Fyctia
Baisser les armes, 2
Guillaume que j’ai totalement oublié de rappeler.
Je me lève précipitamment et décroche en jetant un oeil à Gabriel qui arbore son éternel visage impassible aux sourcils froncés, le regard posé au loin.
- Bonjour ! Tout va bien mon coeur ?
- Bonjour, oui oui très bien et toi ?
- Super, c’est le week-end, ça fait du bien de pouvoir se reposer. Tu fais quoi toi ? Je commençais à m’inquiéter de ne pas avoir de tes nouvelles.
- Oui, je suis désolée, en fait on s’est couchés tard hier soir et ce matin on s’est levés à l’aube pour aller faire une régate de catamaran…
- Du catamaran ? Toi ?
Je l’entends exploser de rire. J’éloigne le téléphone pour éviter de perdre quelques points d’audition quand je l’entends se calmer.
- Excuse-moi, j’ai juste été… surpris. C’est pas vraiment ton genre.
- Je sais et c’est tout l’intérêt des vacances non ? Faire des activités qui nous sortent de notre quotidien.
- C’est vrai, tu as raison. Mon coeur, je voulais m’excuser pour notre dernière conversation. Je n’ai pas été très cool, je pense que c’est parce que tu me manques beaucoup.
- Je comprends, dans moins d’une semaine je serai de retour.
- Oui, j’ai hâte.
Nous avons continué à discuter quelques minutes de plus puis avons raccroché. Je me retourne, prête à aller m’asseoir, mais Gabriel n’est plus là.
Je fouille la plage du regard et le trouve debout, mains dans les poches et pieds dans l’eau, face à l’océan.
J’observe un instant sa stature qui n’a finalement plus rien à voir avec celle du jeune homme que j’ai connu il y a dix ans.
Il est ancré dans le sable tel un roc inébranlable. Son dos est droit, ses épaules musclées dégagées, ouvrant son torse large et musclé. On peut aisément sentir se dégager la confiance en lui dans sa façon de se tenir. Mon regard remonte sur sa nuque où j’observe pour la première fois des dessins à l’encre noire dépasser. Poussée par la curiosité je m’approche et plisse des yeux pour mieux voir ce qu’ils peuvent représenter mais à peine ai-je fait deux pas qu’il tourne la tête et me prend en flagrant délit.
Je détourne instinctivement le regard.
- Qui est Guillaume ? L’entends-je alors me demander d’une voix calme.
- Mon copain.
Je relève les yeux mais il est de nouveau en train de fixer l’horizon, imperturbable. Je viens me positionner à ses côtés.
- Vous êtes ensemble depuis combien de temps ?
- En quoi ça te regarde ?
Il prend une grande inspiration, comme pour se donner de la patience.
Je vois que j’use ses nerfs et, même si une partie de moi s’en délecte, me comporter de cette façon n’est pas dans ma nature. Je suis rancunière, particulièrement quand j’ai été blessée et personne ne m’a jamais autant fait de mal que lui.
Mais si, comme semblent le croire mes amis, il n’y est pour rien finalement, alors il ne mérite pas que je sois une telle garce. Je décide de baisser les armes.
Temporairement.
- Depuis un an et des poussières, finis-je par répondre.
Gabriel me jette un regard surpris.
- Ça se passe bien ?
- Oui, je crois. Et toi, tu es en couple ?
- Je l’ai été, mais jamais rien de bien sérieux. Et puis mon boulot m’a demandé beaucoup d’investissement et de temps, pas idéal pour construire quelque chose.
- Pas faux. Tu… c’est comme tu l’imaginais ?
- Quoi donc ?
- Être flic, dans une unité d’élite ?
Il baisse la tête et ses pieds se mettent à creuser dans le sable des formes éphémères que l’eau se charge de faire disparaitre en quelques secondes.
- Oui, c’est même mieux que ce que j’imaginais à vrai dire. C’est intense et j’y ai trouvé une nouvelle famille.
- On dirait bien, en effet, observé-je en pensant aux deux loustics qui l’accompagnent. Et ta mère, comment va-t-elle ?
- Fidèle à elle-même, elle déteste l’idée que je fasse le même boulot que mon père. Mais elle a fini par s’y faire.
- Il te manque ?
- Chaque jour.
Je hoche la tête.
- Et toi, Camille, tu fais quoi maintenant ?
- Maintenant je suis sur une plage avec une personne que je n’imaginais pas revoir un jour.
- Ce n’est… Je voul…
- Je sais, le taquiné-je en lui adressant un sourire sincère.
Son corps cesse alors tout mouvement. Il ne respire plus et me fixe d’une drôle de façon.
Un flash de souvenirs me percute de plein fouet. Ce regard… le même qu’il y a dix ans avant que nous discutions pour la première fois dans les bois.
Je reprends rapidement la parole, secouant légèrement la tête pour faire disparaitre cette impression et lui raconte mon parcours chaotique qui m’a amené à mon boulot actuel.
J’avais oublié à quel point Gabriel pouvait se montrer attentif quand je parle, peu importe ce que je dis. Quand je discute avec Guillaume, il écoute mais il a toujours un avis à donner, son point de vue à exprimer. Je vois même parfois dans ses yeux qu’il ne m’écoute plus, trop concentré à ne pas oublier ce qu’il veut me dire ensuite. C’est intéressant également comme forme d’échange, ce n’est juste pas… pareil.
Mais qu’est-ce que tu fais ? Cesse de les comparer ! Tout de suite !
- À quoi tu penses Camille ?
Perdue dans mes pensées je me suis arrêtée de parler.
- Rien, rien.
- Tu ne penses jamais à rien, je peux le voir dans tes yeux. Ça tourne à plein régime là-haut, dit-il en posant un doigt sur le sommet de ma tête. Je suis content que tu aies trouvé un boulot qui te conviennes.
- Oui, je m’y plais, merci.
- Tu te sens mieux au fait ? Plus de nausée ?
- Beaucoup mieux ! J’ai une question…
- Une seule ? Me sourit-il.
- Je vois que tu t’es fait tatoué.
- Ce n’est pas une question ça, Camille.
- Que représente ton tatouage ?
- Un hommage aux gens qui ont compté, comptent et compteront toujours.
- Je peux voir ? Demandé-je piquée par la curiosité.
- Certainement pas.
Sa réponse tranchante m’arrache un pincement au coeur qui me fait grimacer.
Je vois alors une étincelle de malice s’allumer dans ses yeux noirs qui ne me dit rien qui vaille.
- On se baigne ?
- Ça va pas ? Il fait trop froid, je ne sens même plus mes pieds d’ailleurs ! Non, Gabriel, quoi que tu aies en tête tu oublies ! M’exclamé-je face à son sourire pré-connerie.
- Retire ton téléphone de ta poche.
- Oh non, ça ne va pas recommencer ! Refusé-je. Tu crois quoi, que parce qu’on vient de parler quelques minutes comme deux adultes on est de nouveau amis ? Rêve p… me coupé-je subitement le voyant esquisser un geste pour m’attraper le bras.
Dans un réflexe qui me surprend moi-même, je fais un bond en arrière et sa main se referme dans le vide. Voyant son regard s’étrécir, je me sens soudain comme une proie face à son prédateur. Mon instinct se met en marche, mon coeur s’affole, je me retourne et me mets à courir en hurlant comme si ma vie en dépendait, un sourire jusqu’aux oreilles sur le visage.
0 commentaire