injuste de ma part de l’appeler pour qu’elle vienne me chercher et la laisser baigner dans l'ignorance ensuite.
— Je ne fais pas semblant, je regarde…
— Tu n’as aucune réaction. Depuis tout à l’heure on se coltine les épisodes en espagnol et t’as même pas capté.
— Je…
Je reporte mon attention sur la télévision. Les voix ne sont pas les mêmes que celles que j’ai l’habitude d’entendre en français ou en anglais. Maintenant qu’elle me le fait remarquer, c’est vrai que je ne comprends pas un mot des dialogues.
— Je n’arrive pas à me concentrer.
— J’ai vu ça… Tu as besoin d’en parler ?
— Je ne sais pas.
Je réponds avec toute l’honnêteté dont je peux faire preuve aujourd’hui. Quand elle m’a demandé où je voulais aller, je n’ai même pas su quoi répondre. Elle m’a naturellement ramenée chez elle pour garder un œil sur moi. Ça m’a rappelé quand j’étais venue la réveiller, le lendemain de mon agression. Elle avait tout de suite senti que quelque chose clochait, mais je n’étais pas prête à en parler. J’avais foncé chez elle parce que je savais que c’était le meilleur endroit pour me sentir en sécurité. J’avais eu besoin de relâcher la pression le temps d’une douche, sans m’inquiéter d’avoir été suivie ou de tomber sur quelqu’un en sortant de l’appartement. La nausée menace à mesure que les souvenirs s’installent. J’aurais peut-être pu enrayer les choses en lui en parlant directement. Elle aurait certainement trouvé les mots justes pour m’aider à mettre un terme à mon harcèlement et il n’aurait pas pris le dessus sur ma vie.
— Tina, s’il te plait ne reste pas seule avec tes pensées. Je n’aime pas savoir que tu t’auto flagelle.
Sa voix est douce. Elle me tire un sourire triste. Lise me connaît réellement. Elle sait ce que je pense et trouve toujours le moyen de me sortir de mes tourments sans même avoir conscience de tout ce qu’elle m’apporte.
— J’essaie, Lise. J’essaie vraiment…
Une larme roule sur ma joue, puis une deuxième. La carapace que je tente de maintenir en place depuis deux ans s’effrite et je sens le raz-de-marée arriver. Je vais m’effondrer sur ce canapé.
— Je peux te parler franchement ?
Je fixe Lise sans savoir quoi répondre. J’ai toujours cru qu’elle était directe avec moi, quitte à me blesser au passage. Ce n’est jamais réellement volontaire, mais je sais qu’elle tient à être franche et à ce que tout le monde sache à quoi s’en tenir avec elle. Elle mord sa lèvre inférieure en jetant un œil à la télévision, qui diffuse toujours Friends en espagnol. Son stress est si difficile à contenir qu’il chatouille ma peau, causant un frisson involontaire. Je me doute que ce qu’elle souhaite me dire a un lien avec cette histoire de bouquet, mais j’appréhende les mots qu’elle s’apprête à prononcer. Si elle attend mon aval pour se lancer c’est que ses propos risquent de ne pas me plaire. Je me contente d’un léger hochement de tête. L’appréhension est plus forte que le sentiment de sécurité dans lequel je pensais me trouver.
— Ce n’est que mon avis, et bien sûr ce n’est pas à moi de prendre la décision…
Je soupire. Je déteste quand elle tourne du pot comme ça.
— Lance-toi, Lise.
Elle prend une grand inspiration avant cracher les mots comme s’ils lui brûlaient la langue.
— Je pense que tu devrais porter plainte.
Je ne dis rien. Je suis incapable de réagir. Je pensais qu’elle proposerait d’envoyer Lucas et ses amis lui casser les deux jambes ou vider un saut de déchets juste devant sa porte, mais pas ça. J’ai été incapable de le faire il y a deux ans, lorsque c’était le plus légitime et que tout le monde me le conseillait. Pourquoi est-ce que j’y parviendrais aujourd’hui ? Pour un simple bouquet de fleurs ? Un bouquet qui m’a complètement tétanisée.
Je sens ses mains caresser mes bras, pour me réconforter. Je vois son sourire d’excuse tordre ses lèvres. J’ai envie de lui faire plaisir. Mais la peur de l’échec est plus forte encore.
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Farahon
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Debbie Chapiro
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Il y a 14 jours
Origami
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Il y a 14 jours
Sarael
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Justine_De_Beaussier
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Hello_Darling
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