Fyctia
2 Décembre 2024 - Partie 2
Toute la durée du trajet, je regarde le paysage défiler par la vitre. Je le connais par cœur. Rien n’a changé depuis hier, ni depuis une semaine. Pourtant j’y trouve un certain réconfort. Cette concentration sur le monde extérieur m’évite ces moments gênants où les regards se croisent, où l’on entend une conversation malgré nous et que la personne s’en aperçoit. Je m’enferme donc dans ma bulle, elle me protège encore quelques minutes.
Dans l’ascenseur qui mène à mon bureau, au troisième étage, je savoure mes derniers instants de tranquillité avant plusieurs heures. J’ai la chance d’avoir un bureau dont je peux fermer la porte, ce n'est pas le cas de tout le monde. Mais il y a toujours quelqu’un pour toquer ou même entrer sans attendre d’autorisation. Ici, le concept d’intimité n’existe pas. Non pas que je prévois de me promener en sous-vêtement ou quelque chose du genre, mais je pourrais très bien avoir envie de retirer mes chaussures, ou remettre mon soutien-gorge en place. Je sais que je renvoie une image assez superficielle de la femme dont la tenue reste impeccable en toutes circonstances, mais il m’arrive aussi de devoir remonter mes collants et ce n’est franchement pas gracieux à voir.
On tape trois coups à ma porte. Je viens juste de m’assoir derrière mon bureau. La journée ne fait que commencer et déjà le ballet commence. Maxence passe la tête dans l’entrebâillement de la porte en attendant mon aval pour entrer. Nous avons commencé dans l’entreprise en même temps. Lui comme vendeur, moi comme assistante de direction. Les galères du début nous ont permis de nous rapprocher. Il avait négocié l'accès à la machine à café du deuxième, bien meilleure que la notre, et moi je connaissais par cœur le planning de notre Directeur. Nous avons rapidement compris que nous pourrions mettre nos compétences en commun pour passer des pauses plus agréables.
Je ne le considère pas comme un ami, les places sont chères de ce côté-là, mais c’est un collègue de travail sur lequel je peux compter. Il m’arrive de remarquer son regard qui s’attarde un peu trop longtemps sur mon corps ou mes lèvres, mais je fais mine de ne pas l’avoir vu. Je n’ai pas envie de créer un malaise entre nous en lui disant ouvertement qu’il ne m’intéresse pas. Il est plutôt mignon avec ses cheveux aux reflets dorés et sa fossette, mais je ne ressens rien. Pas d’attirance. Je ne supporterai pas d’entendre un nouveau laïus sur le fait que je ne peux pas savoir ce qui me plait ou non tant que je n’ai pas testé. A croire que les répliques parentales laissent des traces dans l’argumentaire des adultes frustrés. « Tu ne peux pas savoir si tu n’aimes pas les brocolis tant que tu n’as pas goûté. Allez, juste une bouchée et on en rediscute. ». Avec l’âge, certains pensent que le sexe est un légume. J’ai arrêté d’essayer de leur faire comprendre que cela ne fonctionne pas du tout de la même manière.
— Je crois que tu as un admirateur secret.
Il joue des sourcils en approchant un énorme bouquet de mon bureau, mais le sourire plaqué sur ses lèvres n’atteint pas ses yeux. Si je me laissais aller à l'imagination, je pourrais penser qu'il éprouve une pointe de jalousie.
De mon côté, je réfléchis à toute vitesse. Mon anniversaire était en août. Je n’ai remporté aucun concours récemment. Je n’ai couché avec personne dans les derniers jours. Je ne vois absolument pas en quoi ce bouquet peut m’être destiné.
— Tu es sûr que c’est pour moi ?
Il regarde le carton coincé dans les fleurs aux couleurs pastel.
— Tina Landrin, je connais encore le nom des employés ici.
Je me lève, la démarche mal assurée. Je n’ai aucune raison de m’inquiéter, ces fleurs peuvent avoir une tonne de significations différentes, cela ne veut pas dire qu’elles représentent une menace. J’attrape le bouquet des mains de Maxence. Il n’a pas de réserve d’eau et je n’ai rien pour faire office de vase ici. Je le dépose sur le coin du bureau pour me saisir de la petite carte qui l'accompagne. Le dos est vierge, rien n’est écrit. Pas de numéro de téléphone. Pas de remerciement. Rien. Je reprends le bouquet pour le tourner dans tous les sens, à la recherche du nom du fleuriste. Peut-être que ce dernier pourra me dire qui est la personne qui l’a acheté, ou à quoi elle ressemblait.
Maxence recule d'un pas, son regard inquiet passe du bouquet à mon visage.
— Tina, tu es sûre que ça va ?
Je hoche la tête. Mon cerveau est lancé. Je me demande qui je dois contacter en premier. Les fleuristes des environs ? Mes amis ? La police ? Qu'est-ce que la police pourrait bien avoir à faire d'un bouquet de fleur déposé à la sauvette ?
— Je…je suis un peu fatiguée. J’ai eu une nuit compliquée. Tu as vu qui les a apportées ?
— Non, elles étaient posées juste devant ta porte.
Je frisonne. Je viens à peine d’arriver à mon bureau et je peux jurer qu’il n’y avait aucune fleur devant ma porte. Je n’ai même pas croisé quelqu’un avec un bouquet. Je regarde une nouvelle fois la carte. Il s’agit d’une feuille canson vert foncé avec liseré doré sur laquelle mon nom a été tracé au stylo noir. Rien de très original, mais tout de même quelque chose d’assez travaillé pour que la personne ait pris le temps de s’assurer que le bouquet me parvienne. Ce n’est donc pas un acte impulsif. Je me force à respirer calmement pour lutter contre la vague d’angoisse qui menace mon esprit.
— Max, je n’ai pas vu de bouquet en arrivant.
— Alors vous avez dû vous rater de peu. Je vais voir avec Anna si elle a remarqué quelque chose à l’accueil.
Il quitte mon bureau, me laissant seule en pleine torture mentale. Est-ce que j’ai raté quelque chose ? Une occasion particulière ?
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Soäl
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petites.plumes
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Debbie Chapiro
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Origami
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mima77
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