Fyctia
2 Décembre 2024 - Partie 3
Maxence réapparaît rapidement, suivi par Anna, la secrétaire qui occupe le box de l'open-space à l’entrée de l’étage. Tout le monde pense qu’elle a pour mission d’assurer l’accueil, à cause de la place de son bureau, mais en réalité elle a le même poste que les deux autres secrétaires. Elles sont des soutiens dans le quotidien des vendeurs. Seulement, encore une fois, les apparences sont parfois trompeuses et une fois qu’une étiquette vous est collée sur le front ou les fesses, rien à faire on ne voit plus que cela.
Anna approche de moi en se triturant les mains. Je ne l’ai jamais vue aussi stressée. Nous n’avons pas de grandes conversations, mais il nous arrive de discuter dans l’ascenseur ou à la pause repas. Je sais qu’elle a un fils de quatorze ans qui a du mal à se concentrer en cours mais qui adore lire. Elle a également une petite fille de six ans qui anime tout l’étage lorsqu’elle vient lui rendre visite. Je ne comprends pas son attitude en ce moment-même. C’est comme si elle avait peur de ma réaction, alors que je cherche seulement des réponses. Une seule me suffira.
— Bonjour Anna, tu as vu qui a déposé ces fleurs ?
Je désigne le bouquet d’un geste de la main. Cette histoire devient une affaire d’état alors que je suis presque certaine qu’il ne s’agit de rien de plus qu’un simple bouquet. Elle rougit. Littéralement. Des plaques marbrent son cou et gagnent ses joues.
— Je suis désolée, Tina. Je savais que ce n’était pas une bonne idée.
— Qu’est-ce qui n’était pas une bonne idée ?
Je prends un ton plus doux, plus posé. Peut-être que, noyée par mes propres émotions, je lui ai renvoyé une colère dont je n'ai pas conscience ?
— Je ne voulais pas te le donner mais il refusait de partir tant que je ne serai pas venue te voir. Je n’ai pas osé te déranger avec ça alors je l’ai déposé devant ta porte.
— De qui tu parles ?
— Jérémy…
Je n’entends pas la suite. Mes oreilles bourdonnent sous l’afflux de sang. Mon cœur tambourine dans un vacarme désordonné. Jérémy était ici. A mon travail. Il est arrivé juste après moi. Est-ce qu’il me suivait ? Est-ce que j’ai pu ne pas le remarquer ? J’ai la gorge sèche. Mes mains tremblent le long de mon corps. Je ne sais plus quoi faire de mes bras, de mes jambes. Si je ferme les yeux maintenant, je suis presque certaine de m’effondrer sur le sol et de ne pas réussir à m’en relever. Il a franchit une limite qu’il n’avait jamais dépassée en deux ans. Il est entré dans mon univers professionnel. Là où je me pensais encore intouchable.
Maxence se précipite vers moi pour m’aider à m’asseoir dans mon fauteuil.
— Appelle Lise. S’il te plait demande lui de venir, vite.
J’ai le souffle court, comme si j’avais gravi les escaliers jusqu’au troisième étage en portant mes packs d’eau de la semaine. Pourtant, Anna n’a fait que prononcer un prénom. Le sien. Toujours ce même prénom qui me fait réagir comme si ma vie était menacée. Est-ce que c’est le cas ?
Je regarde Anna, toujours debout au milieu de la pièce. Elle non plus ne sait pas quoi faire de son corps. Ses yeux fixent le bout de ses chaussures. On dirait qu’elle attend l’autorisation du proviseur pour quitter le bureau après avoir pris un sermon.
— Comment tu connais…
Je me racle la gorge.
— Comment tu le connais ?
Je suis incapable de dire son prénom. Mon assurance de façade s’effondre comme un château de carte sur lequel il vient de souffler. J’ai froid. Mon pull en cachemire émeraude ne suffit plus à me réchauffer. Je suis pourtant sûre que le chauffage est à une température tout à fait adaptée à la saison.
— C’est mon frère. Il a découvert qu’on travaillait au même endroit. Quand il est venu me chercher vendredi, tu es sortie en même temps que moi et lui…il était venu me chercher. Il m’attendait dans sa voiture quelques mètres plus bas.
J’entends les mots qui sortent de sa bouche, mais mon esprit semble leur verrouiller l’accès. Maxence me tend son téléphone avec un regard d’encouragement. Je le porte à mon oreille dans un geste lent. J’ai l’impression d’être trop ivre. Cette sensation d’être en dehors de mon propre corps tant le chemin entre mon cerveau et mes mains semble long.
— Tina, tu m’entends ? Je suis en route, d’accord ? Tu restes dans ton bureau, tu n’en sors pas. J’arrive dès que ces abrutis auront décidé de se bouger du milieu !
Je l’entends klaxonner hystériquement. Je sais que c’est sa manière à elle de canaliser ses émotions. Elle est en train de passer ses nerfs sur les pauvres automobilistes qui ont le malheur de se trouver sur sa route, simplement pour ne pas se focaliser sur son inquiétude pour moi. J’adresse un signe de tête à Maxence, qui comprend ma demande silencieuse et raccompagne Anna.
Je ne lui en veux pas. Je sais de quelle force de persuasion son frère sait faire preuve. Ce n’est qu’un bouquet. En apparence, il n’y a rien de mal à déposer des fleurs pour quelqu’un. Pourtant, j’ai bien vu dans son regard qu’elle avait conscience des conséquences. Est-ce qu’elle est victime de son frère, elle aussi ?
— Tina, t’es toujours là ? Tu voudrais pas parler un peu pour que je m’inquiète moins ?
Je soupire. Je sais ce qu’elle est en train de faire. Je ne résiste pas. J’utilise mes dernières forces pour lui répondre.
— Tu as pris des marrons ?
— Non, j’ai pas eu le temps. Mais j’ai envoyé Lucas chercher des macarons exprès pour toi. Je te récupère et on se fait un marathon de films pourris jusqu’à ce que tu ailles mieux.
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Thalie C
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Debbie Chapiro
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Origami
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Sarael
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