Fyctia

Que feriez-vous si, au bout de dix ans, vous vous retrouviez face à votre premier amour ?

Tout dépend de la personne que vous êtes me direz-vous, de l’expérience du premier amour que vous avez eu, du lien qui s’était, ou non, créé.

Pour ma part, ce premier amour a bouleversé ma personnalité, l’a formaté en quelques sortes.

Avant cette rencontre, avant lui, j’étais une rêveuse. Fleur bleue et romantique, j’étais persuadée que l’amour, le vrai, tout ce concept des âmes soeurs existait. Et j’avais la chance de l’avoir face à moi. J’étais transcendée par ce jeune homme. J’avais la chance qu’il me rende mes regards. La chance de vivre une histoire avec lui.

Mais, comme je l’ai appris par la suite, les premiers amours durent rarement toujours. Ce n’était ni de sa faute, ni de la mienne, mais la vie s’est chargée de nous séparer.

J’ai toujours eu ce sentiment, une fois la douleur de la séparation passée, que mon coeur lui appartenait et lui appartiendrait toujours. Je ne pense pas m’être trompée car, de romantique je suis passée à méfiante, de passionnée à raisonnée, les choix de coeur sont devenus des choix de raison et les hommes qui lui ont succédé ont tous été choisi méticuleusement par mon cerveau et non par mon coeur. Aucun grand sentiment, aucune passion dévorante, aucun risque d’être réduite à néant comme après lui.

Mais revenons-en à ma situation actuelle.

Je suis dans un bar avec mes amis, un de ces bars à fléchettes qui sont courant en Bretagne. C’est une sortie festive, Marc fête un nouveau boulot, Rose une nouvelle relation qui commence et moi, rien. Je suis en couple avec Guillaume depuis un petit peu plus d’un an désormais et je n’ai rien à signaler. Ni grand projet, ni fin imminente. Ma vie est un long fleuve tranquille, plein de sécurité et d’habitudes. Mon travail est le même depuis bientôt six ans, assistante de direction. Je n’aime pas réellement ce que je fais toutefois ça paye bien, et il n’y a pas de surprise au quotidien, si toutefois on exclut les excentricités inopportunes de mes patrons.

Mes deux meilleurs amis me regardent, attendant de moi une réaction à ce qu’ils viennent de dire, mais je suis absorbée par un flash back digne d’une grosse production américaine.

Mon coeur vient de faire un aller-retour cheveux-chaussettes. Une petite troupe, bruyante et joyeuse, vient de passer la porte du bar. Parmi eux se trouve l’homme de qui je suis tombée amoureuse dix ans plus tôt. Je crois d’abord halluciner puisqu’il ne vit pas ici. Moi non plus d’ailleurs, je suis de Paris et, lui, de Sainte-Maxime. Je suis seulement là pour passer mes vacances chez Rose et Marc, qui vivent en colocation.

Avec Rose nous sommes amies depuis le collège, où nous nous sommes rencontrées. Elle a toujours été téméraire et audacieuse, elle aime son prochain et fais confiance à tout le monde, cherchant à attirer l’attention par tous les moyens et ce qui m’a toujours le plus épaté chez elle, c’est qu’elle n’a aucune peur de souffrir, elle fonce, quoi qu’il arrive.

Rose a déménagé avant notre entrée en quatrième pour la Bretagne, d’où elle est originaire. Là bas, elle y a rencontré Marc, dont la loyauté et le soutien l’on sauvé à de multiples reprises des griffes de personnes mal intentionnées. Rien que pour cela, je l’appréciais avant même de l’avoir rencontré. Quand Rose me l’a présenté quelques années auparavant, j’ai tout de suite accroché avec sa personnalité douce. Le paradoxe entre sa taille digne d’un basketteur, sa voix puissante, ses muscles et sa gentillesse est toujours surprenante.

Mon cerveau est en ébullition et la proximité de mes amis n’y change rien. Mille questions fusent à la seconde.

Que fait-il ici ? Il a déménagé et ne vit plus sur la côte d’Azur ? Il est en vacances comme lorsqu’on s’est rencontré ? Est-il en couple avec une des jeunes femmes qui les accompagnent ? Et s’il me voit ? S’il me reconnait ? S’il ne me reconnait pas ? Il m’a oublié ? Ou pas ? Qu’est-ce que je représente pour lui ? Notre histoire a-t-elle eu le même impact sur lui que sur moi ? Pourquoi n’a-t-il jamais répondu à mes derniers messages ?

Je pourrais continuer longtemps ainsi, tout en le fixant comme une psychopathe sans même me rendre compte que je suis en train de faire ça, mais heureusement Rose attrape ma main et me ramène à la réalité.

- Cam, tu es où là ?

- Je, euh… Pardon, tu disais ?

Avant qu’elle ne me réponde, mes yeux se remettent à l’observer malgré moi. Rose, attentive, comprend alors que mon manque d’intérêt pour la conversation provient du groupe un peu plus loin. Et, alors qu’elle en inspecte chaque membre de son regard acéré, elle comprend subitement d’où vient le problème.

- Oh putain pincez-moi je rêve… Ce n’est pas possible, j’ai l’impression de voir un fantôme.

- Hein ? De quoi vous parlez je pige rien, gémit Marc en risquant un torticolis pour voir de qui on parle.

Rose était présente lorsque j’ai rencontré cet homme, enfin ce jeune homme à l’époque. Elle était là lorsque j’étais dans le déni, lorsque je suis tombée profondément amoureuse, lorsque cet amour s’est épanoui durant le peu de temps que nous avions pour le cultiver et lorsque j’en ai été définitivement privée. Elle m’a ramassé à la petite cuillère et a tenté de recoller les morceaux de mon âme éparpillés un peu partout. Mais comment réparer entièrement quelque chose lorsqu’il manque une pièce. Et pas n’importe laquelle, j’ai toujours eu cette impression qu’il avait emporté mon coeur. Je ne pense pas m’être trompée, surtout vu le trou béant qu’il me semble avoir à la place de cet organe alors que je l’observe.

Il ne m’a pas vue, du moins pas encore. Ou peut-être que si mais il ne m’a pas reconnue. Qu’en sais-je ? Toujours est-il que je ne parviens pas à le quitter des yeux.

- Marc, sois discret veux-tu et cesse de regarder vers eux !

Rose, je ne regarderais pas si vous daigniez m’expliquer ce qu’il se passe plutôt que de tenter de comprendre par moi même et de lire entre les lignes, je suis nul pour ça en plus vous le savez !

Leur échange ne me parvient plus, un acouphène emporte toute capacité d’audition à ce moment là. 
Il vient de croiser mon regard. Enfin. Et…rien.

Rien !

Alors que j’allais me lever pour sortir de ce satané bar, à peine une seconde après avoir détourné son regard ses yeux reviennent se poser sur moi, comme aimantés. Toute émotion disparait alors de son visage, il est comme figé.

Voilà, il m’a reconnue.

Plongée dans ses yeux noirs, les souvenirs de notre rencontre remontent à la surface. En un éclair je me retrouve dix ans plus tôt, lors de mes premières vacances en Bretagne auprès de ma meilleure amie.