Fyctia
Rien oublié, 2
Nous profitons d’un temps ensoleillé et mangeons tranquillement notre déjeuner. Il y a beaucoup de monde autour de nous, d’habitude les lieux bondés m’agressent, mais là je me sens parfaitement bien.
Notre repas terminé, nous commençons enfin la visite. Gabriel a l’air de savoir où aller, je le suis sans poser de question.
Au fil de nos pas je découvre d’abord une colonie de manchots bruyants dans le pavillon polaire, des phoques à moustache, des anémones et encore toutes sortes d’espèces. J’en prends plein les yeux et je m’anime comme une enfant devant un manège chaque fois que je découvre une nouvelle espèce.
Je lis scrupuleusement tous les panneaux sous l’oeil patient de Gabriel. Nous changeons de pavillon et je ne cesse de m’émerveiller.
Je tire Gabriel d’un bout à l’autre, en lançant des « Regarde ça ! » toutes les trois minutes, ce qui le fait rire.
Trois bonnes heures plus tard nous terminons le pavillon le tropical, le dernier.
C’était le plus coloré, on se serait vraiment cru sur un autre continent. Le boulot qu’ils ont fait dans cet aquarium est absolument extraordinaire.
Tout en discutant, nous arrivons dans un endroit un petit peu plus bondé que les autres. Je comprends qu’il s’agit d’un bassin où l’on peut toucher quelques espèces, comme des étoiles de mer par exemple.
Le regard de Gabriel pétille tout autant que le mien quand nos doigts palpent la surface rugueuse du crustacé, je ne suis pas la seule à retomber en enfance aujourd’hui.
Au bout d’un moment, il me prend la main et m’attire un peu plus loin.
- Viens, dit-il, j’ai gardé le meilleur pour la fin.
Il m’entraine alors le long d’un couloir sombre au bout duquel une lumière violette éclaire une bulle d’aquarium. Il n’y a personne.
Mes yeux s’écarquillent et je fixe les petites créatures évoluant à l’intérieur. Pour la deuxième fois cette semaine, le temps s’arrête de tourner.
Mon regard se pose alors sur le petit panneau où est inscrit :
La Clytia Hemisphaerica est une espèce d’hydrozoaires de la famille des Campanulariidae.
Mon coeur se gonfle, je le sens sur le point d’exploser. Une brèche s’ouvre en moi et je sens une larme rouler sur ma joue. Une seule larme pour des années de souffrance et de rancoeur qui s’envolent aussi simplement que ça, devant des méduses aux capacités extraordinaires. Le comble c’est que je rêvais de leur pouvoir de régénération pour mon coeur, alors qu’elles n’en sont pas dotées.
Mille pensées me traversent et d’un coup je suis transportée sur la plage, dix ans plus tôt lorsque j’avais cru qu’il se passait quelque chose entre Gabriel et Maëlys. Je lui avais, plus tard, expliqué ce qu’était la Clytia mais je ne pensais pas qu’il s’en serait souvenu, ce n’était qu’un détail.
- Quand j’ai vu qu’ils présentaient cette espèce ici j’ai immédiatement su qu’il fallait que je t’y amène, murmure Gabriel à côté de moi, inconscient de l’impact de son attention sur moi.
Mon coeur, comment dire… il ne bat plus, il fond.
Cellule par cellule je le sens se désintégrer pour devenir aussi flasque que les créatures qui me font face.
Je me retourne vers Gabriel et le prend dans mes bras. S’il parait d’abord surpris, il me rend ensuite mon étreinte, gratifie le sommet de ma tête d’un doux baiser avant d’y poser son menton.
- Tu te souviens de ça ? Lui demandé-je, bouleversée.
- Je me souviens de tout Camille, je n’ai rien oublié. Et certainement pas ces petites méduses, crois-moi.
Restant dans ses bras, je regarde à nouveau les drôles de petites créatures évoluer sous la pâle lumière violacée. Elles sont si nombreuses, élégantes dans chacun de leur mouvement. Du petit chapeau de leur tête qui ondule légèrement, à leurs longues tentacules qu’elles trainent comme si elles n’en avaient pas la maîtrise, chaque partie m’hypnotise complètement.
Nous restons là à observer le calme spectacle qui s’offre à nous. Gabriel n’a pas idée de ce qu’il vient de déclencher. Calée dans ses bras je réalise que dix années n’auront pas suffit à éteindre le feu qui brûle en moi pour cet homme. Il n’y a que lui pour me remuer de cette façon, pour m’écouter et ne rien oublier de ce que je dis, pour avoir des attentions si belles et surprenantes, il n’y a que son odeur pour me rassurer, que ses étreintes pour me sentir chez moi.
Je pose alors mon regard sur lui et mon coeur rate un battement devant son expression. Il me regarde comme si j’étais tout ce qu’il y avait de plus précieux sur terre. Je veux, non, j’ai besoin de l’embrasser, de sentir ses lèvres sur les miennes, de me connecter à lui et lui partager tout ce que je ressens.
Je fixe ses lèvres pleines en humectant les miennes, des papillons se mettent à bourdonner dans mon ventre m’envoyant le signal pour que je me lance. Au moment où j’approche de sa bouche, il défait notre étreinte.
- Aller viens, je t’emmène boire un verre et on repart, annonce-t-il. Si on rentre trop tard Rose va me tuer.
C’est la douche froide.
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