Fyctia

Tous sentent le léger malaise mais avant que quiconque ne réagisse, Gabriel reprend la parole.

- Ok pour le mélange. Je suis avec Rose.

- Quoi ?

J’ai tourné ma tête si rapidement que j’en ai un léger vertige. Je regarde mes amis pour les appeler discrètement à l’aide mais tout ce que je trouve c’est le regard désolé de Marc.

- Je suis avec Rose, ajoute ce traitre, feu mon ami.

- Gabriel, je te suis, déclare Julien.

- Bon eh bien, Marc, Rose, je suis donc avec vous. C’est parti !

- Au fait, je suis désolé pour le ballon à la plage l’autre fois, s’excuse Julien.

- Quoi ? Quel ballon ? De quoi tu parles ? Le questionne Rose avant que Marc ne l’attire de l’autre côté de la table en me faisant un clin d’oeil.

- J’espère que tu joues mieux au billard qu’au ballon, réponds-je à Julien qui, en retour, m’offre un sourire éclatant avant de s’adresser à Gabriel.

- Je l’aime bien. On va s’amuser.

La première moitié de partie est tendue. J’ai toujours été plutôt douée au billard mais la présence de Gabriel me perturbe. Il épie chacun de mes gestes, me frôle régulièrement quand il ne se penche pas carrément au-dessus de moi alors que je me positionne pour tirer. Quand je rate mon coup et passe la main à l’équipe adverse, je me retourne, termine ma bière d’une traite et me plante face à lui.

- On est dans la même équipe oui ou non ? Tu vas arrêter ton petit jeu tout de suite. Tu ne fais que me déconcentrer et j’ai horreur de perdre.

Gabriel se penche alors vers moi et, posant une main sur mon bras, me chuchote à l’oreille :

- Si je te laisse faire, la partie est terminée en deux minutes. Ils sont nuls. J’ai envie de faire durer le plaisir.

La chair de poule m’envahit et le sourire qu’il affiche après avoir constaté ma réaction m’agace particulièrement. Sans compter qu’avec sa proximité, son odeur me fait presque tourner la tête.

- Je préfèrerai que la partie se termine rapidement et qu’on change d’équipe. Je ne veux rien avoir à faire avec toi.

Voilà, j’aurais au moins eu le mérite de faire disparaitre son petit sourire agaçant.

- Je t’amène une nouvelle bière, m’annonce-t-il. Qui d’autre veut une tournée ?

Tout le monde répond positivement et le voilà parti en direction du bar.

J’en profite pour discuter un peu avec mon autre équipier, Julien. Il a l’esprit vif et me fait rire. Je l’aime bien. Il est un peu petit et ses tatouages sont impressionnants. J’apprends qu’il est en vacances avec Gabriel, Vincent et un certain Thomas qui n’est pas présent ce soir. Ils viennent tous de Sainte-Maxime, en vacances chez un ami de Vincent pour trois semaines. Ils travaillent tous ensemble.

- Sans déconner, vous êtes tous collègues ? Ben dis donc, l’ambiance au boulot doit être sympa ! M’étonné-je.

- Il vaut mieux qu’elle le soit oui, et ce genre de virée resserre encore plus les liens. Il faut qu’on puisse compter les uns sur les autres en toutes circonstances, précise-t-il.

- Vous êtes dans une secte ou quoi ? Rigolé-je avant que ça ne me percute.

Gabriel avait une vocation. Il m’avait dit qu’il serait prêt à tous les sacrifices pour pouvoir accéder à son rêve.

- En quelques sortes, me répond Julien, ignorant ma subite prise de conscience.

- Vous êtes flics…

Je ne posais pas la question, je connaissais la réponse.

- Pas exactement et on n’aime pas trop ce terme. On fait partie du…

- RAID, prononcé-je en même temps que lui. Une des unités les plus exposées et dangereuse.

- Tout à fait. Tu te sens bien ? Me demande Julien en me remontant le menton.

J’avais baissé la tête sans m’en rendre compte. Gabriel avait donc réalisé son rêve, qui était aussi une de mes plus grandes peurs à l’époque, bien que je ne lui en aie jamais parlé. J’étais contente pour lui.

- Tu fais quoi là ? Gronde la voix de Gabriel.

La main de Julien quitte automatiquement mon menton tandis que mes yeux se reportent sur la table de billard. J’ai besoin de me rafraîchir.

L’équipe de Rose joue encore. Marc prend tout son temps pour expliquer comment placer la queue et anticiper la trajectoire de la boule à Rose tandis que Vincent discute avec un des joueurs de la table derrière.

- Je vous laisse cinq minutes, je vais aux toilettes, annoncé-je à mon équipe.

Deux minutes plus tard, après m’être aspergé le visage d’eau fraîche, je sors des toilettes, me heurte à une montagne de muscles et me retrouve face à un regard aussi noir qu’abyssal.

- On peut parler ? Me demande-t-il doucement.

- Non on ne peut pas Gabriel. Qu’est-ce que tu veux, hein ?

- Discuter. Je veux une opportunité pour, peut-être, présenter des excuses à la plus grande tête de mule que j’aie jamais rencontré.

- Des excuses ? Des excuses pour quoi, dis-moi ? Pour m’avoir obligée à faire partie de ton équipe ce soir ? Pour le ballon que je me suis reçu en pleine tête cette semaine ? Pour ton manque d’amabilité ? Ou plus généralement pour être le plus grand connard que la terre ait porté ? Vas-y, ajouté-je essoufflée, éclaire-moi je t’en prie.

Alors que Gabriel s’apprête à parler je lui coupe la parole. Je sais pertinemment qu’il a autant horreur de ça que moi.

- Non en fait tu sais quoi ? Ne m’éclaire pas. Parce que tu sais quoi ? Je m’en fous. Et au fait, félicitations. Tu as réalisé ton rêve, tu fait partie du RAID. Bravo.

Je pars et le laisse planté là, dans le couloir menant aux toilettes, au milieu de la foule et de l’odeur nauséabonde d’urine.