Fyctia

- Pourquoi tu ne veux pas sourire Gabriel ?

De tout ce qu’il m’avait dit, c’était le seul point sur lequel je me sentais actuellement capable de rebondir.

Et puis j’étais plus que jamais curieuse, je voulais absolument en apprendre plus sur lui. Plus il parlait, plus l’énigme qu’il représentait s’épaississait. Le reste faisait trop trembler ma voix, mes mains, bref, tout mon être pour que je sois en mesure de le gérer correctement.

- C’est… compliqué.

- J’ai tout mon temps.

- Mon…

Gabriel était revenu s’asseoir à mes côtés, légèrement plus près qu’il ne l’était quelques instants plus tôt.

- Mon père a un cancer.

- Oh… ça craint.

J’étais restée silencieuse, ne sachant pas quoi dire pour le réconforter. La situation était merdique, point. Rien d'autre à ajouter.

- Quel type de cancer ? Avais-je tout de même demandé.

- Pancréas. Autant dire qu’il lui reste peu de temps.

- Il a été diagnostiqué quand ?

- En fin d’année dernière. Depuis, c’est un combat quotidien, entre son traitement et les effets secondaires.

- Oui, il paraît que c’est assez violent et que ça affaiblit beaucoup les patients. Voir ton père dans cet état ne doit pas être évident.

- C’est peu de le dire. Mon père a toujours été fort, sûr de lui. Le genre d’homme qui en impose, l’archétype du protecteur. Putain, il a même continué à bosser alors qu’il perdait ses cheveux et vomissait tripes et boyaux toutes les quinze minutes. Maintenant il ne peut plus assurer ses services, il doit se reposer.

- Ses services ?

- Il fait partie d'une unité d'élite dans la police.

- Ah ok, ça cadre bien avec le côté protecteur dont tu parlais. Et ta mère le vit comment ?

- Ma mère est perdue. C’est son roc et là il faut qu’elle soit le sien. Et moi je ne suis pas là pour les soutenir, au lieu de ça je suis dans un foutu camp de vacances à l’autre bout de la France.

- Pourquoi es-tu venu ?

- Ils ne m’ont pas laissé le choix ! S’était-il emporté en se levant. Ce voyage avait été réservé depuis longtemps, avant que le couperet tombe et ils pensent que ça va me faire du bien de sortir de la maison.

Il marchait, faisant des allers-retours devant moi pour se calmer. Je commençais à mieux comprendre son attitude.

- Tu es frustré.

- Bravo Sherlock.

- Pas la peine d’être sarcastique.

- Tu as raison. C’est seulement que toute cette situation est…

- Merdique.

- Ouais. On va dire ça.

Il continuait ses allées et venues et je me creusais la tête pour tenter de lui changer les idées. Il restait un petit peu moins d’une semaine, il serait bientôt de retour chez lui. En attendant, je m’assignais comme mission de lui faire penser à autre chose autant de temps que possible.

- Donc tu t’es dit que jeter une fille à la mer te changerait les idées.

- Quoi ? Non, je…

- J’aurais pu me noyer !

- L’eau nous arrivait à la taille, détends-toi.

- J’ai peut-être attrapé une pneumonie.

- Tu dramatises.

- Ou alors j’aurai pu boire la tasse et m’intoxiquer à cause des déjections des poissons Bretons.

- Des poissons Bretons ? Ils sont plus toxiques que les autres ?

- Qu’en sais-je, peut-être ? Dans le doute il faut se montrer prudent.

- T’es encore plus cinglée que ce que je croyais.

Il m’avait alors offert un sourire.

Celui-ci était spécial, il était juste pour moi. J’étais la seule à pouvoir en profiter et il m’était destiné. Comme un miroir, je lui avais rendu son sourire, oubliant un instant ce qu’il m’avait dit juste avant à ce propos.

- Et voilà…

- Voilà quoi ? L’avais-je interrogé.

- Tu viens de me sourire. À moi, juste… à moi.

- Je te félicite Gabriel, tu vois, plus de peur que de mal ! N’avais-je pu m’empêcher de rire.

- Et de deux.

- Ouhhh là ! C’est la folie aujourd’hui !

Son sourire disparaissait alors qu’il me regardait intensément. Il semblait si sérieux tout d’un coup que je ne savais plus comment me comporter. Alors je brandissais la moquerie, la dérision et tout le répertoire.

Mon coeur s’était remis à cogner de plus en plus fort à mesure que ses pas se rapprochaient de moi. Impossible pour moi de le regarder, tête baissée je tentais de me calmer jusqu’à voir ses baskets toucher les miennes.

Ma respiration s’était coupée alors que, doucement, son index se nichait sous mon menton pour me faire relever la tête.

Pouvait-il être possible de se noyer dans le regard d’une personne ?

Oui. C’était exactement ce que je vivais.

Comment un regard aussi noir pouvait-il être si enfiévré ?

Mon manque d’expérience me mettait si mal à l’aise que je ne savais absolument pas quoi faire, quand bien même ma petite voix me hurlait de lui sauter dessus « Tous les voyants sont au vert ! Fonce ! ».

Mais non, j’étais prise d’une timidité paralysante chronique en sa présence.

Et pendant que mon cerveau était sur le point de cramer pour cause de surcharge, les autres doigts de Gabriel rejoignaient son index pour entourer mon menton et m’inciter à me lever.

Chacune de mes terminaisons nerveuses étaient plus sensible. Ma tête tournait.

Depuis combien de temps n’avais-je pas respiré au fait ? Ouais, ça devait être pour ça.

- Camille, avait-il murmuré de sa voix grave qui résonnait dans ma poitrine.

- Gabriel.

Oh ! Miracle ! J’étais encore capable de parler !

- Il va falloir que tu me changes les idées.

- C’est déjà prévu t’inquiète.

Ses yeux ne fixaient plus les miens mais restaient bloqués sur mes lèvres et toutes mes alarmes bipaient en même temps, ambiance cockpit sur le point de se crasher.

- Je ferai tout mon possible pour que tu ne penses pas à cette situation merdique le restant du séjour. Que tu le veuilles ou non.

Éclatant de rire, il m’avait lâché le menton et s’était reculé.

L’air arrivait à nouveau correctement jusqu’à mes poumons même si j'aurais voulu que sa main revienne où elle était. Je le regardais, un peu désarçonnée par sa réaction.

- Ah Camille… Si intelligente mais tellement naïve.

- Pardon ?

- Ce n'était pas à ce sujet que je te demandais de me changer les idées. Mais rassure-toi, mais tu as quand même réussi.

*****